Dans le débat préparatoire au congrès en cours, les militants socialistes s’interrogent souvent : pourquoi y a-t-il deux motions C et D, menées respectivement par Benoît Hamon et Martine Aubry ?
De fait, l’une et l’autre partagent l’essentiel. Loin de considérer le socialisme comme archaïque, elles en soulignent la modernité. Elles constatent l’échec retentissant du néolibéralisme et, à la différence des motions A et F, elles sont celles que l’aggravation de la crise financière de ces dernières semaines ne rend pas faiblardes. Les demandes de certains responsables socialistes, comme Julien Dray (mais il n’est pas le seul) de repousser le congrès à une date ultérieure, pour avoir le temps de penser la crise, montrent que leurs motions ne l’avaient pas pensée à sa juste mesure à la mi-septembre.
Elles partagent, dans beaucoup de propositions et pas seulement dans les mots, le refus de baisser les bras, d’affronter les difficultés, y compris celles que connaît le Parti socialiste lui-même. Elles montrent leur volonté de relancer la construction européenne dans un sens plus social.
De là des propositions qui se rejoignent – je résume beaucoup – sur le pouvoir d’achat, audibles des salariés et de leurs organisations syndicales (augmentations du SMIC significatives, conférence salariale, modulation des cotisations sociales patronales, encadrement des loyers…) ; sur l’environnement (investissement public pour réduire la consommation d’énergie, taxe carbone, sortie de certains secteurs de l’économie capitaliste…) ; sur la fiscalité (impôt plus progressif, suppression des niches fiscales, taxation des stocks options…).
A quoi il faut ajouter des propositions sur l’Europe qui prennent en compte le souci d’aller vers l’harmonisation sociale et fiscale, vers un salaire minimum européen, une augmentation du budget européen, une communauté européenne de la recherche et de l’innovation. On relève aussi la volonté commune de jouer sur les tarifs extérieurs de l’UE pour substituer au « libre échange » un échange répondant à des règles d’équité sociale.
Et enfin la volonté, qui est celle d’une très grande majorité de militants socialistes, de ne pas revenir sur la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.
Les deux motions partagent une même vision du Parti socialiste : refus de la présidentialisation du parti, stratégie d’alliances fondée sur le rassemblement de la gauche, refus d’alliances nationales avec un centre qui ne partage ni nos valeurs ni les propositions du PS et même les combat ouvertement.
C’est dire que les deux motions ont une vocation réelle à se retrouver pour bâtir une majorité de changement. Des considérations, tactiques pour une part (« à deux on ratisse plus large »…), des oppositions personnelles venues par exemple de P. Moscovici qui, au dernier moment, rallie la motion Delanoé-Hollande, ont empêché un rassemblement large au stade des motions. C’est sans doute dommage (« l’union fait la force »…).
Les discussions actuelles montrent que cette « division » des motions pose quelques difficultés.
Elles ne sont pas tellement dues aux différences entre les motions. Quelles sont-elles ? Il y a d’abord une différence de démarche et de méthode politiques. Dans une rencontre entre des militants « C » et « D », à laquelle j’ai participé, les soutiens de Benoît Hamon et de ses amis déclarent être à l’aise avec leur motion, parce que c’est « confortable » : en effet, il n’y a pas à expliquer les mois de travail en commun de Martine Aubry, Cambadélis, Fabius, Montebourg – des protagonistes des clivages récents – et tous ceux qui se sont livrés à cette réflexion de fond pour se retrouver sur une politique commune et crédible, orientée vers l’avenir et dépassant les clivages du passé. Mais c’est bien cette difficulté surmontée qui est un gage de la solidité pour une équipe qui aspire à constituer l'équipe dirigeante de l’avenir. La motion « C » est avant tout une équipe de « la gauche socialiste » qui se retrouve comme avant 2003. Elle rassemble les anciens du non comme d’autres rassemblent les anciens du oui pour l’essentiel. C’est là une différence.
Autre différence : l’accent de la motion « C » est mis sur un discours de radicalité idéologique. Elle veut se présenter avec un « monde d’avance », ce qui, parfois, donne l’impression que l’on oublie le monde réel qu’il s’agit de transformer par des propositions concrètes. On le voit en comparant la justesse du diagnostic sur la crise financière et l’absence de proposition vraiment concrète pour éradiquer la financiarisation du capitalisme. Sur l’Europe, l’analyse et le constat de la motion « C » sont très intéressants mais beaucoup de ces questions ne peuvent être réalisées à 27 : il faut donc passer par des coopérations à géométrie variable, sans exclusive : c’est cela aussi être dans le réel.
Est-ce insurmontable ? Des travaux en commun ont déjà été menés par les deux équipes avant le dépôt des motions. Et elles savent où il faudra faire les avancées décisives pour rassembler, et, avant tout, rassembler les Français à gauche.
La difficulté majeure est que la division actuelle permet à d’autres motions de profiter de la brèche. Pour la motion Hollande-Delanoé, tout d’abord, mais aussi pour la motion Royal-Collomb, des attaques constantes sont lancées contre Fabius, « le traître qui n’a pas respecté le vote des militants ». On oublie qu'il n'y a pas si longtemps, il a permis au PS de gagner 50 à 60 sièges de députés supplémentaires... Curieusement, Jean-Luc Mélenchon (de la motion "C") qui a essuyé jusque dans un passé tout récent des invectives, n’est jamais pris à partie. Pourtant jamais Fabius n’a dit comme lui qu’il se poserait peut-être la question de quitter le PS… La tactique est claire. La motion « D », menée par Martine Aubry, pour son contenu, en raison de ses signataires, est jugée la plus dangereuse pour l’équipe sortante. Si par hasard, on pouvait l’affaiblir en épargnant la motion « C », serait-ce un mal ? Car c’est aussi de cette manière que se font les congrès au PS ! Hélas !