Pas fait la sieste, y a Raffut !
On est déjà vendredi quand j’écris ces quelques lignes, et je n’ai toujours pas fait depuis le début de la semaine, la sieste ! Un rêve d’adulte et un cauchemar d’enfant ! Privé de sieste, de sieste musicale dans un coin de la cour de l’Espace Van Gogh, privé de concerts aussi, parfois, comme un gamin pas sage qu’on oblige à rester au plus près de l’estrade, comme un adulte qu’on rive à son clavier de computer comme on disait avant que les smartphones et autres tablettes soient à la mode. Je ne peux pas tout voir ou alors si je vois tout qu’on me rajoute s’il vous plait une bonne douzaine d’heures à ma journée pour tout vous relater, vous narrer les échanges, les rencontres, les interviews passionnantes et passionnés, les bribes de conversations à la sortie d’un concert ou sur un bout table, près d’un ventilo qui brasse de l’air et qu’on remercie lui ! Je me souviens qu’hier, en ce quatrième jour arrivant d’un pas pressé place Voltaire pour découvrir sur scène le trio Raffut (Jean-Bernard Louis, Gabriel Moulin et Andy Cancre), j’aurais aimé que ce ventilo me suive tant il faisait chaud sur ce dancefloor de bitume porté à ébullition par le trio. « Anarchie dans la danse » semble être le mot d’ordre de ces chanteurs et musiciens qui aiment le tintamarre et les bruits harmoniques et mélodieux de leur instrumentarium où s’agglomère guitare, zabumba tuné, tunn-tunn (des cloches pastorales non accordées), fer-à-cheval, gongs, pifano (flûte brésilienne) et même un conservophone, instrument en DIY construit autour d’une boite de conserve d’où partent des cordes tendues qu’on frotte, pince ou frappe. Avec eux, le Nordeste brésilien est voisin de l’Hérault, le département dans lequel Raffut a en 2017, vu le jour, en criant comme il se doit, révoltes et engagements à Viols le Fort. Pour l’anecdote, ce village au Nord de l’Hérault que nombre de ses habitants nomment désormais de son acronyme (VLF) est aussi le point d’ancrage du quintet féminin Poplité aux accents brésiliens. Forro, coco, xote et autres rythmes nordestins, mais aussi rock psyché, musiques de transe collective occitanes servies sans électroniques, encapsulent des textes de leurs plumes, ou empruntés à l’écrivain Max Rouquette ou au poète visuel Joan Brossa, et chantés en français, portugais, catalan et occitan. Imprégnés de la tradition du carnaval, touchés par l’amour, mais aussi l’exil et sensibles à la fragilité, celle des âmes comme celles des peuples ou de notre terre, ils espèrent un sursaut de la rue. Leur raffut est un bruit proche de la saturation qui pense et agit pour un autre monde ! Le lendemain de leur concert, invité à l’apéro découverte, Jean-Bernard Louis dont c’était la première participation au Suds que ce soit comme public ou en tant qu’artiste, revenait sur cet échange avec le public, « ce moment d’écoute privilégié » dira-t-il. Evoquant le sort tragique (une lente agonie sur plus de 20 mn orchestrée par son bourreau) du militant anti-franquiste Salvador Puig i Antich, l’un des derniers condamnés à mort, exécuté par garrotage en Espagne le 2 mars 1974 ; le chanteur sera un peu après, gentiment repris par une spectatrice qui lui rappellera que le “i” entre les noms ne se prononce pas en catalan. C’est aussi ça les Suds, un festival où le public est facilement au contact des artistes.
Les Alyscamps, un écrin pour une méditation guidée par Yom et les frères Ceccaldi.
Concert en continu pensé comme une longue méditation au fil de laquelle s’invitent impromptus aux Alyscamps, oisillons et cigales, le Rythme du Silence réunit Yom la boule à z’, assis en tailleur sur un tabouret de piano face au public et, dans un fraternel face à face, Valentin et Théo Ceccaldi. Triangle presque parfait, tant par sa géométrie que par la virtuosité de ses membres, cette pièce d’un trait imaginée par Yom et finalisée par le trio, s’articule principalement autour d’envolées klez’ du clarinettiste sans pour autant réduire ses acolytes au rôle de faire-valoir. Les frères Ceccaldi qui signent les arrangements, imaginent des rythmes entêtants hors champs, ponctués parfois d’accidents désirés, de cassures souhaitées, et accompagnés des nappes envoutantes. Pour ce qui est du rythme, celui des cigales résonne encore à mes oreilles, quant au silence, à la paix intérieure recherchée, l’affaire est trop personnelle, voire intime pour qu’elle puisse être étalée ici, chacun ayant qui plus est, son propre avis sur la question. Moment doux, de grâce voire d’extase, ce Rythme du Silence interprété dans le jardin de la nécropole romaine des Alyscamps, installe ces trois artistes dans une nouvelle dimension. Déjà enregistré, l’album de cette méditation à trois ou plutôt à 4, puisqu'ouverte à chacun de nous, est attendu au mois d’octobre.
Baba Squaaly