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Comment avez-vous vécu le confinement ?
La première partie du confinement a été un moment extrêmement agréable, car je me suis un peu remise en intérieur. Je me suis dis : « Je vais être chez moi, je vais faire ce que j’aime, je vais vivre dans un rythme différent ». Pendant environ trois semaines ça a été très agréable, parce que j’ai cuisiné, et j’adore ça, j’ai beaucoup beaucoup lu et écouté de musiques. Je profitais de la petite heure de sortie que nous avions, pour marcher un peu. Mais la deuxième période a été pénible car tout d’un coup on a perdu les repères, on ne savait plus quoi faire et il y avait quand même l’inquiétude de tomber malade, de rencontrer ce fichu virus, dont on ne connaît pratiquement rien, si ce n’est la peur qu’il faisait découvrir aux gens face à l’inconnu. Ca m’a beaucoup fait penser au XIVème siècle quand ils ont rencontré la peste. Cette fragilité, cette impression d’être livré à mains nues face à ce virus dont on ne comprenait ni le sens, ni le contenu, on ne savait pas de quoi il était fait si ce n’est qu’il nous tuait. Au départ je pensais aussi travailler, profiter de ce temps pour faire avancer mes projets, mais ça été difficile, il fallait lutter contre cette absence de repères.
Et d’un point de vue artistique ?
J’étais déjà bien avancée dans le projet qui était en route mais il a pris énormément de retard pour les raisons dont on parle. Les textes étaient là, transcrits, appris tout comme les mélodies. Tout ce travail était prêt deux ans auparavant. Et lorsque Saïd Assadi mon producteur m’a dit « On va aller en studio », trois jours après c’était le confinement et ça ne pouvait plus se faire puisque l’on devait rester chez soi. Ca m’a bien perturbé. Et ça a duré très longtemps, presque deux ans.
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Après avoir par le passé présenté des spectacles à Arles, vous êtes venue cette année conduire un stage de chants de l’Aurès. La transmission est essentielle dans votre parcours ?
Oui, on pourrait penser ça ! La transmission est une donnée fondamentale dans mon travail, mais au départ elle n’en est pas la raison. Moi je veux chanter, j’aime passionnément le chant de l’Aurès, j’ai un amour fou pour ce répertoire. Je le porte à la fois, dans ma tête dans mon cœur, dans mon esprit, dans ma spiritualité. Il est partout dans mon corps et dans ma vie. La raison première de mon travail est de donner une libre expression à cette passion pour ce répertoire de ma terre, de mes aïeux, de mes ancêtres, de ces berbères, de cette région tellement rude, tellement difficile où les gens doivent se battre pour vivre et survivre. Je parle de la terre de mes ancêtres et de ma petite enfance. Aujourd’hui l’Aurès a complétement changé. Batna, la ville dans laquelle je suis née, était un bourg, aujourd’hui elle compte plus de 60 000 habitants, avec son théâtre, son conservatoire, ses parcs. La transmission, elle, se fait un peu à mon insu, je ne l’ai pas cherchée, mon souci ce n’était pas ça, c’était de chanter, ça me fait tellement plaisir. Mais il se trouve que ce répertoire se transmet aussi et c’est ce que je suis en train de faire ici. Lorsque l’on m’a invité à assurer cet atelier de chant de l’Aurès, j’ai essayé de le construire au plus près de ce que j’ai fait. C’est à dire de voir comment on peut cheminer quand on chante, comment on fait pour chanter. C’est tout simple : avoir le texte et l’apprendre, apprendre la mélodie à l’oreille et mettre le texte, la mélodie et le rythme ensemble. C’est vraiment ça le sujet de mon atelier : Chants de l’Aurès, texte, rythme, mélodie.
Nous avons travaillé hier et en partie aujourd’hui sur les textes, les consonances qui n’existent pas dans l’alphabet latin, pour les mettre en bouche, et à ma grande surprise, ils apprennent très vite. C’est très étonnant ! Presque tous les stagiaires trouvent exactement les sonorités qu’il faut pour chanter ces chants.
Comment avez-vous choisi les chants que vous allez travailler ?
Le choix n’a pas été compliqué à faire, car dans le répertoire chaoui, il y a les chants “ghna b’sout“ (chant a cappella), les rythmes binaires et les rythmes ternaires. On a commencé par le chant a cappella parce que c’est le moins difficile à mes yeux et aujourd’hui on a attaqué le rythme binaire sur le bendir avec un texte à apprendre, à travailler et à répéter. Si on a le temps nous aborderons le rythme ternaire. C’est un éventail de ce corpus aurésien, si on arrive à tout faire, ils auront une idée assez précise de ce répertoire traditionnel.
Ces chants sont-ils porteurs d’un message que vous vouliez transmettre ?
Ca n’a pas été le fil conducteur de la préparation du choix. Le souci était de leur donner une image de la façon dont le chant aurésien est construit, qui est quand même particulier et ne ressemble à rien d’autre. Ainsi après le stage, si un jour ils entendent un morceau chaoui, ils pourront reconnaître par eux-mêmes, qu’il vient de ce répertoire.
Le premier texte, tiré du corpus des chants a cappella, était une berceuse, je l’ai choisie car elle est courte et les consonances sont assez simples. Je crois que j’ai eu raison car ça se passe très bien, ils ont retenu les sons. On l’a chanté ce matin et j’étais assez surprise car c’était assez bien en place. Dans ce répertoire on peut chanter en arabe ou en berbère et passer de l’un à l’autre dans le même chant avec une grande simplicité. J’ai choisi un autre texte parce qu’il est uniquement en berbère et assez simple au niveau du rythme. Je leur ai expliqué ce que c’était. Le thème est un peu philosophique, il porte sur le rapport des pauvres à l’argent : Il faut vivre et manger, mais ce qui compte ce sont les rapports humains et les rapports à la spiritualité. Il y a un deuxième texte sur le rythme binaire qui s’appelle “Barqaq Ya l’Sani“ qui a aussi un thème philosophique. Le titre signifie « Suffit ma Langue ! Suffit de Médire !»tout est dans le titre. Si on a le temps, on interprétera un chant que je chante souvent car il est très demandé dans mes concerts. C’est “Salah“, un chant d’amour et de libertinage
Pour vous, la transmission s’est faite à travers les femmes de votre famille et là vous devez transmettre des chants à des gens qui vous ont choisie. Ils ont une connaissance de cette culture et des parcours très différents. Est-ce une difficulté ?
Je ne savais pas à qui j’allais avoir affaire et ça n’a aucune importance. Ils se sont tous présentés et chacun a dit quelque chose de sa vérité et j’ai été extrêmement surprise car toutes les personnes de ce stage ont un rapport plus ou moins complexe et souvent traumatique avec l’Algérie. Ils ne sont pas là pour rien. C’est intéressant car ils ont envie d’apprendre et de comprendre. Je leur parle beaucoup de ma portion d’Algérie et pendant la guerre ils s’est passé plein de choses dans les Aurès. Pratiquement chez tout le monde la question de la guerre d’Algérie était là, je ne sais pas lequel et s’ils ne veulent pas en parler ça ne m’intéresse pas. C’est très motivant pour eux, ça attise ma curiosité et ça nous rapproche. Je suis une enfant de la guerre, j’en ai souffert. J’ai perdu des membres de ma famille. Mon père a du s’enfuir car il était recherché par la Main Rouge, les paras, il a quitté la maison car sinon il aurait été tué. Que dans ce stage, cette histoire de guerre soit un lien entre nous, ça nous rapproche dans l’humanité. C’est quelque chose que nous avons en commun, mais nous sommes réunis parce que sommes des être humains et que nous avons quelque chose à faire ensemble.
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Est-ce que ça ne souligne pas le fait que la musique est quelque chose qui peut aider à guérir, une expression qui n’est pas rectiligne qui va un peu chercher de la hauteur ?
Le chant c’est toujours une transcendance, même pour moi. Quand je chante et que je suis sur scène je suis ailleurs, je ne suis pas sur terre mais dans les airs. J’ai vraiment vu à la fin de la séance de ce matin, combien les gens étaient heureux de chanter quelque chose qui leur était étranger mais qui les rapprochait. Il y a des gens de l’immigration, d’autres qui n’avaient rien à voir avec ça, mais ont eu un parent qui a du faire la guerre à je ne sais pas quel niveau. Tout le monde chantait dans la joie et c’était un moment surprenant. D’ailleurs j’aurais du faire des photos !