Billet de blog 16 janvier 2009

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Grain de Sel

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Parcours du combattant, Acte I

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La toute première fois que vous y allez, votre convocation en poche, vous faites la queue un peu plus de trois quarts d’heure. On vous dit de vous asseoir et d’attendre, qu’on appellera votre nom. Vous en profitez pour observer les gens qui attendent, ceux qui arrivent, la façon dont on les reçoit à l’accueil, le siège qu’ils choisissent. Parfois, vous échangez quelques mots : « Il y a longtemps que vous attendez, vous ? » « Et vous, vous aviez rendez-vous à quelle heure ? » Vient votre tour. Vous déballez votre sac plastique FNAC avec tous les documents demandés, votre CV, vos dernières feuilles de salaire, le questionnaire en 8 pages dûment rempli, votre sacro-sainte feuille jaune…. Et là, stop. On vous dit que vous êtes encore pendant la période de préavis, même si vous êtes dispensée de l'effectuer, que c’est trop tôt, qu’on ne peut en aucun cas vous recevoir et que vous n’avez absolument pas à être ici…

Cinq semaines plus tard, rebelote. Cette fois votre préavis est fini. Il pleut. Vous trimballez toujours tout votre dossier dans le même sac plastique FNAC. Il y a foule, cette fois. Vous observez. Vous constatez que l’hôtesse de l’accueil semble légèrement excédée, surtout avec les personnes parlant mal le français. Elle parle très fort en articulant à l’extrême comme on s’adresserait à des enfants un peu demeurés. Vous vous asseyez, patientez, attendez qu’on appelle votre nom. Cette fois, vous connaissez la musique.

Quarante minutes plus tard, on appelle votre nom. Surprise : c’est « monsieur » et non « madame » qu’on appelle, mais c’est bien votre prénom (féminin sans ambiguïté) et votre nom. Vous vous levez. Une jeune femme à qui vous tendez la main, ce dont elle n’a apparemment pas l’habitude. Vous la suivez au long de couloirs interminables. Elle vous explique qu’elle est « votre » conseillère assedic et qu’elle va vous calculer vos droits, c’est à dire le montant des indemnités auxquelles vous pourrez prétendre et le délai de carence qui sera appliqué. Mais d’abord plus urgent : essayer de comprendre pourquoi l’ordinateur vous a enregistré sous le nom de «monsieur » et non de « madame ». Elle se plonge sur son écran. Ça dure un bon moment. « Bizarre, vous êtes enregistrée deux fois…. Non, je ne comprends pas. »

Elle se met à tapoter de la pointe de son stylo sur le bureau : « Mais nous perdons du temps, il faut qu’on avance ». Un collègue passe dans son bureau, lui murmure un truc à l’oreille. Il repart. Elle explique : « Ce monsieur est conseiller de l’ANPE, il va vous recevoir juste après. Dans l’attente de la fusion, on essaie déjà de coupler les rendez-vous, voyez-vous ! »

Elle reçoit un appel téléphonique. Pointe du stylo sur le bureau. Ensuite elle m’explique que pour ne pas faire attendre son collègue de l’ANPE, elle ne va pas me calculer mes droits aujourd’hui, que je les recevrai par courrier… Demain. Demain ? Enfin très vite. Nouveau coup de fil. Pointe de stylo. On reprend. Elle feuillette mon dossier.

- « Vous comprenez que ça va être trop tard, maintenant pour que l’ANPE vous reçoive, il est déjà presque 17 heures. Donc revenez demain à partir de 9 heures. »

- « A partir de 9 heures ? Ce n’est pas sur RV ? »

- « Non, pas pour l’ANPE. Donc comme il y a beaucoup de demandes, je vous conseille d’arriver tôt, même si vous pouvez, un peu avant 9 heures pour passer dans les premières… »

Vous partez. Vous n’avez eu ni le calcul de vos indemnités ni le nom de votre conseiller « référent » de l’ANPE, ni même de rendez-vous. Vous repartez comme vous êtes arrivée. Avec votre sac plastique FNAC.

Le lendemain, il pleut encore plus fort. Même adresse. Même punition. Vous êtes là un peu avant 8h30. Parapluies. La queue s’étoffe peu à peu. A 8h45, quelqu’un vient ouvrir la porte. Enfin, pas vraiment la porte, le verrou du haut de la porte. Pas un regard. Quelques minutes plus tard, verrou du bas, la porte s’ouvre. « Vous pouvez entrer ». A l’accueil on vous explique que les conseillers ANPE, eux, n’arrivent que vers 9h15. Vous vous asseyez juste en face de la partie ANPE de l’agence. Plein pot devant. Ils arrivent en effet à 9h15, mais commencent par se faire un café, par bavarder ensemble, se répartir les dossiers.

9h35, on vous appelle : « Monsieur… ». Même chose, vous expliquez que c’est une erreur. Le jeune homme est confus. Il vous demande de vous asseoir et là, lâche un « Qu’est ce qui vous amène ? » qui vous laisse coite. Vous vous râclez la gorge, retenez un « Je suis juste passée faire un tennis » ou un « Rien de précis mais j’ai vu de la lumière » et expliquez que vous venez d’être licenciée économique. Vous lui tendez votre dossier, CV, questionnaire dûment rempli, etc, etc.. Il parcourt rapidement votre CV en diagonale et tombe en arrêt sur votre date de naissance.

- « Oh la la, vous avez 55 ans ? »

- « … »

Il vous jette un bref regard, rougit, explique vaguement qu’il n’y croirait pas s’il ne le voyait pas écrit là et se fend d’un superbe : « Et en fait, vous cherchez quoi ? »

Vous ne répondez pas. Il reprend : « Vous avez vraiment besoin de retravailler ? »

- « … »

- « Je veux dire… vous pensez vraiment rechercher un emploi ? »

- « Si je vous dis que oui, j’ai 55 ans ans, mais qu’il me manque encore 7 ans pour prétendre à ma retraite à taux plein, ça répond à votre question ? »

- « Oui, bien sûr, excusez-moi, mais parfois à votre âge, les femmes ont des maris qui gagnent bien leur vie, je ne sais pas, moi ! »

Je prends sur moi. Je n’en crois pas mes oreilles mais je prends sur moi : « Et bien on va dire que ce n’est pas le cas ! »

Suivra ensuite une demi-heure quasi surréaliste où il me demandera si étant journaliste, j’ai un statut cadre ou pas, si je préfère relever de l’APEC (Association pour l’emploi des cadres) ou du CNRJ (Antenne ANPE spécialisée journalistes), où je lui réponds que c’est à lui de me dire ce qui sera le mieux pour moi, où il m’explique que ce qu’il voudrait c’est avant tout me faire passer un bilan de compétences, mais qu’à l’ANPE, ils n’ont plus le droit d’en faire passer, du moins à Paris parce que ça coûte trop cher. Ensuite il téléphone à l’APEC pour leur demander si eux ils font encore passer des bilans de compétences. Il raccroche en me demandant à nouveau si je suis cadre ou pas…. et me demande les coordonnées du CNRJ « parce qu’ils ont déménagé plein de fois ». Je lui réponds que non, je n'ai pas leurs coordonnées, que c’est lui qui est conseiller pour l’emploi, pas moi, que c'est en tous cas ce qui est écrit sur son badge, mais je lui suggère une recherche sur Internet peut-être pour connaître la nouvelle adresse ? Il m’explique (non, vous ne rêvez pas) que sa connexion ne marche pas, se lève, va demander à un collègue derrière une paroi, revient, téléphone au CNRJ… et vous y croyez ou pas, leur demande simplement s’ils font passer des bilans de compétences….

Vous trouvez ça ubuesque. Vous explosez. Vous expliquez que votre but dans la vie, ce n’est pas de passer un bilan de compétences mais de retrouver un emploi. Il bafouille, s’excuse : « Vous me trouvez un peu imprécis, c’est ça ? » Mais vous prenez soudain conscience qu’il a l’air encore plus terrifié que vous. Vous vous dites que vous êtes peut-être son premier « client ». Vous essayez de vous reprendre. « Enfin, disons peut-être un peu vague ». Vous lui demandez alors gentiment à être inscrite au CNRJ, en expliquant que puisque vous êtes journaliste, ce sera probablement le plus simple. Il vous regarde, vous sourit, a l'air un peu soulagé, presque reconnaissant. Alors il reprend le téléphone, appelle à nouveau le CNRJ, vous inscrit pour une séance de "training" de recherche d’emploi en groupe un mois plus tard, s’y prend par deux fois parce qu’il s’était trompé de date… et ajoute : « Là, vous pourrez en profiter pour leur demander si eux, ils peuvent vous faire passer un bilan de compétences. Vous essayez juste de coincer l'animateur à la fin du training ou à la pause, et vous lui demandez carrément... »

Vous lui tendez votre fameux questionnaire en 8 pages dûment rempli que vous trimballez depuis plusieurs semaines (« Non, moi personnellement, je ne travaille pas avec ça »), remettez votre dossier dans son sac plastique marqué FNAC, enfilez votre manteau, ramassez votre parapluie, vous préparez à partir. Et là, il veut se montrer gentil, encourageant, vous redonner du courage, apparemmement…

- « Mais puisque vous dites que la presse est en crise, dans quoi vous pourriez vous reconvertir ? Je ne sais pas, moi, avec toutes vos compétences.... secrétaire de direction, ça vous dirait ? »

- « ????????? »

- « Je ne sais pas, parce qu’avec toutes vos compétences…. »

- « Ecoutez, je n’ai JAMAIS été secrétaire, je ne sais me servir ni d’Excel ni d’aucun des logiciels de secrétariat, je n’ai jamais été obéissante et zélée et c’est un peu tard pour le devenir, je ne sais pas me servir d’une machine à café et dès que j’approche d’une photocopieuse, elle fait bip bip, clignote et tombe en panne… »

Il rougit à nouveau, se mord la langue et vous bafouille un « Vous avez raison, d’ailleurs, ils ne voudraient probablement même pas de vous ! » qui vous laisse à genoux.

Mais vous êtes content pour lui, il a un emploi ! Pourvu qu'il ne le perde pas.... ****************************************************************************

A suivre (si tout va bien) : « Le bilan de compétences approfondi, mode d'emploi »

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