Billet de blog 8 août 2008

Jean-Philippe Béja

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Ouverture des JO : un monde, un rêve, un Parti ?

« Les protestataires, les ouvriers d’origine rurale (mingong) ont été chassés de Pékin à la veille des JO, car les dirigeants chinois veulent montrer une image moderne et propre de leur pays aux 20 000 journalistes étrangers qui viennent couvrir l’événement. » Les titres sur ce thème sont innombrables.

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« Les protestataires, les ouvriers d’origine rurale (mingong) ont été chassés de Pékin à la veille des JO, car les dirigeants chinois veulent montrer une image moderne et propre de leur pays aux 20 000 journalistes étrangers qui viennent couvrir l’événement. » Les titres sur ce thème sont innombrables. On a déjà écrit sur le rôle que la face joue dans la culture chinoise, et bien des observateurs ont analysé les efforts déployés par le parti communiste chinois pour présenter une image parfaite de la Chine à l’aune de cette catégorie. Et la volonté d’empêcher toute manifestation de mécontentement, de détruire tous les bâtiments qui rappellent que la Chine est un pays en développement, de chasser tous les mendiants, les travailleurs originaires des campagnes à la peau sombre et aux vêtements sales avant l’événement que “le peuple chinois attend depuis cent ans”, sont expliqués par ce souci culturel de l’image.
Et si c’était insuffisant? Et si le comportement des dirigeants du PCC relevait d’une logique liée au système socio-politique qu’ils dirigent plus que par une “culture multimillénaire”? On sait que le nettoyage de la capitale se produit à la veille de chaque événement important : lors de la Fête nationale le 1er octobre, à l’occasion des sessions de l’Assemblée populaire nationale et de la Conférence politique consultative du peuple chinois au mois de mars, lors des congrès du Parti tous les cinq ans. Il est vrai que c’est à ces moments que pétitionnaires et mécontents choisissent de converger vers la capitale pour faire entendre leurs doléances. Alors, les autorités “nettoient” les lieux où ils logent et les renvoient chez eux. Pourtant, les délégués à l’APN ou au congrès du Parti savent bien qu’il y a du mécontentement dans la population, que tout le monde ne profite pas également des réformes et que le mécontentement existe. Paysans spoliés de leurs terres et insuffisamment compensés, citadins expulsés des centres villes pour faire place à des immeubles modernes, victimes de la pollution des cours d’eaux protestent quotidiennement contre les injustices dans l’ensemble du pays. A la fin du mois de juillet dernier, 30 000 personnes ont tout cassé dans les rues de Weng’an dans la province du Guizhou, parce qu’une rumeur avait affirmé qu’une jeune fille que l’on avait retrouvée morte avait été violée par le fils du chef de la police. Ces informations, rappelons le, ont circulé sur l’internet en Chine-même, et elles ont conduit le secrétaire provincial du Parti à prendre des sanctions contre les cadres accusés par les protestataires. Mais si les dirigeants communistes sont capables d’adopter une attitude flexible pour éviter que les querelles s’enveniment, il n’est en revanche pas question pour eux de reconnaître officiellement la légitimité de la protestation. Et elle doit encore moins s’exprimer à Pékin devant les instances du pouvoir. Pour des raisons de « face »? Mais pour qui? Là, on est entre soi, il n’y a pas d’étrangers devant qui la perdre. Non, cette obsession de la “propreté” dénote quelque chose de plus profond.
La fantasme de l’un
Même s’il a bien changé depuis la mort de Mao Zedong, le parti communiste chinois continue d’avoir horreur des manifestations spontanées car elles sont le signe de l’existence de dysfonctionnements que les mécanismes qu’il a mis en place ne peuvent pas résoudre ; parce qu’elles apparaissent comme une remise en question du fantasme de l’un, pour parler comme Claude Lefort. Or, même si celui-ci n’est qu’une fiction, il reste un élément important du discours de légitimation du régime. Dans ces conditions, le pétitionnaire ne peut qu’être un être anti-social, qu’un « individu » (gebie) qui se met en travers de la marche triomphale vers le progrès représenté par le Parti. De plus, si on le laissait exprimer dans ces moments cruciaux, il pourrait essayer de joindre ses forces avec d’autres mécontents pour créer une force autonome qui tente de faire pression sur le pouvoir. Or, toute organisation autonome est considérée comme une véritable menace pour le système.
Mais l’on ne peut pas ouvertement tenir ce discours. De même que tous les dirigeants du monde affirment qu’ils veulent la démocratie, e les dirigeants du Parti ne peuvent dire ouvertement qu’ils interdisent toute liberté d’expression. Sous la pression de la « communauté internationale », les autorités ont donc décidé de consacrer trois parcs de Pékin à l’expression des protestations. Naturellement, il faut faire une demande en trois exemplaires, donner les noms de tous les participants et attendre la réponse pendant cinq jours. Autant dire tout de suite que les citoyens chinois victimes d’injustice ne se pressent pas pour profiter de cette liberté.
Un soutien massif pour les JO
D’après le dernier sondage du Centre de recherches Pew, 96% des Chinois sont convaincus que les JO de Pékin seront un succès, et 93% d’entre eux estiment qu’ils amélioreront l’image de la Chine dans le monde (ces chiffres rappellent ceux que donnaient Mao Zedong lorsqu’il affirmait que « 95% des cadres sont bons », mais personne n’a noté l’analogie.). On peut donc en déduire qu’ils feront tout ce qu’ils peuvent pour que tout se passe bien.
Pourtant, malgré ce soutien massif, les dirigeants du PCC ne sont pas tranquilles : en effet, ils ne peuvent pas se fier à un sentiment de la population. Alors, pour éviter les mauvaises surprises, ils préfèrent empêcher les Pékinois d’exprimer spontanément leur soutien aux Jeux. (Les sceptiques douteront de la fiabilité du sondage de Pew). Cela semble étrange : s’il y a un tel enthousiasme, pourquoi le passage de la flamme (en Chine, pas à l’étranger) a-t-il donné lieu à de tels déploiements de sécurité ? Qu’on interdise aux Ouighours de Kashgar ou aux Tibétains de Lhassa de se rendre sur le parcours et qu’on les oblige à rester chez eux, cela peut se comprendre. Les tensions sont grandes dans ces régions. Mais pourquoi demander aux Sichuanais de Mianyang ou de Chengdu de regarder le passage de la torche à la télévision alors qu’on nous dit qu’ils ont été très satisfaits de la réaction du pouvoir au tremblement de terre de mai ? Pourquoi empêcher les « larges masses » de venir acclamer le basketteur Yao Ming et le millionnaire Huang Guangyu sur la place Tian’anmen et réserver ce plaisir national(iste) aux seuls invités munis du laissez-passer officiel, essentiellement des policiers en civil, des fonctionnaires, des employés de Coca Cola et de Lénovo qui sponsorisent les jeux, et des retraités membres d’associations de danseurs de yangge?
La manière minutieuse dont la chorégraphie de la cérémonie d’avant-hier a été préparée, les nombreuses répétitions auxquelles elle a donné lieu pendant les mois qui l’ont précédée, l’arrivée des participants dans la nuit pour pouvoir être en place au moment crucial rappellent les grands passages en revue des gardes rouges par Mao Zedong sur la même place.
Mais d’autres éléments sont venus rappeler aux citoyens chinois (s’ils l’avaient oublié) qu’ils n’avaient pas affaire à un système autoritaire ordinaire. La réapparition des « brigades aux petits pieds » des comités de quartier, ces retraitées portant un brassard rouge chargées de dénoncer tout comportement suspect, rappelle des souvenirs à bien des Pékinois. Jusqu’aux années 1980, ces brigades omniprésentes dans les villes étaient chargées de faire régner l’ordre et la morale socialistes dans les hutong de Pékin (ou dans les lilong de Shanghai) et leur réapparition lorsque le régime éprouve le besoin de renforcer la sécurité montre bien qu’il n’hésite pas à recourir aux instruments du contrôle social de l’époque maoïste, et que –soi dit en passant – ceux-ci existent toujours.
En résumé, les Jeux Olympiques permettent de jeter une lumière crue sur la nature du régime qui règne en République populaire. Plus que les arrestations et le harcèlement des dissidents (que l’on rencontre dans tout système autoritaire), l’expulsion des mingong, l’organisation de spectacles de masses sur les places, la mobilisation des comités de quartier montrent que, derrière la modernité des gratte-ciels construits par les architectes les plus connus de la planète, le régime conserve de nombreux stigmates de son origine totalitaire. Mais le slogan choisi pour ces jeux « Un monde, un rêve » n’est-il pas lui-même une réflexion de ce fantasme de l’un si caractéristique du totalitarisme ?


Par Jean-Philippe Béja

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