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Billet de blog 24 juillet 2015

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Un nouveau jour se lève

A l’occasion des Moments Précieux des Suds, les musiciens de Kintsugi ont délivré, sur commande, une création originale composée d’une seule et unique chanson. Une rencontre entre la France et le Japon, avec un trio composé du guitariste Serge Teyssot-Gay, du violoncelliste Gaspar Claus ainsi que la chanteuse et joueuse de biwa Kakushin Nishihara.

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Illustration 1
Kintsugi, Cour de l'Archevêché. © E. Coulot

A l’occasion des Moments Précieux des Suds, les musiciens de Kintsugi ont délivré, sur commande, une création originale composée d’une seule et unique chanson. Une rencontre entre la France et le Japon, avec un trio composé du guitariste Serge Teyssot-Gay, du violoncelliste Gaspar Claus ainsi que la chanteuse et joueuse de biwa Kakushin Nishihara.

Le rapport ? Les cordes de leurs instruments, et les cicatrices que l’Histoire a laissées sur nos pays respectifs. Le kintsugi est cette technique ancestrale qui sert à réparer les céramiques brisées à l’aide de laque mélangée à de la poudre d’or. Apparaissent alors, de somptueux liens dorés à travers l’objet. C’est ce lien, représentant le renouveau, l’espoir, que nous avons partagé, non sans émotions, à la cour de l’archevêché, ce lieu que le temps et les maux ont rendu plus beau.


Bol à thé réparé selon la méthode du kintsugi


Le sol se met à vibrer sous les cordes de Serge Teyssot-Gay, suivi de peu par Gaspar Claus. Le duo semble annoncer une catastrophe imminente. A cela vient s’ajouter de puissantes notes de biwa et le chant déchirant de Kakushin Nishihara.
Pour le public arlésien, le choc culturel est au rendez-vous.

Silence...

Le calme avant la tempête, la mer qui se retire avant le tsunami, ou encore le grondement de la terre avant le séisme.
Le trio reprend de concert, les cordes crient, pleurent, prient ensemble. Le sol vient de se briser sous nos pieds. Et pourtant…

Une musique plus douce reprend, apaise nos maux, sèche nos larmes et nous tend la main. Elle nous invite à nous unir tel les liens dorés du kintsugi si nous voulons nous reconstruire.
Le kintsugi c’est l’humanité qui renaît de ses cendres. Tomber sept fois, se relever huit.

Le concert touche à sa fin, l’ultime note tient et le public, en haleine, garde le silence. Enfin l’onde d’applaudissement nous tire peu à peu de notre rêverie.  Le trio nous a scotché sur nos chaises. Certains ont adoré, d’autres beaucoup moins, mais ce qui est sûr c’est qu’il n’a laissé personne indifférent. Pour ma part, j’ai la sensation d’avoir vécu toutes les émotions d’une vie en quelques notes. J’en ressors bouleversée, grandie, comme réparée à la façon du kintsugi.  
 


Kintsugi, Cour de l'Archevêché        crédit: E. Coulot

Le lendemain j'ai la chance d'aller interviewer le groupe au Musée départemental de l'Arles antique. Les trois artistes sont déjà installés dans l'espace de conférence et je remarque que Serge Teyssot-Gay et Gaspar Claus ont troqué leur tenue élégante contre quelque chose de plus décontracté! Pour Kakushin Nishihara, rien n'a pas changé. Elle est toujours aussi... fluo!

Comment avez-vous réussi à mettre en commun trois univers si différents?
Serge Teyssot-Gay :
Il n’y a pas véritablement de communion entre nous mais plutôt l’adaptation d’un instrument par rapport aux autres. Je suis responsable de ce que je joue, ainsi la personne en face doit pouvoir me répondre et mettre en valeur ce que j’ai joué.
Nous avons commencé cette collaboration à deux avec Gaspar et ils nous arrivait de ne plus savoir qui jouait quoi. Alors on ouvrait les yeux et on disait “c’est toi qui a trouvé ce passage?” Le son de nos instruments se mélangeait, créant la confusion, un peu comme quand les émotions de mélangent aussi.

Gaspar Claus : On ouvrait les yeux, on se demandait “qu’est-ce qui se passe?!” On passait notre temps à s’explorer, c’était presque… pornographique! (rire)
Lorsqu’il a fallu trouver une voix féminine du monde pour ce projet, je me voyais mal avec une chanteuse de salsa… ça se dit ça? (rire)
Il se trouve que j’avais rencontré Kakushin quelques années auparavant. En entendant sa voix la première fois, je m’étais imaginé une femme de 360 ans. Lorsque je l’ai découverte avec son look fluo et ses tatouages, j’ai adoré!

Pour “Kintsugi”, trois univers se rencontrent et en créent un quatrième. C’est à la fois une forme de tendresse et d’agressivité à l’encontre de l’univers de l’autre. C’est transformer l’autre et se laisser transformer par l’autre. Une sorte de collision!


En écoutant votre composition hier soir, j’ai été submergée par des émotions fortes comme la peur, l’angoisse, le malaise, mais aussi par leurs émotions contraires tels que le courage, l’amour, l’espoir.
Est-ce là les sentiments que vous vouliez faire passer?
S.T.G. :
Je ne m’inspire pas d’un sentiment bien défini. Je réponds avec émotion à une émotion. Alors les deux émotions (voire plus ) peuvent créer quelque chose en commun. Si les gens arrivent à imaginer quelque chose alors tant mieux.

G. C. : Mes émotions du moment n’ont pas d’influence sur mon travail. Ce que ça inspire, ça vient après, une fois que la création est terminée. Lorsque je compose, j’ai la sensation d’aller puiser la musique dans un lieu aveugle.

Kakushin Nishihara: Pour ma part, si je cachais mes émotions ça s’entendrait dans ma musique et ça n’aboutirait pas à ce que je veux créer.

Mon japonais est très bancal, je n’ai pas compris les paroles. Pouvez-vous me les expliquer en quelques mots?
K.N. : C’est un opéra en trois actes. Le premier, le chaos (“konton” en japonais) raconte l’histoire du samouraï Yoshitsune chassé par son frère aîné (le chef du clan) jaloux de sa gloire après qu’il ait vaincu à la guerre. Yoshitsune s’enfuit sur un bateau qui manque de couler en pleine tempête. Le second c’est la rupture (“ai betsu”). Yoshitsune accoste en territoire ennemi et rencontre Shizuka avec qui il se fiance. Mais il ne peut pas rester et doit s’enfuir en traversant une montagne dont l’accès est interdit aux femmes. Shizuka décide d’attendre son retour. Le troisième acte, c’est l’espoir (“kibô). Yoshitsune se fait trahir par ceux qui l’avaient accueilli de l’autre côté de la montagne. Après avoir appris sa mort, Shizuka devient la cible du chef de clan qui la condamne à mort. Celle-ci décide d’interpréter une dernière danse pour exprimer son amour à Yoshitsune. Ému par ce spectacle, le frère aîné décide de lui laisser la vie sauve. Shizuka passera le restant de sa vie fidèle à son défunt fiancé et entretiendra sa tombe jusqu’à la fin de ses jours.

G.C.: J’ai eu vent d’une version où Yoshitsune aurait survécu, mais c’est à vérifier!

Des instruments traditionnels japonais à cordes, nous connaissons plus communément le shamisen, ou encore le koto.
Pourquoi avoir choisi le biwa?

G.C.: Pour répondre honnêtement, c’est plutôt une rencontre de personnalités. J’étais à la recherche d’instruments traditionnels, et à l’inverse du shamisen et du koto, le son du biwa est plus agressif, plus percutant. Le plus vieil instrument à cordes, c’est l’arc. Et lorsque vous tendez cette corde il y a la mort au bout de la mise en vibration. Le son claquant du biwa illustre parfaitement cette image.



Nishihara san, vous jouez d’un instrument qui tend à disparaître et, à l’inverse votre look moderne se voit de plus en plus au Japon.

Est-ce que ce choix de l’ancien et de l’ultra moderne illustre le message que vous faites passer à travers votre musique?

K.N. : Absolument!

Propos recueillis par Kazu, pour l’Optimiste

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