Coup de tonnerre à Copenhague hier mercredi quand le petit archipel de Tuvalu s’est dressé face aux grandes puissances (Chine et Inde compris) pour exiger un accord contraignant et non une simple décision à l’issue de ce sommet.
D’un point de vue géopolitique, Tuvalu n’est qu’un minuscule microbe comparé aux poids lourds planétaires. Mais parfois ce sont les microbes qui terrassent même les plus costauds. Et celui-ci, en l’occurrence, dispose d’un argument de taille : Tuvalu n’a rien à perdre. Le dérèglement climatique n’est pas pour lui un sujet parmi d’autres dans son agenda diplomatique. C’est purement et simplement une question de vie et de mort. Tuvalu, comme la plupart des Etats insulaires, est menacé, à l’horizon de 20 à 30 ans, de disparition par la montée des eaux, résultat de la fonte des glaces combinées à la dilatation des océans, deux phénomènes directement reliés au dérèglement climatique.
Comme l’a montré l’excellent documentaire d’Agnès Sinaï, Frédéric Castaignède et Yves Billy « Les derniers jours de Tuvalu », que nous avions eu la chance de projeter en 2008 à l’Hôtel de ville de Paris, il ne s’agit pas seulement d’une tragédie à venir. D’ores et déjà, les conséquences sont dramatiques : non seulement les inondations et les raz-de-marée se multiplient, mais, plus grave, c’est la nappe phréatique de l’île qui est déjà progressivement salinisée, compromettant toute capacité agricole et donc toute autonomie alimentaire de l’île.
À court ou moyen terme, c’est la question d’un transfert massif de population qui risque de s’imposer, rompant avec les racines même de ce peuple, ses traditions et ses modes de vie insulaires. Je ne peux manquer de faire le lien avec l’égoïsme forcené de pays comme la France qui aujourd’hui font la chasse aux sans papiers, veulent construire des lignes Maginot aux frontières et renvoient des réfugiés afghans dans un pays en guerre ! Là où il faudrait une politique solidaire, à la hauteur des responsabilités d’un pays émetteur de millions de tonnes de gaz à effet de serre depuis le début de l’ère industrielle - et qui, en conséquence, devra prendre sa part dans l’accueil des réfugiés climatiques - on nous bassine d’un débat moisi sur l’identité nationale ! S’il y a bien des peuples qui ont légitimité à s’interroger sur leur identité future, ce sont bien ceux des îles dont le destin semble dramatiquement tracé, et non ceux qui tiennent des grands discours sur la solidarité mondiale, à condition qu’elle ne franchisse pas ses frontières.Tuvalu, comme les Maldives (dont le gouvernement avait tenu son conseil des ministres en formation de plongée sous-marine, il y a un mois) ou les îles Salomon (dont l’intervention fut passionnée et poignante ce lundi à Copenhague) ont bien raison de ne pas attendre leur salut de la bonne volonté des pays riches. Et de saisir ici toute occasion de mettre ces derniers face à leur responsabilité.
Ce n’est pas non plus par hasard que Tuvalu a demandé hier que l’accroissement de température moyenne mondiale acceptable soit ramené de 2 degrés (1) à 1,5 degrés. Eux savent bien que cette différence peut tout changer pour eux. Non seulement, il semble que la survie du corail s’y joue, mais plus globalement, on s’accorde à dire que c’est à partir de ce niveau que les dérèglements climatiques pourraient s’emballer. C’est en tout cas ce qu’indiquait le Vice-Président du GIEC, Jean-Pascal van Ypersele, à Paris fin octobre, lors de la table ronde du congrès mondial des météorologues où j’intervenais. Il affirmait que si les dirigeants qui ont fixé l’objectif de 2 degrés il y a quelques années, avaient disposé des informations dont les scientifiques disposent aujourd’hui, ils auraient probablement réduit à 1,5 degré voire 1 degré l’accroissement jugé « acceptable ».
Difficile de dire aujourd’hui si le coup d’éclat de Tuvalu aura constitué un salutaire tournant dans le déroulement de la conférence. Mais que les premières victimes osent ainsi casser le train-train des négociations entre grands Etats -pour rappeler qu’elle doit être tout sauf une négociation internationale classique-, constitue indéniablement une bonne nouvelle.
Denis Baupin
En direct de Copenhague
(1) objectif qui fait actuellement consensus dans les négociations