*Cet article est publié ici avec l'aimable permission de son auteur : Arnaud FLORI
La lente mise en place d’une souveraineté populaire
S’il est un siècle qui aura profondément fait évoluer les mentalités, c’est bien celui des Lumières. Coincée entre la fin du règne de Louis XIV (début du XVIIIème siècle) et la Révolution Française, cette période a vue de très nombreux intellectuels remettre en cause le dogmatisme de l’Église, permettre le développement de l’esprit critique et synthétiser les connaissances de l’époque. Mais les philosophes travaillèrent également sur les sujets politiques. Ce fut notamment le cas de Jean-Jacques Rousseau qui, en 1762, publia « Du Contrat social ». D’après Rousseau, l’Homme n’est fondamentalement ni bon ni mauvais, seule la société dans laquelle il vit le corrompt progressivement au point où il finira par privilégier ses intérêts personnels au détriment de l’intérêt général. C’est là que la souveraineté populaire prend tout son sens, elle permet de casser cette attitude, a priori naturelle, qui consiste à agir égoïstement. Le choix de tous ayant toujours la primauté sur le choix de quelques-uns.
La Révolution Française est l’événement caractérisant la fin de la monarchie absolue et des pleins-pouvoirs des Rois de France, mais elle n’aura malheureusement pas été en mesure de mettre en place un système pleinement démocratique. Il faudra, ainsi, encore un siècle et demi de luttes avant que les françaises n’obtiennent le droit de vote. En outre, la mise en place d’une démocratie est une lutte permanente car au-delà de l’acquisition des droits qui lui sont propres, il faut aussi être en mesure de les préserver. De nombreuses fois notre démocratie a vacillé, de nombreuses fois nous avons failli sombrer dans un état autoritaire ou totalitaire depuis l’abolition de la monarchie absolue. Le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte ou le régime de Vichy n’en sont que deux exemples parmi d’autres.
Le talon d’Achille de la démocratie
Mais si le plus grand danger de la démocratie n’était pas le peuple lui-même ? En France, la démocratie se base sur un système de représentation. Nous élisons des sortes de « supers citoyens » capables de prendre, en notre nom, des décisions nous affectant tous. Mais lorsque les citoyens ne vont plus voter, que se passe-t-il ? Ces élus représentent-ils toujours le peuple ? Au cours des dernières élections majeures, les français ont battu des records d’abstention : on mesure une abstention de 25,3% au second tour des élections présidentielles, et de 57,4% au second tour des élections législatives ! Élections qui, pourtant, rythment notre calendrier politique. Dans de telles conditions, il y a de sérieuses questions à se poser sur la réelle représentativité de nos dirigeants politiques.
Cette abstention n’est pas seulement le résultat de plusieurs dizaines d’années « d’affaires », ou « mensonges » de nos politiques. Elle montre également une défaillance majeure de notre démocratie. Généralement, on pointe du doigt la non prise en considération du vote blanc ou nul. Oui, reconnaître le vote blanc devient de plus en plus nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Nous sommes bloqués dans un système à deux tours tout à fait propice à la théorie du vote utile : voter pour faire barrage à un candidat, voter pour garantir les chances de victoire de sa famille politique, on arrive même à finalement voter « contre » quelqu’un. Tout ceci force le citoyen à rentrer dans les jeux et stratégies des politiques là où il devrait simplement émettre un choix en fonction de ses sensibilités idéologiques. Par ce simple fait, notre démocratie se trouve déjà fortement malade.
Revoir notre mode de scrutin
Un problème évident se pose avec notre mode de scrutin actuel : on choisit le moins pire à défaut de choisir le candidat dont nous sommes le plus proche. En mathématiques, ce type de scrutin est dit “dépendant aux alternatives non pertinentes” car le nombre de candidats se présentant à l’élection affecte le vote des électeurs et peut désavantager le favori de votre famille politique. Ceci impose une forme de bipolarisation de la vie politique qui a longuement fait le bonheur des Républicains et du PS. Mais lorsque les électeurs rejettent cette bipolarité, le système se grippe et engendre de plus en plus d’abstention. Pourtant, bien d’autres modes de scrutins existent. On pourrait, par exemple, élargir le nombre de candidats pouvant accéder au second tour d’une élection en fonction du nombre de voies obtenues par chaque candidat. Cette méthode, appliquée pour les élections législatives, pourraient être généralisée à toutes les élections. Cela n’éviterait pas le problème du vote utile du premier tour pour autant, mais offrirait simplement la possibilité de disposer d’un plus grand choix lors d’un second tour et donc éviter un éventuel vote par défaut, tel qu’on a pu le connaître au second tour des élections présidentielles de cette année et de 2002.
Vient ensuite les modes de scrutins basés sur les méthodes de classement. Dans ce cas, on ne vote plus pour un seul candidat mais on juge l’ensemble des prétendants. Deux chercheurs français, Michel Balinski et Rida Laraki, ont proposé un mode de scrutin basé sur une méthode de classement : le jugement majoritaire. Dans ce système, on demande à l’électeur de juger individuellement chaque candidat en leur attribuant une mention parmi « Très bien », « Bien », « Assez bien », « Passable », « Insuffisant », ou « À rejeter ». Au dépouillement, on décompte pour chaque candidat les mentions qui lui ont été attribuées par le corps électoral, puis on détermine leur mention médiane. Le candidat élu étant celui ayant obtenu la meilleure mention médiane. Des expérimentations menées sur le jugement majoritaire ont été menées lors des élections présidentielles de cette année. Les résultats de cette expérience montre l’influence et l’importance qu’un mode de scrutin particulier peut avoir sur une élection.
Cependant, ce mode de scrutin suppose une connaissance du programme de chaque candidat et de leur positionnement sur l’échiquier politique afin de les juger le plus justement possible. Mais avec une désaffection croissante des français pour la politique, cette condition semble particulièrement difficile à respecter, et à fortiori pour les “petites” élections, où l’on connaît mal l’ensemble des candidats. De plus, la méthode de dépouillement, plus complexe et impliquant un temps d’analyse plus long qu’un simple comptage des votes, est plus aisément sujette à erreur et n’est pas exempt des risques traditionnels de triche électorale (bourrage d’urnes…). Pour autant, cette méthode semble la plus efficace si l’on souhaite que les citoyens expriment au mieux leurs points de vue politiques.
Condorcet, célèbre mathématicien des Lumières et, ironiquement, victime de la guillotine du temps de la Révolution Française avait élaboré un mode de scrutin également basé sur une méthode de classement. Dans ce système, on oppose deux à deux chaque candidat d’une élection et on choisit celui ayant remporté le plus grand nombre de duels. Mais les cas où chaque candidat remporte le même nombre de duels (aussi appelé le paradoxe de Condorcet) ont longtemps discrédités ce mode de scrutin. Le scrutin de Condorcet randomisé semble résoudre cet épineux problème en choisissant le vainqueur de l’élection selon une loi de probabilité parmi un groupe de candidats en tête. Reste à définir cette loi de probabilité, ou loterie, à partir de laquelle sera choisi le vainqueur. Le théorème du scrutin de Condorcet randomisé stipule qu’en dehors du cas où deux candidats se trouvent à égalité de voix dans un duel, il existe toujours une loterie, appelée la loterie de Condorcet, préférée par la majorité. Là encore, on peut pointer du doigt la complexité de ce mode de scrutin, mais aussi l’existence d’un cas de blocage.
La démocratie athénienne n’était pas en reste dans la recherche du mode de scrutin le plus juste. Elle faisait appelle, pour certains postes, aux lois du hasard. Ceci permettant d’éviter la sclérose de sa vie politique en offrant la possibilité à des citoyens, autres que les habitués de la politique, d'accéder à des postes de décision. Montesquieu disait: “Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par le choix est de celle de l'aristocratie”. Une variante propose également de tirer au sort le vainqueur d’une élection parmi les bulletins de vote. Cette solution aurait pour but de “responsabiliser” le citoyen, la moindre abstention pouvant avoir des conséquences importantes puisqu'elle donnerait, statistiquement parlant, plus de poids à des candidats ne représentant pas le peuple. Évidemment, cela suppose une prise de risque considérable : donner le pouvoir à un individu malveillant….
Un chantier démocratique
Face à cet absentéisme civique nous nous devons de réagir et proposer des solutions permettant de remettre le citoyen au centre de la démocratie. La reconnaissance du vote blanc, la limitation dans le temps du nombre de mandats et l’interdiction de leur cumul, l’introduction du vote électronique, la création de « vacances citoyennes » permettant à n’importe quel citoyen d’être élu sans risque de perdre son emploi et l’institution du référendum révocatoire sont autant de mesures nécessaires. La mise en place d’un nouveau mode de scrutin, quant à elle, ne serait que la clé de voûte de cette révolution démocratique.
Arnaud FLORI
Etudiant en informatique
Citoyen engagé