
Il neigeait sur Paris. Vaillamment, ils avaient chaussé leurs meilleures chaussures, revêtu leur meilleur costume – on ne sait jamais – et y étaient allés, munis de nombreux CV comme l'invitation le leur avait recommandé. Certains étaient venus à plusieurs : copains, voisins, ex-collègues eux aussi au chômage, peut-être même issus de la même « charette », d'autres avaient commencé à échanger dès la sortie de la station de métro : « La rue Curial ? Vous allez au Forum ? Oui, j'y vais moi aussi, je crois que c'est par là... » Et très vite, les conversations s'étaient amorcées : « Vous faisiez quoi, vous ? » « Et vous ? », puis avaient dérivé : « Ce que je me demande surtout, c'est ce qui va se passer pour nous, avec la réforme des retraites ! » « Il vous reste encore combien d'années, vous ? » « Et la jointure, comment on va la faire si on n'a pas retrouvé de travail d'ici là ? » LE sujet !

On était mercredi 1er décembre, au « 104 », pour le « Forum Emploi Seniors » organisé par la Mairie de Paris, Carrefours pour l'Emploi, la Région Île-de-France et surtout Pôle Emploi. « Ouvert à tous : l'entrée sans inscription ni invitation est gratuite. Des centaines d'entreprises et de recruteurs participeront au forum de recrutement et proposeront des emplois dans des secteurs d'activité très variés », vantait la publicité. Une sorte de salon du recrutement version cheveux blancs, en somme.... Pourquoi pas ? On dépose notre CV à l'entrée dans une boîte en carton gentiment tendue par une hôtesse badgée (« Vous croyez que c'est pour contrôler ceux qui cherchent vraiment un emploi ? » ) et vogue la galère.... Premier constat : les chômeurs seniors se sont déplacés en masse. Et non, ils ne se laissent pas aller : ils en veulent, dossiers sous le bras, l'air énergiques et décidés, ils portent généralement beau, comme on dit, et ne font pas leur âge. Même si parfois le regard est inquiet....
Heureusement, le cadre est à tomber et le ciel d'hiver éclairant la verrière valait à lui seul le déplacement. De nombreux stands alignés, derrière les tables desquels des « recruteurs » procèdent à une sorte de speed-dating avec des baby-boomers en mal d'emploi. Sur une pancarte, à côté de chaque stand, une liste des « emplois » proposés, pour la plupart en CDD. Les métiers de bouche, le BTP, la grande distribution, les aides à la personne, le télé-marketing, le démarchage pharmaceutique, le discount ou la gestion de plate-formes d'appels téléphonique, chacun fait la queue, CV à la main, vers l'enseigne ou la filière de ses

rêves par défaut et, une fois son tour venu, s'asseoit sur « la » chaise mise à disposition des candidats. Un gigantesque stand AFPA, aussi. Et des ateliers « apprendre à améliorer son CV » ou « rédiger une lettre de motivation ». Rien que de très normal, jusque là. Si ce n'est la présence de stands disons plus.... inattendus comme celui d'Herbalife et la gigantesque place, presque une aile entière, accordée à la promotion de l'auto-entreprise et du système de portage salarial. Approchez, approchez !
Je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler du portage salarial, mais c'est une solution qui permet aux salariés de reprendre une activité par « missions », un peu comme s'ils créaient une entreprise mais sans avoir à en créer... tout en en créant une. Les sociétés de portage salarial se chargent en effet (contre pourcentage de 7 à 12% + cotisations sociales patronales ET salariales) de toute la partie administrative de l'activité du

salarié porté (qui travaille finalement en free-lance mais tout en pouvant se consacrer totalement à sa mission).Très bien. Un auto-entrepreneur à tâches administratives limitées, en quelque sorte. Mais le système du portage a aussi ses inconvénients.... Et entre autres, celui de n'être pas reconnu clairement par les Assedic à moins de ne pas travailler plus de 110 heures par mois et de ne pas gagner plus de 70% du salaire de référence (celui qui a servi au calcul de l'indemnité chômage).... Conditions qui sont EXACTEMENT les mêmes que celles qui permettent aux salariés privés d'emploi de reprendre une activité réduite tout en conservant ses droits au chômage.
Donc quel intérêt pour le chômeur - salarié occasionnel qui déclare comme il se doit ses vacations à Pôle Emploi ? A priori je ne vois pas. Pour les entreprises de portage, oui, c'est clair ! Et, même si ce n'est que mon hypothèse, côté Pôle Emploi, je crains que cela le soit aussi. Exactement comme pour le système de l'auto-entreprise - qui a d'ailleurs récemment été l'occasion d'une polémique lorsque des personnes qui l'avaient tentée ont découvert qu'ils allaient être taxés par la cotisation foncière des entreprises, même s'ils n'avaient rien gagné -, tous ces nouveaux statuts présentent une particularité qui peut se révéler un avantage non négligeable: faire sortir les chômeurs des statistiques des demandeurs d'emploi, toutes catégories confondues.... Rester chômeurs, les demandeurs d'emploi seniors ? Vous n'y pensez pas : créez plutôt votre entreprise, avec l'expérience et les compétences que vous avez.... Et puis l'indépendance, pensez, ça n'a pas de prix !



Et la réforme de la retraite dans tout ça ? On n'en a pas parlé. Elle était dans toutes les têtes, mais ce n'était bien sûr... pas l'objet !

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