
En ce début de soirée précieuse, Les Suds à Arles devaient accueillir à la Cour de l’Archevêché le collectif post traditionnel JRPJEJ (écho en circassien), 5 musiciens ethnomusicologues de Circassie (Nord du Caucase), soient Bulot Khalivov, Timur Kodzzokov, Dalana Kulova, Alain Taloustan Al-Khadji et Zaur Nagoy. Seul ce dernier, star du label Ored Recordings fondé par le groupe et leur invité régulier, était présent en France avant ses camarades et va monter sur scène.
Avant cela, Ludovic Tomas, journaliste et rédacteur en chef du magazine culturel marseillais Zébuline nous explique les raisons de cette amputation de musiciens : « Le consulat français de Moscou a refusé de délivrer les visas à quatre d’entre eux sous un prétexte ainsi rédigé : Il existe des doutes raisonnables quant à votre volonté de quitter le territoire des états membres avant l’expiration du visa » Pour Zaur Nagoy le consulat est très mal renseigné : « Cette décision est incompréhensible car nous avons tous des enfants en Russie, deux des membres du collectif vont se marier le 27 août et le calendrier de nos projets estivaux est surchargé. »
La raison officielle de ce refus de tampon est sans fondement, mais sur la raison officieuse le musicien autoproclamé apolitique, qui redoute qu’on ne le laisse pas rentré chez lui, ne se lance dans aucune expectative.
Zaur Nagoy, se détournant de la pratique ancestrale des chants collectifs et des expérimentations sonores de JRPJEJ, va donner pour la première fois un récital solo, tel un barde sans peur ni reproche. Mais il n’est pas seul une pétillante traductrice russophone transpose au français les explications de Zaur sur son répertoire mêlant improvisations instrumentales et chants en différents dialectes circassiens.
Son chant grave et tellurique réveille les vastes plaines animées par les trots et galops des chevaux. Sa vièle est le fruit de lutherie sur des essences de poirier, d’épicéa et de buis et son nom, shik’espshine, juxtapose les termes circassiens pour cheval, queue et instrument de musique, ce qui désigne la provenance de ses cordes et de son archet.
Le début de son récital se réfère à l’épopée Narte. Zaur : « Les Nartes sont un peuple de guerriers que les circassiens considèrent comme leurs ancêtres. Cette épopée mythologique est un récit millénaire de leurs faits de guerre ou de leurs vies quotidiennes. Ce récit est vivant et a souvent évolué car, initialement de tradition orale, il a ensuite été mis par écrit. On peut par exemple y trouver des éléments modernes comme le samovar qui n’a été inventé pour préparer le thé qu’au XVIIe siècle. Il existe quantité de versions de cette épopée et chaque porteur de cette tradition choisit ses thèmes et personnages pour fabriquer son propre monde Narte. Je regrette que l’on ne l’enseigne plus aux enfants et qu’aucune recherche scientifique ne soit faite sur ce sujet. »
Le premier chant narre une histoire de duel concernant un chevalier et Sosryko, hérosnarte malicieux qui n’hésite pas à user de sa ruse pour tromper les gens pour son profit, ici un peu contrecarré par son propre cheval, lassé de ne se faire attribuer que les échecs de son maître, et par Satana la mère magicienne de Sosryko.
Le second en a capella met en scène le héros positif Shabatnyko lors d’un voyage en pays Narte pour sauver son père.
Suit un solo de flûte kamyl, instrument magique et bicolore des Nartes qui joué avec son côté blanc créé l’enchantement et la destruction de son côté noir. A notre plus grand soulagement, Zaur n’utilisera que la partie virginale, nous emportant dans une féerie de ménestrel.
La suite du programme s’éloigne de l’épopée pour évoquer la guerre entre le Caucase et l’Empire Russe (19e) à travers les prouesses d’un guerrier ou d’un chant d’encouragements au combat. C’est l’occasion pour Zaur de solliciter la participation du public, ce qui en situation habituelle de chant en Circassie ne peut être refusé sous peine de passer pour un paresseux et d’être rejeté par le reste de l’assemblé. La majorité du public se tient à carreau en chantant ou frappant dans ses mains, une petite portion d’élitistes quitte la cour de l’Archevêché.
Les chants plus modernes possèdent des mélodies plus sophistiquées tout en conservant leur caractère épique et médiéval.
Des solos de qamil sont inspirés d’histoires anciennes. L’un deux raconte la recherche d’un noyé par un flutiste et son coq magique dont le chant fit apparaître le corps avant que la population ne récupère l’âme du malheureux à l’aide d’un sac plongé dans la rivière.
Un autre retranscrit une opération de chirurgie dont la seule anesthésie consiste en des notes de flutes soufflées avec une ardeur à l’instant où flèches ou balles sont retirées.
Un chant raconte une histoire malheureuse lors d’un mariage circassien lors duquel les traditionnels coups de fusil tirés en signe de liesse provoquèrent tant de fumée qu’une balle fut fatale à une belle et talentueuse jeune danseuse.
A la fin du récital, Zaur félicite son audience pour sa participation en souhaitant qu’elle puisse approfondir sa connaissance des traditions circassiennes peut-être avec un prochain concert de JRPJEj, groupe autoproclamé post traditionnel qui interprète les chants collectifs et improvise avec ardeurs des éléments modernes.
Avec cet étonnant concert, Zaur Nagoy a donné preuve de son brillant talent de musicien, chanteur, conteur et improvisateur, mais il avoue : « Si j’étais un auditeur français et que j’avais le choix entre ma performance solo et un concert du groupe. J’irai voir JERPJEJ. »
Stéphane Krasniewski, directeur des Suds à Arles s’est bien promis de les reprogrammer lors d’une prochaine édition.
Ored Recordings Le label de JRPJEJ
La traductrice de l’interview utilisée dans ce papier et des intermèdes du concert ne souhaite pas voir son nom apparaître ici, mais donne volontiers son contact professionnel via ce mail : l.boury@suds-arles.com