L'éditeur Dalloz vient de nous apprendre que la 1re chambre civile de la cour de cassation a rendu le 11 février dernier un arrêt important dans l'affaire des frégates achetées à la société Thomson CSF, aux droits de laquelle est venue la société Thalès, par la République de Chine à Taïwan.
Malgré l'interdiction faite par une clause du contrat, la vente avait en effet fait l'objet de commissions occultes importantes (on parle de 500 millions de dollars). Etant donné que le versement de commission saboutit à renchérir le prix d'acquisition, Taiwan a mis en œuvre la clause compromissoire du contrat afin d'obtenir des dommages-intérêts.
La société Thalès, pour sa défense, invoquait le secret défense. Selon Xavier DELPECH, commentateur de l'arrêt dans l'édition électronique de Dalloz, le moyen était subtil : "l'idée avancée est que le litige étant couvert par le secret défense, Thomson n'aurait pas été en mesure d'apporter les éléments de preuve susceptibles de prouver son défaut de responsabilité", ce qui constituait une rupture du principe de l'égalité des armes entre les parties.
Malheureusement, la cour d'appel, chargé du contrôle de la sentence arbitrale, s'est contenté d'une clause de style pour écarter le moyen : " pour rejeter le recours en annulation, l’arrêt décide que c’est à bon droit que le tribunal arbitral a estimé que les demandes dans leur objet étaient arbitrables et susceptibles d’être tranchées au terme d’un procès équitable".
Or, cette motivation ne permet pas à la cour de cassation d'exercer son contrôle des motifs : "en se prononçant ainsi, par une clause de style, dépourvue de toute motivation précise et de toute référence explicite aux motifs des arbitres dont elle estimait le raisonnement pertinent, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et, partant, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé".
Toujours selon Xavier DELPECH, "le juge de l'annulation [c'est à dire la cour d'appel] doit vérifier si le raisonnement des arbitres est pertinent, et surtout justifier en quoi il l'est, et, en même temps justifier pourquoi le recours en annulation ne l'est pas. Il y a donc obligation, pour le juge de l'annulation, à la fois de motiver sa décision et de contrôler la motivation par les arbitres de leur sentence. C'est à cette condition seulement que ce recours peut être valablement rejeté, et surtout, sur le terrain de la technique de cassation, que la Cour de cassation peut être en mesure d'exercer son contrôle, qui est également un simple contrôle des motifs."
Mais attention, si l’arrêt de la cour d'appel de Paris est annulé, il ne faudrait pas en conclure pour autant qu'il s'agit d'une victoire définitive pour la société Thalès. Il y a loin de la coupe aux lèvres. Car la cour d'appel de Paris autrement composée risque de confirmer la condamnation de la société en prenant soin cette fois-ci de motiver son arrêt conformément aux attentes de la cour de cassation. Cette dernière, en effet, n'a point conclu que le litige n'était pas arbitrable à cause du secret défense. Et la cour d'appel ne peut contrôler le contenu lui-même de la sentence arbitrale. Xavier DELPECH rappelle qu'"il faut bien avoir à l'esprit que l'obligation de motivation du juge de l'annulation (et le contrôle du contenu de la motivation de la sentence) ne porte pas sur le bien-fondé de la solution adoptée par les arbitres, car cela reviendrait à octroyer au juge de l'annulation un pouvoir de révision au fond de la sentence, ce que la jurisprudence semble refuser catégoriquement".
Il faut bien voir que les pouvoirs de la cour d'appel de Paris sont limités en matière de contrôle d'une sentence arbitrale qui n'a pas exclue la possibilité d'un appel. En effet, en application de l'article 1502 du code de procédure civile :
L'appel de la décision qui accorde la reconnaissance ou l'exécution n'est ouvert que dans les cas suivants :
1° Si l'arbitre a statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle ou expirée ;
2° Si le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l'arbitre unique irrégulièrement désigné ;
3° Si l'arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée ;
4° Lorsque le principe de la contradiction n'a pas été respecté ;
5° Si la reconnaissance ou l'exécution sont contraires à l'ordre public international.