Billet de blog 19 avril 2008

Jean-Philippe Béja

Abonné·e de Mediapart

Pourquoi les Tibétains

Je viens de recevoir ce texte d'un étranger qui réside à Pékin. Il m'a semblé intéressant et j'ai décidé de le poster

Jean-Philippe Béja

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je viens de recevoir ce texte d'un étranger qui réside à Pékin. Il m'a semblé intéressant et j'ai décidé de le poster

Pourquoi les Tibétains ?

Depuis les événements du 14 mars dans la région autonome du Tibet, les media et l’opinion publique occidentaux se sont enflammés contre les exactions commises par le gouvernement chinois à l’encontre de la minorité tibétaine de la région.

Ce réveil des consciences a donné suite, lors des passages de la flamme olympique à Londres et à Paris, aux plus grandes manifestations pour une cause humanitaire depuis la guerre en Irak.

Un mois plus tôt, le gouvernement Chinois annonçait avoir démantelé un attentat « terroriste » organisé par un mouvement indépendantiste Ouighour (peuple turcophone musulman du Nord-Ouest de la Chine), à Urumqi. Cet événement ne fut que peu couvert par la presse internationale qui, de plus, dans la majorité des cas, se contenta de citer la déclaration du pouvoir Chinois sans remettre un instant en question l’utilisation du terme « terroriste ».

Le 14 mars lors des manifestations au Tibet, des membres des communautés Han (92% de la population chinoise) et Hui (Han musulmans) sont brûlés vifs, et des manifestants tibétains sont pour certains arrêtés, pour d’autres tués ou blessés. Le China Daily dénonce la « clique du Dalaï Lama » accusée d’encourager les manifestations pour la sécession du Tibet d’avec la Chine. De façon quasi-immédiate, l’opinion publique et les média occidentaux s’empressent de relayer l’événement à coup de reportages et de manifestations de soutien aux tibétains qui culmineront avec le passage de la flamme à Londres puis à Paris.

La question qui se pose est donc de savoir pourquoi les exactions commises à l’égard des Tibétains ont-elle à ce point enflammées les sociétés occidentales tandis que celles commises à l’encontre des Ouighours n’ont provoqué, au mieux, qu’un article dans un quotidien ?

En effet, il est intéressant de souligner que les conditions de vie des Tibétains et des Ouighours en plus de leurs relations avec les Han sont très proches, sinon identiques. Ces deux peuples sont victimes du « colonialisme » chinois qui veut qu’ils sont tenus à l’écart du boom économique, ne profitant que très peu du développement des villes de leurs régions respectives (Lhasa pour le Tibet et Urumqi pour le Xinjiang principalement). Leurs identités culturelles sont également bafouées par le gouvernement central même si celui-ci a rétabli l’utilisation des alphabets ouighour et tibétain depuis l’époque des réformes des années 1980.

Cependant, seule une des deux causes parvient à se faire entendre à l’Ouest. On peut identifier différentes raisons de cette utilisation d’un poids, deux mesures.

La première paraît évidente : les Ouighours sont musulmans. Depuis 2001 et le développement de la rhétorique des croisades dans les relations internationales, notamment par l’intermédiaire du président des Etats-Unis Georges W. Bush, il ne fait pas bon être musulman si l’on veut obtenir le soutien de l’occident dans sa route vers l’indépendance. Ainsi, de nombreuses organisations indépendantistes ouighours sont reconnus comme organisations terroristes au même titre qu’Al Qaïda.

De plus, dans l’imaginaire collectif de l’opinion publique occidentale, les Ouighours n’existent pas. Peu de gens connaissent les termes de « Xinjiang » ou « Ouighour » qui n’évoquent rien.

Le Tibet, en revanche, est connu de l’opinion publique occidentale. Le Dalaï Lama, le bouddhisme, Tintin au Tibet, autant d’éléments qui font que les occidentaux s’intéressent au Tibet depuis maintenant plusieurs décennies.

En outre, là où un soutien aux Ouighours poserait un véritable problème à certains gouvernements impliqués dans la lutte contre le terrorisme international, la cause tibétaine met tout le monde d’accord : à la fois les opinions publiques en manque d’idéal depuis la chute du mur en 1989, et les gouvernements avides de positions géostratégiques clefs. En effet, le Tibet par sa position géographique se trouve exactement entre les deux géants économiques asiatiques que sont l’Inde et la Chine. D’où, la superposition d’un objectif pragmatique à celui de la défense des Droits de l’Homme dans le monde.

On en arrive donc au contresens où les lobbies pro-tibétains et les manifestants soutenant les tibétains revendiquent l’indépendance du Tibet, indépendance que les plus haut représentants de la lutte pour les droits des Tibétains, Dalaï Lama en tête, n’ont jamais revendiqué se contentant de se battre pour l’autonomie de la région.

Ainsi, les manifestations des derniers jours, tout aussi louables qu’elles soient, montrent bien que l’opinion publique telle qu’elle est aujourd’hui n’est pas encore mûre et ne fait que se révolter que lorsqu’on le lui demande. C’est pourquoi le rôle des média dans la façon d’appréhender ce qui se passe dans le monde est capital. Le Tibet, le conflit Israelo-Palestinien et la guerre en Irak, ne sont pas les seuls problèmes du monde d’aujourd’hui et il appartient au journaliste d’offrir à l’opinion publique la possibilité de choisir ces causes au lieu de l’enfermer dans ce triptyque qui existe depuis trop longtemps.

Arken

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