On dirait presque un conte tant il y a peu de temps, ça aurait paru incroyable. Un conte, mais pas un conte « de fées », juste une sorte de « décompte de faits », tous réels, tous terriblement contemporains de cette époque de déréliction de tout Code du Travail (et aussi de toute pudeur !) de la part de certains employeurs. Autrement dit, petite chronique de l’illégalité totale au Droit du travail…. qui fera probablement bientôt force de loi par l’usage. En espérant que ça alertera ceux d’entre vous qui pourraient être menacés du même piège. Et aussi que cette alerte circulera jusqu’aux oreilles de qui de droit. (Ohé, Gérard Filoche, si jamais vous passez par là….)
Alors voilà. Prenez une boîte de formation. Grande. Connue. De très bonne réputation jusque là. Pour le moment, des négociations étant en cours, un avocat et plusieurs instances ayant été saisies, je ne la nommerai pas. Quitte, comme vous le comprenez à y revenir et à la préciser dans un prochain billet. Donc cette boîte, plutôt « bien sous tous rapports » aurait aussi assis sa notoriété sur la qualité des intervenants qu’elle a toujours fait bosser. Des professionnels aguerris. Qui, pour certains auraient juste accompli une intervention de ci de là, pour présenter leur « spécialité » ou apporter un « témoignage » de leur pratique du métier. Et pour d’autres auraient assuré, depuis parfois des années et des années, des formations suivies, longues, et s’étalant même dans certains cas jusqu’à deux années.
Jusque là, hormis certains intervenants « ponctuels », les formateurs étaient rémunérés sous forme de « CDD d’usage ». Déjà, la légalité de ce recours aux CDD dits « d’usage » peut se discuter puisque comme on peut le lire dans pas mal de textes juridiques , ce n’est pas parce le secteur d’activité (en l’occurrence « formation ») figure dans la liste de ceux où le CDD d’usage est autorisé qu’il est pour autant « légitime ». Surtout lorsqu’il constitue le « cœur de métier ». Certes, l’employeur a tout intérêt à le qualifier « d’usage » car il offre à ses yeux moult avantages (usage moins restrictif que le « CDD classique » auquel le recours est strictement encadré et doit être motivé, non obligation de respecter un délai de carence entre deux contrats, non obligation de l’indemnité de précarité, etc.) Enfin, last but not least, si dans le cadre de l’ANI du 11 janvier, les cotisations chômage des employeurs recourant à des CCD de courte durée doivent être majorées (passant de – 4% à –7% pour les CDD de moins d’un mois et à – 5,5% pour ceux d’une durée comprise entre 1 et 3 mois…, celles concernant les CDD d’usage ne sera que de – 4,5% (soit seulement une augmentation de 0,5%) . Une aubaine, non ?
Cela dit, les employeurs ne sont pas fous. Ils savent bien qu’avec leurs « CDD d’usage » (dont l'appellation au long est en fait « CDD d’usage constant », joli paradoxe législatif mais c'est comme ça) concernant plus des deux tiers de leurs salariés (plus de 400 formateurs payés en CDD et environ une centaine en honoraires à l’heure actuelle dans cette boîte dont nous taisons le nom), ils sont dans l’œil du viseur et que dans le cadre de la lutte (à venir ?) contre la précarité, leurs cotisations patronales risquent bien d’augmenter. Sans compter que tout cela leur coûte quand même cher en charges, en URSSAF, en Sécurité sociale, etc…. et qu’ils réduiraient bien leur masse salariale ! Ben tiens....
Alors ils ont trouvé l’astuce : externaliser leurs salariés. Mais oui. Il fallait y penser, non ? Ainsi, comme le stipule le document que la boîte a fourni aux délégués, tout nouveau formateur sera désormais payé en honoraires. Quant aux anciens, qui travaillent déjà parfois depuis longtemps dans la maison, ils devront rapidement indiquer quelle solution ils choisissent pour facturer leurs prestations, sachant que le passage en honoraires devra se passer dans les plus brefs délais. En gros, les formateurs ont le choix : portage salarial (une entreprise leur a même été présentée et chaudement recommandée) ou micro-entreprise. Point-barre.
Sauf que voilà : le passage au « portage salarial » ne peut se faire qu’à l’initiative du salarié, en aucun cas de la part de l’employeur devenu « donneur d’ordres » ou « client » de la société de portage, idem pour la micro-entreprise…. et qu’une entreprise ne peut en aucun cas faire basculer ses salariés (a fortiori le plus gros de ses effectifs salariés) vers un autre satut. Il ne s’agit rien moins qu’une « modification unilatérale du contrat », voire même en l’occurrence une « rupture unilatérale du contrat ».
Dans les deux cas (portage salarial ou honoraires versés à une micro-entreprise), le but recherché est le même: rompre le lien de subordination qui relie les intervenants à l'entreprise, et si elle y parvenait, la dispenserait de ce fait, de cotisations Sec. Soc. Retraite, Pôle Emploi, Urssaf, etc…., d'indemnités de licenciement en cas de rupture et au passage de moult autres obligations, y compris celles directement afférentes au volume de masse salariale (CE, etc.) Et le pire, c’est qu’ils vont essayer de faire passer ça aux intervenants chacun pris individuellement, entre deux portes, dans un couloir : « Ah au fait, il faut que je te dise, à compter du mois prochain, on ne signera plus de contrat à chaque semaine d’intervention. Il faudra que tu…. » Et pour garder un job, par les temps qui courent….
Joli coup, non ? Z’ont vraiment peur de rien…. Bon, on s’est regroupés, on est déjà une petite cinquantaine et ça fait boule de neige, on a pris un avocat, deux syndicats sont au courant et s’en mêlent, et surtout, surtout, on n’a pas l’intention de se laisser faire. N’empêche. On vous aurait raconté ça il y a seulement 6 ou 7 ans… Vous seriez tombés de l’armoire, non ? Aujourd’hui, quand on raconte, on s’entend dire « Eh oui, ma petite dame. Aujourd’hui, c’est la jungle partout. Il n’y a plus de lois. C’est comme ça. » Accompagné d’un « Pffffftttt » et d’un geste d’impuissance en écartant les bras….
Edit quelques mois après. Il s'agit du CFPJ, la célèbre école de journalistes de la rue du Louvre. Lire là: http://www.acrimed.org/article4183.html