Dans les jardins du Jules César, la rencontre avec les responsables de la Sacem et ceux des Suds, deux partenaires de longue date autour de la création de Titi Robin, a permis de mieux comprendre le mécanisme de redistribution au cœur de cette institution garante du droit d’auteur. Une société confrontée à l’explosion du numérique, phénomène qui commence à être somme toute bien encadré, même si ce n’est pas suffisant pour Lilian Goldstein, directeur des actions culturelles et Blaise Mistler, directeur des relations institutionnelles. Entretien.
Lilian Goldstein et Blaise Mistler dans le jardin du Jules César. Crédit: E.Coulot
Pouvez-vous nous présenter le système Sacem ?
Blaise Mistler: C’est un modèle vertueux qui est celui de la coopérative. La Sacem est une société qui a deux grands métiers : la collecte des droits d’auteurs auprès de 600 000 clients utilisateurs de musique, de TF1 à Youtube en passant par le bar tabac au coin de la rue qui diffuse de la musique dans sa salle; Et le deuxième, qui est la répartition des droits collectés auprès de nos 155 000 sociétaires. Parallèlement on déploie une importante action culturelle, puisque l’une des sources de revenus pour nos sociétaires est la rémunération pour copie privée : l’argent qui est perçu sur ces appareils qui servent à copier et à stocker des œuvres, le législateur a prévu qu’un quart des sommes collectées au titre de la rémunération pour copie privée soit dédiée aux actions d’intérêt général.
La contrainte féconde…
B.S. : C’est une contrainte mais une contrainte dont nous nous félicitons.
Quelles sont ces actions culturelles ?
Lilian Goldstein : Ces 25% de copie privée plus le statutaire de la Sacem (ce qui représente7% du revenu total de la Sacem ndr) sont remis sur l’action culturelle qui a trois grands domaines : les musiques dites « actuelles », chanson, rock, jazz, musiques du monde, les musiques symphoniques et l’audiovisuel. Pour la partie musiques actuelles on a une trentaine de programmes en direction des festivals, des salles, des producteurs, de la formation etc… la loi de 1985 nous oblige à aller dans 3 grandes directions : la création la diffusion et la formation.
L’aide aux Suds va-t-elle seulement en direction de la création ?
L.G. : Il y a plusieurs partenariats dans les Suds : un premier sur la partie diffusion et l’aide au festival dans son ensemble parce que c’est un festival qui a un intérêt majeur dans les musiques du monde mais aussi en ethnomusicologie, on n’est pas en world basique, on est sur du terrain de musique populaire savante avec une prise de risque de création et financière et culturelle importante. On est aussi partenaires sur un deuxième axe, la formation avec les masterclass, il n’y en a pas dans chaque festival ! Et enfin sur la création comme ce soir (vendredi, ndr) sur Titi Robin. On est là financièrement et avec Marie-Jo on se voit toute l’année, on se retrouve dans des commissions, on échange continuellement sur nos façons de voir les choses. S’il n’y avait que l’aspect financier ça ne justifierait pas de développer des artistes qui nous semblent très importants et ce serait difficile d’avoir un discours commun.
Pourquoi aider Titi Robin qui n’est pas un artiste émergent ?
L.G. : Ça dépend où vous vous trouvez… Titi Robin est un passeur des musiques traditionnelles avec l’avantage de la modernité qu’il apporte à ce répertoire. C’est le répertoire des cultures de la méditerranée qu’il revisite et qu’il amène à un autre degré avec un language plus contemporain mais on reste dans le traditionnel.
Du blues méditerranéen ?
L.G. : On peut mettre tous les mots qu’on veut moi j’en mets aucun. On est avec un grand monsieur qui est capable de vous amener une vraie réflexion en jouant et qui vous fait poser beaucoup de questions même après le concert. On est sur des idées neuves mais y’a rien de nouveau, on est sur des cultures ancestrales qu’il amène aux autres.
Est-ce-que les crédits à la création ont été atteints par les transformations de l’industrie de la musique dûes au numérique ?
B.S. : La situation a énormément évolué au cours des dix dernières années si bien que le piratage reste un sujet mais l’offre légale s’est tellement développée en téléchargement, en streaming ou en simple visionnage avec des sites type Youtube qu’il faut se lever de bonne heure pour trouver un titre qui ne soit pas disponible en offre légale. Ça fait une grosse différence avec le moment où on a créé Hadopi. La révolution numérique comme toutes les révolutions a fait un certain nombre de victimes plutôt du côté des producteurs de disques, c’est le propre de toute période de mutation. Est-ce-que ça impacte les revenus de nos membres ? Le défi pour une société comme la nôtre est précisément d’aller chercher les revenus dans l’univers numérique. La Sacem a très tôt contracté avec toutes les grandes plateformes, dès 1999 avec Francemp3.com qui est aujourd’hui disparue; Aujourd’hui on a des accords avec Youtube, avec Netflix on a été les premiers à signer, avec le streaming Apple on est en train de signer… l’idée avec tous ces nouveaux services c’est d’aller chercher des revenus pour nos membres. Par ailleurs la rémunération pour copie privée, on considère que c’est aussi des revenus tirés de l’économie numérique. Après est-ce-que les revenus que l’on tire d’une plateforme comme Youtube sont suffisants ? Sans doute pas, mais on est dans un problème qui dépasse la filière musicale : comme on est face à des acteurs qui ne payent même pas d’impôts en France et parfois en Europe, la question du financement de la création est seconde face à ce problème général. Mais ça nous paraît important d’amorcer la pompe, de conclure des contrats avec ces acteurs les plus favorables possibles dans l’état actuel de la législation. On peut espérer que ces acteurs contribuent un peu plus au financement de la création compte-tenu de la taille qu’ils ont acquise.
Il y a plus d’auditeurs, mais pas forcément plus de revenus dans la poche des artistes. Est-ce-que la Sacem compte autant de sociétaires qu’il y a dix ans ?
B.S. : On a deux ou trois fois plus de sociétaires qu’il y a dix ans, il y en a 3 à 4000 supplémentaires par an, dont beaucoup espèrent vivre de leur musique, c’est compliqué mais ça montre que c’est une filière très vivace contrairement à ce qu’on veut nous faire croire parfois. Tous ne parviendront pas à vivre de leur musique mais c’est une preuve de vitalité.
L.G. : La technologie qui a évolué a permis cette explosion et on n’est pas prêt de voir la tendance s’arrêter. Ce qui est important aussi, au-delà de la perception-répartition c’est aussi le rôle de la protection. Il y a des sociétaires qui pendant 15 ans ne vont pas gagner leur vie avec leurs œuvres puis un jour pour une raison ou une autre, avec la publicité , l’œuvre inexploitée est remarquée. La protection permet une traçabilité, on sait à qui ça appartient, on a tendance à l’oublier mais c’est très utile dans certains cas. La première des choses c’est d’être protégé.
Propos recueillis par S.B., journal l’Optimiste
Le pot a réuni entre autres le président du CA de la Sacem, Laurent Petitgirard (à g.) avec l’artiste Titi Robin, Marie-José Justamond directrice des Suds à Arles, Alain Petit directeur régional Sud-Méditerranée à la Sacem.
Crédit: E.Coulot
Titi Robin, artiste longtemps solitaire et toujours épris de liberté, nous a confié le rôle de la Sacem dans sa carrière de compositeur nomade, loin des grands courants du show business.
« Aucun de mes projets existe à cause d’une structure, la musique est entrée dans ma vie avec un besoin de totale liberté. Sur la partie professionnelle, en tant qu’artiste les premières notes sont toujours une improvisation, j’ai besoin de jouer les notes correspondant à mon sentiment du moment, d’être complètement libre. La Sacem m’a beaucoup aidé à vivre de ma musique, moi qui travaille avec des musiciens en Inde, au Maroc, je sais très bien comment ça peut être difficile pour les compositeurs d’en vivre.
« Il y a une trentaine d’années je composais, je restais enfermé, j’avais ce feu qui me brûlait je gagnais pas ma vie mais je m’en fichais j’étais jeune. Y’a eu des amis qui m’ont pris mes morceaux pour les déposer à la Sacem et d’un seul coup il m’est revenu de l’argent, certains de mes morceaux ont beaucoup été joués, j’ai savouré ça comme une reconnaissance. J’ai eu un parcours radical et parce qu’il y a une mutualité des droits il m’est revenu quelque chose, même si je ne suis pas commercial, ça m’a beaucoup aidé à rester radical, à tenir debout comme mon dernier projet avec Mickael Lonsdale c’est ma poésie et mes improvisations. Je ne travaille pas qu’en France et je vois la difficulté que peuvent avoir les collègues qui sont très bons musiciens qui s’investissent et qui n’ont jamais le moindre retour, qui doivent faire un autre métier pour nourrir leurs enfants. Et moi j’ai touché de l’argent de la Sacem. »
« Y’a pas un avant et un après Sacem, y’a le fait que ça m’a donné les moyens de travailler mais le discours esthétique n’a pas changé. Mais j’ai des partenaires qui savent qu’ils vont gagner leur vie en travaillant avec moi aussi, parce que c’est un métier, c’est à ce niveau là que ça joue mais pas sur le fond du discours. »
Moralité, les droits d’auteur ne font pas le bonheur, mais ils contribuent à rendre libre les compositeurs !
Recueilli par S.B., journal l’Optimiste