Lentement mais sûrement, de façon isolée depuis 10 ans, mais bien plus organisée depuis la conférence de Bali (2007), la pression des collectivités locales sur les Etats ne cesse de s'accentuer et sont dorénavant reconnues comme un acteur à part entière de la lutte contre le dérèglement climatique.Elles partent d'un constat simple : regroupant la moitié de la population mondiale (les trois quarts en Europe), les villes émettent 70 à 80% des gaz à effet de serre. Sans les villes, les Etats seront impuissants à atteindre les objectifs d'un éventuel - et indispensable - accord de Copenhague. Mais, de même, sans les Etats, l'action des villes, même les plus engagées, ne suffira pas à enrayer le désastre climatique annoncé par les scientifiques. Nos destins sont liés, nos intérêts convergents. Avant d'en venir aux discussions et nombreuses rencontres en cours à Copenhague sur la place des villes, quelques rappels sur les épisodes précédents (ceux qui connaissent déjà peuvent passer directement à la partie "Les villes s'organisent pour peser").
Les villes agissent
Les villes n'ont cependant pas attendu la conférence de Copenhague pour commencer à agir. On ne compte plus les villes qui mettent en oeuvre des politiques climatiques ambitieuses : transports collectifs, éco-quartiers, énergies renouvelables, réduction des déchets, isolation thermique des bâtiments, économie d'énergie dans l'éclairage public, alimentation bio, aménagement du territoire, etc. les domaines dans lesquels les villes agissent d'ores et déjà ne cessent de s'étendre.Et cette action se traduit d'ores et déjà par des résultats mesurables. Ainsi, à Paris, la politique des déplacements mise en oeuvre pendant 7 ans a permis de réduire de 9% les émissions de gaz à effet de serre de ce secteur (et Airparif a montré que, sans la multiplication des 4x4 et autres gros véhicules, cette réduction aurait même dû être de 11%). Chaque ville est aujourd'hui à l'affût de toute expérience réussie facilement reproductible, sur lesquelles les échanges sont nombreux entre villes pendant les conférences et entre elles. Parmi celles-ci, vélib reste toujours un "must", la démonstration concrète que la sobriété énergétique est compatible avec plus de qualité de vie, de plaisir urbain, de convivialité. C'est chaque fois un enrichissement d'échanger sur ce projet et ses déclinaisons locales, comme hier encore avec nos amis brésiliens (Alfredo Sirkis, Gilberto Gil, etc.) présents en nombre à Copenhague.
Mais elles veulent faire plus encore
Pour autant, chacun est bien conscient que la multiplication des projets locaux (dont l'efficacité reste souvent difficilement mesurable) permet certes de manifester une volonté, de mobiliser nos concitoyens et de rendre concrète la lutte contre le dérèglement climatique, mais ne saurait suffire.C'est la raison pour laquelle les villes font aujourd'hui pression sur les Etats, non seulement pour que l'accord de Copenhague soit le plus ambitieux possible, mais aussi pour qu'il permette aux villes d'être encore plus efficaces.Deux moyens permettraient d'accroître cette capacité d'action : un renforcement des compétences et des moyens financiers.En ce qui concerne les compétences, la situation varie évidemment d'un pays à l'autre, selon les organisations territoriales, le degré de décentralisation et de fédéralisme. Mais partout les collectivités se heurtent à des obstacles juridiques pour mettre en oeuvre de nouvelles politiques, obstacles juridiques hérités des politiques productivistes jusque là en vigueur.Prenons un exemple en France. Les municipalités peuvent aujourd'hui organiser un ravalement obligatoire des façades par les propriétaires privés. Mais elles ne peuvent faire de même pour la rénovation thermique des bâtiments. Il s'agit pourtant d'un secteur extrêmement énergivore (rien qu'à Paris, la consommation énergétique des bâtiments équivaut à la production de 4 réacteurs nucléaires !). En conséquence, si l'Etat n'est pas prêt à édicter une réglementation commune sur l'ensemble du territoire national, qu'au moins ils permettent aux villes volontaires de le faire, en commençant par les bâtiments les plus énergivores (les bâtiments "passoires"), en l'assortissant par exemple d'aides spécifiques.Autre exemple : aujourd'hui une ville ne peut interdire la circulation des 4x4 et autres gros véhicules en créant des "zones de basse émission". Là encore, l'Etat pourrait autoriser les villes les plus volontaires à agir. Et on pourrait ainsi multiplier les exemples (sur le prix du foncier, les politiques locales de l'énergie, etc.). L'autre axe de renforcement de l'action locale concerne le financement. Car les politiques publiques à mettre en oeuvre coûtent cher. Chacun sait aujourd'hui que, notamment par la vente de quotas d'émissions aux industries les plus polluantes, la lutte contre le dérèglement climatique génèrera des sommes considérables. D'ores et déjà, par souci d'efficacité climatique de l'utilisation des fonds collectés, les villes revendiquent qu'une part significative soit allouée à l'action locale. Sans attendre, les Etats pourraient déjà rendre plus conditionnels les financements existant (par exemple la DGF en France) en instaurant une sorte de bonus / malus climatique (un bonus pour les villes qui créent des tramways et des bus en site propre, et un malus pour celles qui font des rocades).
Les villes s'organisent pour peser
Ces engagements déjà pris, et cette volonté d'action plus efficace, les villes ont commencé à les inscrire non seulement dans leurs Plan Climat locaux, mais aussi dans des appels qui fédèrent aujourd'hui des milliers de villes.Ainsi, au seul niveau européen près de 1000 villes sont déjà signataires du Convenant of Mayors, une convention dans laquelle les villes s'engagent à une réduction de leurs émissions au moins aussi forte que celle de l'Union Européenne (-20 % d'ici 2020), et qui est impulsée et coordonnée par le réseau Energie Cités, dont j'assure la Vice Présidence.Plus globalement, au niveau mondial, les villes du monde se sont organisées au sein de la Local Government Climate Roadmap, qui coordonne l'ensemble des organisations de collectivités au monde et mène depuis la conférence de Bali (Cop 13) un intense travail de lobbying pour que les collectivités soient reconnues lors de l'éventuel accord de Copenhague.Cette plate-forme est pilotée par l'association ICLEI avec CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) qui s'est dotée d'un porte-parole, Ronan Dantec, élu Vert nantais, présent depuis de nombreuses années au sein des réseaux d'élus dans les conférences internationales climatiques. C'est lui qui est intervenu, après les Etats, lors de la conférence d'ouverture de la négociation sur le potentiel texte décisionnel à Copenhague. Et ce sont ces organisations qui rencontrent chaque jour les différentes délégations afin de faire le point sur les négociations officielles et rappeler l'attente des collectivités. J'ai la chance de participer à ces rencontres depuis lundi, avec l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Australie, le Mexique, l'Union Européenne, la Suisse, le Sénégal, etc. Ce mercredi, un accent tout particulier est mis sur la France, cette journée ayant été retenue pour réunir de nombreux élus locaux (65 ont répondu à l'appel) afin de maintenir la pression sur la délégation française.Au coeur de négociations extrêmement tendues, surdéterminées par un profond clivage Nord-Sud, l'unité incarnée par les collectivités constitue un point fort, un point de stabilité, à la fois un exemple et une menace pour les Etats (le risque pour ces derniers d'apparaître comme les seuls incapables de se mettre à la hauteur des enjeux), nous mettant dans une position de force qui se traduit pas un consensus croissant sur la reconnaissance de notre rôle, essentiel pour les villes du Nord mais plus encore du Sud.Cette "diplomatie des villes" prend d'autant plus d'ampleur qu'elle s'exerce y compris directement, via la coopération décentralisée, entre villes du Nord et du Sud. Ainsi, la moitié de cette journée des villes françaises a été consacrée au dialogue avec les villes et pays africains. Un enjeu majeur d'échange de technologies, de savoir-faire, tout autant dans le domaine de la réduction des émissions de gaz à effet de serre que de réduction de la vulnérabilité des villes. Les villes ouvrent la voie. Elles ne pourront tout résoudre. Mais la présence à Copenhague de plus de 1200 délégués des villes montre que dorénavant il faudra faire plus encore avec elles.