Montlouis-sur-Loire, le 24 octobre, 18h35. Espace Ligéria.
Il y a une bonne demi-heure de retard. La salle est pleine : plus de 300 personnes, quelques-unes n’ont pas trouvé de places assises. L’objectif a été bien ciblé : elle peut contenir plus du double ; derrière la tenture bleue, se trouvent des rangées étagées de strapontins, celles qui sont utilisées pour les grandes occasions.
Le retard s’explique. L’après midi a été occupée. Ségolène Royal a entre autres eu une séance de dédicaces pour le livre qu’elle a cosigné avec Alain Touraine. En Indre-et-Loire, c’est indispensable : la fille du sociologue, Marisol Touraine, l’une des deux députés socialistes du département, a choisi de soutenir Delanoé et Moscovici. Jean Germain, le maire de Tours, a tenu à venir la saluer. Il l’avait soutenue dans sa candidature à l’investiture présidentielle ; mais lui aussi soutient la motion Hollande-Delanoé.
J.-J. Filleul, le maire, prononce le discours d’accueil. Ségolène Royal, à son invitation, vient prendre sa suite pour son discours. La salle l’accueille debout, l’applaudit, se rassoit. Pas un papier en main. Elle est debout, seule, face à la caméra. A sa gauche et à sa droite deux objets que je ne reconnais pas ; on me dira par la suite (mais est-ce vrai ?) que ce sont des prompteurs.
Elle va parler une heure, la voix toujours égale, s’animant de loin en loin, surtout vers la fin, surtout quand elle reprend les formules consacrées du discours socialiste.
Elle aborde les thèmes de la motion qu’elle a signée – en dernière position, mais les premiers seront les derniers, comme chacun sait depuis deux millénaires.
Je donnerai ici seulement quelques réactions personnelles à ce discours. SR n’est pas une oratrice, ce n’est pas une découverte. En un sens, ce peut être un atout. Rappelons-nous : « Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun… » Mais elle a une technique bien rôdée. Sa voix au volume mesuré, avec un micro qui la porte sans l’imposer, est suffisante pour se faire entendre, juste suffisante, c’est-à-dire qu’il faut être attentif. Et elle suscite en effet l’attention. Elle recueille des applaudissements à intervalles réguliers : ce ne sont jamais des acclamations mais toujours des approbations.
Sa technique repose sur deux piliers. D’abord, elle assume seule son propos. Elle n’a dit « nous » qu’une seule fois en une heure, quand elle a évoqué une prise de position du PS à propos de la crise financière. « Moi, je crois…, moi, je pense que…, je vais vous donner un indice…, je suis allée vérifier dans un pays voisin…, voilà ce que j’exige…, et moi, je veux que…, je ne veux plus…, je ne veux pas d’une impuissance…, moi, je crois au rapport de forces… » : ce ne sont que quelques exemples parmi de nombreux autres. Il y a elle et les autres. Le « nous », ce pronom qui symbolise le collectif politique, qui associe le militant ou simplement le sympathisant, l’électeur potentiel, est délibérément mis de côté. On comprend les réactions de Martine Aubry, Hamon comme de bien d’autres qui ont préféré rejoindre une autre motion après l’avoir soutenue. SR se présente avec une stature de chef : chef de courant, chef de parti, chef d’une gauche à renouveler.
Deuxième pilier : un art du récit qui délibérément veut se mettre à la portée de son auditoire. Il est sûr que SR cherche à rompre avec les tares du discours technocratique de certains élus ou dirigeants socialistes qui se gargarisent de mots que même un universitaire (j’en suis un) ne comprend qu’après avoir consenti un petit effort intellectuel… Elle a raison. En revanche, dans une réunion qui s’adresse à des militants un peu avertis, elle donne l’impression d’adopter des méthodes de récit empruntées à une presse qui, malgré ses prétentions de sérieux, rapetisse le débat.
Elle a souligné dès le début que les questions de la crise financière ne sont pas compliquées à comprendre. Elle a, un peu plus tard, expliqué que l’essentiel était le « décryptage », notion que « Le Monde » a mis en valeur dans sa page trois depuis quelques années. Voilà ce que cela donne pour les pertes de la Caisse d’épargne, dossier que les lecteurs de Médiapart connaissent bien et pour lequel leur journal numérique est menacé de poursuites. Un trader, malgré les consignes, a « désobéi », il a fait cela tout seul. Le 10 octobre, il y avait une perte de 100M€. On aurait pu intervenir tout de suite. Ce ne fut fait que le 13, il y avait alors 650M€ de pertes. Et voilà le « décryptage ». La création plus que discutable de Natixis, le virage de la Caisse d’épargne vers la liberté financière, le coût de 7 milliards € qu’a entraîné la rupture avec la Caisse des dépôts et consignations : de cela, pas un mot. Ce n’est pourtant pas compliqué à expliquer. Non, il faut montrer que tout était une affaire de personnes, de manque de courage, de copains à Sarkozy (ce qui est vrai), de manque de règles (oui) : il faut un « gendarme » de la banque. Le discours a été filmé, vérification peut être faite. C’est, selon moi, aller dans le sens de la dépolitisation de la société …- et du PS lui-même !
Le discours de SR recourt toujours à des procédés plus traditionnels. Crise financière aidant, une phrase est revenue en leitmotiv : il faut comprendre qu’il y a des gens qui « s’en mettent plein les poches ». Phrase qui fut toujours applaudie – ça se comprend. Mais ce ne fut pas dit à la manière d’un Georges Marchais, avec qui elle a pourtant quelques manières de faire en commun. Un passage de son intervention, quand elle voulait montrer que son analyse était juste et que chacun pouvait le vérifier par lui-même rappelait le fameux débat entre Marchais et Fourcade à l’époque du choc pétrolier. SR s’exprime, elle, non sur le ton de la véhémente indignation mais sur le ton de la confidence indignée qui devait être celui des « veillées » dans nos campagnes au temps où elles n’étaient pas aussi désertifiées qu’aujourd’hui. SR c’est donc un personnage – et un discours complexes.
Après SR, ce fut une courte intervention du député Jean-Patrick Gilles, premier secrétaire fédéral : à la différence de Jean Germain, il a conservé son soutien à SR, même s’il a tenu à assurer une transition, au niveau des contributions, par le pôle écologique.
La parole revient alors à Vincent Peillon, ce qui est assez curieux dans une réunion politique. En général, une fois le bouquet remis à l’oratrice principale, le président de séance (il n’y en avait pas), remercie tout le monde et lève la séance. En fait, on s’est rendu compte qu’il était indispensable à une belle fin de réunion. Dès les premiers mots, Peillon a empoigné l’auditoire. Le contenu était « convenu » : le rappel des heures de gloire de la gauche : il est remonté jusqu’à 1830 et aux canuts (c’était en fait 1831), et a insisté sur les conquêtes sociales dues à la gauche contre une droite qui s’y est toujours opposée. Du coup, ce ne furent plus les applaudissements convaincus mais sages. Ce furent les applaudissements scandés et prolongés. Peillon a fait grimper l’applaudimètre. SR pouvait alors revenir sur scène, radieuse, pour la photo de groupe des partisans de la motion E. De la musique se faisait entendre pendant qu’on annonçait le spectacle « Fleur de peau » pour 21h.
Ce spectacle a provoqué un certain émoi dans le PS. Sa qualité n’était pas en cause. Mais il est une règle au PS : les réunions de motion sont financées par les militants soutenant la motion. Or ce spectacle qui figurait sur les invitations, c’était en un sens un motif supplémentaire pour venir participer à la réunion. Le problème, c’est que le spectacle était financé par convention avec le Conseil général, dont la présidente ne badine pas avec l’utilisation de l’argent public. J’ai cru comprendre que la convention pour le spectacle était en voie de révocation.
Ce qui a choqué aussi à l’intérieur du PS, c’est que cette réunion de motion de type départemental, avec une personnalité nationale, ne doit pas venir en concurrence avec une réunion statutaire de même type (assemblée départementale ou de circonscription). Or il y en avait une : celle de la 5e circonscription où devait intervenir, entre autres, au nom de la motion dont elle est signatrice …la présidente du Conseil général.
Mais ce qui a le plus choqué, c’est que les plus grosses sections socialistes dont le secrétaire soutenait la motion Collomb-Royal ne prévoyaient pas d’organiser la réunion préparatoire de congrès où chaque motion dispose d’un temps de présentation égal avant discussion contradictoire. Ce qui a été interprété (à tort ?) comme la volonté d’éviter le débat statutaire de la part des soutiens de la motion E. La réunion de Montlouis était certes annoncée comme une réunion-débat, mais je puis vous affirmer qu’il n’en a jamais été question. Encore moins de débat contradictoire selon les règles statutaires, puisqu’il s’agissait d’une réunion de motion…
Je donne des faits – au risque de me faire houspiller dans les commentaires. Mais j’assume en toute sérénité.
A bientôt pour le prochain billet : « Les mystères de la motion E (2) ».