
J’ai 65 ans d’expérience hospitalière en tant que patient, dans tous les sens du terme (car il faut être de plus en plus patient pour ne pas craquer à l’hôpital). Pour autant, en vouloir au personnel hospitalier, ce serait se tromper gravement de cible.
J’ai commencé très tôt à fréquenter ce milieu que j’ai vu évoluer, se moderniser, devenir une fierté de la France, à juste titre, avant d’être dégradé à vitesse grand V, à partir du XXIe siècle.
Avec Sarkozy, Hollande et Macron, c’est la curée, une destruction systémique progressive du service public hospitalier, de tous les services publics et du tissu social, car cela va de pair. Aux motifs, hélas fondés, de nécessaire restructuration et modernisation, de gabegies et de mauvaise gestion, mais on en a profité pour mettre en lambeaux ce qui fut un fleuron, avec des calculs néolibéraux, mercantiles et ravageurs.
L’hôpital n’est plus seulement à genoux, il est à terre. Et ça fait mal, quand on se rappelle ce que c’était avant. Et ça devrait faire réagir tous les Français, car c’est aussi gravissime que la réforme des retraites. Aujourd’hui, la sécurité et la fiabilité ne sont plus garantis dans les hôpitaux publics, au point que c’est parfois à ses risques et périls que l’on se fait hospitaliser – une de mes connaissances est récemment allée aux urgences pour un malaise cardiaque mais, après divers examens, elle a été renvoyée chez elle car les urgentistes n’avaient rien décelé de particulier, sauf qu’en rentrant et en parcourant les résultats de ses analyses sanguines, étant infirmière, elle a aussitôt remarqué des marqueurs qui signalent un risque important d’infarctus ; elle s’en est sortie quand un néophyte serait probablement mort.
Fermeture des hôpitaux et des services jugés non rentables, réductions incessantes du nombre de lits et des effectifs, salaires indignes, réductions des prises en charge, surcharge de travail, etc.
Résultat : pour le personnel soignant, conditions de travail surréalistes, irresponsables, dangereuses et destructrices des qualités de service, des soins et de l’accueil. Quant aux malades, ils subissent les conséquences d’une médecine déshumanisée, éprouvante, discriminante et impuissante à proposer mieux. Ils sont les victimes collatérales, avec le personnel soignant du public, de cette destruction aveugle, programmée par des politiciens et des hauts-fonctionnaires indifférents aux effets néfastes d’une politique néolibérale nauséabonde.
Qui peut encore s’imaginer que dans les années 1970, j’ai « vécu » plus de cinq ans dans un service de réanimation car il n’y avait alors pas de maison d’accueil spécialisé en capacité de me recevoir, et que l’on a respecté ma volonté de ne pas être hospitalisé chez mes parents ? Personne. C’est une époque révolue depuis longtemps. C’est aussi à cette époque que les progrès technologiques ont révolutionné, en bien, la médecine et la façon de soigner. Sans tous ces progrès, à l’instar d’un grand nombre de concitoyens, je ne serais plus en vie.
J’ai connu un hôpital humain, à taille humaine, sécurisant et « confortable », où les infirmières avaient le temps, les médecins étaient compétents et les malades étaient, en général, pris en compte ; en tout cas, davantage qu’aujourd’hui.
J’ai été témoin du changement de cap, de politique, et de ses effets néfastes. Ainsi, lorsque je vivais en Alsace, les patients connus et suivis pour leur pathologie étaient directement admis dans le service approprié, ne passant jamais par les urgences. Ce qui semble a priori logique. Mais ce qui l’était, du moins en Alsace, ne l’est plus, du moins dans l’Hérault. Désormais, vous avez beau avoir une pathologie grave et être suivi par un service hospitalier, en cas de problème de santé, vous devez obligatoirement passer par les urgences, autant dire par l’enfer, où vous n’êtes pas connu et où les médecins maîtrisent rarement votre pathologie, voire pas du tout. D’un coup, vous devenez un malade comme un autre, qui est soumis aux mêmes protocoles que les autres, dans des conditions kafkaïennes, un inconfort total, des diagnostics plus ou moins spécialisés et un pronostic aléatoire. Au final, même si rien n’a été résolu du problème qui vous a conduit aux urgences, en désespoir de cause, si l’on considère que vous n’êtes pas plus urgent que ça, vous êtes prié de rentrer chez vous… après des heures d’attente entre chaque examen, complètement épuisé de ne pas avoir dormi de la nuit et stressé par les conditions éprouvantes subies. De surcroît, en travaillant 12 h d’affilée dans un service de pointe, vers la fin du poste, les capacités de concentration et de réactivité d’un grand nombre de soignants sont émoussées, entraînant des erreurs et des oublis, au détriment des malades, bien sûr.
Le passage par les urgences est un chemin de croix kafkaïen et hallucinant. J’y suis allé deux fois en un mois pour des problèmes de santé, la seconde durant 14 h ! –, au lieu de m’hospitaliser trois ou quatre jours, le temps de faire toutes les explorations nécessaires, dans des conditions d’accueil décentes et dignes de ce nom. Où est le gain au final ? Pour qui ? Le but ultime et non avoué serait-il de se débarrasser à terme des hôpitaux publics au profit du privé ?
Comment susciter des vocations actuellement ? Comment rassurer les potentiels patients ? Surtout quand on sait que Macron, comme tout le gratin français, n’aura jamais à passer par les urgences, s’il a un jour un problème grave, lui et les autres nantis seront directement emmenés dans le service idoine, et ils bénéficieront de tous les passe-droits voulus !
Facile donc de faire subir aux peuples et aux professionnels, ce que tous ces gens ne connaîtront jamais. Vous avez dit égalité des droits et des chances ?
En attendant, le Covid-19 est venu remettre les pendules à l’heure. D’un coup d’un seul, Emmanuel Macron semble se réveiller à la réalité ! Désormais, il est décidé à injecter tout l’argent qu’il faut pour sortir de cette crise sanitaire… d’autant qu’elle provoque un krach boursier, mettant à mal son cher néolibéralisme. Il faut que l’économie mondiale soit en danger pour prendre conscience de la situation médicale et sociale désastreuse. « La santé n’a pas de prix », dit-il dans son discours du 12 mars, alors qu’en avril 2018, il affirmait « Je n’ai pas d’argent magique » à une aide-soignante ! Preuve que l’argent c’est une question de volonté, de choix ou d’opportunité…
Monsieur le Président de la République, à cause de vous et de vos deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, l’hôpital public est en ruine. S’il ne l’avait pas été, la situation ne serait pas aussi dramatique aujourd’hui. L’hôpital va vers un burnout. Et cette épidémie ne va rien arranger à cause d’un manque endémique de personnel soignant et de lits ; dont vous n’avez pas annoncé une augmentation du nombre dans les réanimassions et les urgences. Pourquoi ? Au contraire, vous demandez aux retraités du médical de reprendre du service et aux étudiants en médecine de combler les vides.
Et dire que ce sont des médecins qui conduisent et avalisent la politique de la santé depuis 2017, Olivier Véran après Agnès Buzyn… C’est fou comme on est capable de vendre son âme pour savourer l’ivresse du pouvoir ! Non ?