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Billet de blog 18 septembre 2010

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Paroles de profs homos (2): Visible ou pas?

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À l'occasion de la rentrée, Yagg fait le point sur les questions liées à l'homophobie à l'école. Nous avons interrogé six enseignants et un surveillant, tous homos, sur ces questions à travers une série d'articles. Qu'est-ce que l'homophobie ordinaire dans les cours de récré? Qu'est-ce que c'est qu'être un-e prof gay/lesbienne? Quelle visibilité s'accorder? Quelles difficultés particulières rencontre-t-on alors? Comment parle-t-on d'homophobie et plus largement de discrimination aux élèves? Quel est le rôle de l'Éducation nationale sur ces questions de société?

Découvrez notre tour d'horizon à travers les histoires personnelles, les anecdotes plus ou moins surprenantes ou inquiétantes de nos interviewés, qui enseignent dans des types d'établissements différents, pro ou généraux, sensibles ou favorisés, en province ou en banlieue parisienne, auprès de jeunes de tranches d'âge variables, de la maternelle au BTS…

Après Histoires d'homophobie "ordinaire" à l'école, le premier épisode de cette série publié hier, intéressons-nous aujourd'hui aux enseignant-e-s homos à proprement parler, et à leur visibilité ou au manque de visibilité, aux réactions des élèves, de leurs collègues, de leur direction face à leur sexualité, aux conséquences et aux difficultés bien particulières qu'ils ont à affronter. Comment ces vivent-elles/ils le fait d'être tout simplement elles/eux-mêmes, c'est-à-dire des enseignant-e-s homos?

PAROLES DE PROFS HOMOS (2):
VISIBLE OU PAS?

À la question qui semble un peu bête: "c'est quoi, être un-e prof homo?", la grande majorité de notre panel d'interviewé-e-s s'exclame "bah c'est juste être un prof tout court, c'est pareil!". Pourtant quelques questions plus tard, sur la visibilité, les difficultés, ou parfois les bonnes surprises qu'ils et elles rencontrent au quotidien à être simplement eux-mêmes sur leur lieu de travail, les choses semblent plus complexes…

OUT OU PAS OUT?
La grande majorité des profs interviewé-e-s apprécie les rapports qu'ils et elles ont avec leurs collègues, auprès de qui ils et elles sont "totalement out".

"Avec ma hiérarchie et mes collègues, je suis complètement out", explique Septembre, prof de français depuis 10 ans dans un lycée à Compiègne. "J'ai hésité au début, et puis finalement j'ai fait ce choix et je ne rencontre pas vraiment de difficultés. Avec les collègues, quand je parle de mes vacances, par exemple, je parle de ma compagne, sans problème."

"Auprès de l'administration, ça s'est fait très naturellement", ajoute François, qui enseigne les maths dans la région toulousaine. "Quand je suis arrivé dans l'établissement, j'ai rempli une fiche de renseignements personnels dans laquelle j'ai tout de suite indiqué clairement que j'étais pacsé, j'ai d'ailleurs indiqué le nom et les coordonnées de mon partenaire. J'ai su, quelque temps plus tard, que le proviseur en avait rigolé, mais rien de plus. Je crois que c'est plus facile aussi à vivre quand on est en couple. Quand je parle de ma vie, je ne parle pas directement de mon homosexualité, mais de mon compagnon, et je crois que ça rend les choses plus simples, que ça "normalise", si je peux m'exprimer ainsi, ça rentre dans le cadre du quotidien de chacun: "ce week-end on a fait ça, on est parti là…". Au début, c'était évidement un petit peu plus difficile pour moi, mais aujourd'hui ça se passe très bien. Je n'ai que des réactions positives. C'est agréable. Mais bon, je sais aussi que rien n'est acquis, j'ai aussi des collègues dans d'autres établissements pour qui les choses ne sont pas si simples, il suffit parfois d'un idiot."

Pour Ivan, prof d'anglais, les choses se sont faites également assez simplement auprès de ses collègues de travail et de sa direction: "Je n'ai jamais rencontré de problème, j'ai été suffisamment clair dès le départ, je ne veux pas laisser s'installer de doute. Et puis, ça permet aussi de voir quelle est l'ambiance, quelles sont les réactions parmi les membres de l'Éducation nationale. Réactions qui sont pour l'immense majorité des cas des réactions positives."

"TANT QUE JE N'EN PARLE PAS, JE N'AI PAS DE PROBLÈME"
Simon, surveillant dans un collège dans l'Oise en zone rurale, échappe malheureusement à cette chance d'être lui-même sur son lieu de travail: "Je ne suis out avec personne", admet-il, "tant que je n'en parle pas, je n'ai pas de problème".

Pour Cat, prof de vente dans un lycée professionnel dans le Val d'Oise, les choses sont plus mitigées: "Il n'y a rien de secret, mais il y a des personnes avec qui je n'en discute jamais et d'autres avec lesquels je peux plus facilement en parler si le sujet vient. Au niveau de l'administration, ma proviseure le sait, parce que l'on fait du sport ensemble, mais pour le reste je ne vois pas vraiment l'intérêt d'en parler". Cat a également eu à traverser un petit épisode un peu difficile avec ses collègues de travail au mois de juin dernier, alors qu'elle venait de se couper les cheveux un peu plus courts que d'habitude: "J'ai eu droit à plusieurs remarques homophobes sur ma coupe de cheveux de la part de mes collègues de travail. On m'a dit que c'était "de l'automutilation", ou encore "une volonté de s'afficher"… Mais en 10 ans dans l'établissement, c'était la première fois que l'on me faisait des remarques sur ma coupe. Heureusement, lorsque ces remarques sont arrivées aux oreilles de ma proviseure, elle a poussé une gueulante".

Tout-e-s les profs interviewé-e-s ont, en tout cas, préféré répondre anonymement. "Je ne suis pas prête à ce que l'on tape mon nom dans Google et que l'on tombe sur cette interview. Je ne suis pas prête à être totalement out. Pour moi c'est encore un problème", explique Septembre. Un avis que partagent Emmanuel ou encore Mathieu, qui enseignent respectivement en maternelle et en primaire, et qui s'inquiètent d'éventuelles réactions de parents d'élèves. François dit, lui aussi, "préférer ne pas mélanger vie privée et vie professionnelle" et Simon sent que cela pourrait clairement lui poser des problèmes: "parce que je suis en contrat précaire, renouvelable, qui arrivera à terme au mois d'octobre…".

"LES ÉLÈVES N'ONT PAS À CONNAITRE LA VIE PRIVÉE DE LEURS ENSEIGNANTS"
Dans le rapport aux élèves, les choses sont un peu différentes. Tou-te-s expliquent qu'il est hors de question d'être out avec ses élèves. "Ils n'ont pas à connaître la vie privée de leurs enseignants, qu'ils soient hétéros ou homos", déclarent-ils à l'unisson.

"On ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens", ajoute Ivan. Lui qui a enseigné ces cinq dernières années dans divers lycées pro et généraux – sensibles et favorisés – des Hauts-de-Seine et qui enseigne désormais dans un lycée polyvalent des Pyrénées Orientales, ajoute qu'avec les élèves "il vaut mieux maintenir une ambiguïté, en filigrane, de manière à pouvoir se concentrer sur le travail qu'il y a abattre. Si tu sors de cette ambiguïté, tu ramasses, forcément. C'est courageux mais un peu suicidaire, les élèves auront le sentiment d'avoir un levier pour faire pression sur toi, et tu vas finalement passer plus de temps à devoir justifier ton homosexualité qu'autre chose, alors que tant que ce n'est qu'une possibilité parmi tant d'autres, tu es à peu près tranquille. Je n'ai rien à cacher, mais je ne vais pas non plus leur livrer en pâture des arguments qui vont m'empêcher de faire mon boulot correctement".

"C'EST QUOI CE PROF, EN PLUS C'EST UN GROS PÉDÉ, J'VAIS PORTER PLAINTE!"
Et Ivan sait de quoi il parle. Bien qu'il ait toujours fait ce choix de maintenir cette distance avec ses élèves, cela n'a pas toujours suffi. Il a eu, à plusieurs reprises, à faire face à des confrontations particulièrement violentes avec ses élèves, lorsqu'il enseignait dans des établissements dit "sensibles".

"J'ai eu droit à trois types d'attitudes, en fait. La première, c'est le sarcasme: ce jour-là, parce que tu portes des vêtements un peu trop "tendance" à leur goût ou un peu moulants, ou que dans l'enthousiasme tes bras ont tendance à s'agiter un peu plus rapidement que d'habitude, un élève lance à son pote à voix haute un message clairement dirigé vers toi du genre: "C'est quand la gay pride déjà?". Quand tu te prends ça en début d'année, pour ton deuxième cours avec cette classe, c'est dur et il faut réussir à réagir. Il suffit parfois de se retourner et de répondre "ben le dernier samedi du mois de juin, tu le sais très bien Kevin!", ou de détourner l'attention, ou de l'ignorer, ou de lui rentrer dedans, mais après c'est vraiment à l'appréciation de l'enseignant. Ça peut aussi passer par de petites allusions, un élève qui va trouver tous les prétexte pour utiliser le mot "tapette", ou encore dire "c'est pas un stylo de pédé", sans oublier de te jeter un regard à ce moment-là pour voir ta réaction."

"Ensuite, il y a le comportement que je qualifierai de mi-complice mi-pernicieux, qui consiste à lancer volontairement des pistes de débats qui vont glisser. Et même si le débat du jour c'est "les armes à l'école" ou "la famille", irrémédiablement ils te feront glisser ça vers les homos, vers l'adoption pour les homos, vers "pédé = pédophile"… parce qu'ils veulent te rentrer dedans, te faire réagir… Non pas pour satisfaire leur curiosité mais parce qu'ils ont la conviction intime qu'ils doivent diffuser ce message."

"Pour finir, la troisième attitude, c'est la confrontation directe. Le moment où certains élèves te montrent très clairement qu'ils refusent totalement ton autorité. Cet élève ne veut pas de toi et à chaque fois qu'il le pourra, il te retournera la classe. Le jour où tu décides de réagir fermement et que tu lui dis "À partir de maintenant je ne veux plus te voir dans ma classe, tu me présente sdes excuses devant toute la classe et tu sors", l'élève s'en va en tapant dans les murs et les portes et en hurlant dans les couloirs: "c'est quoi ce prof, en plus c'est un gros pédé!", "est-ce qu'on a le droit d'être prof et pédé!", ou encore "moi je vais me renseigner, je vais porter plainte!". Des phrases toutes faites, du pathos… Ils veulent faire réagir l'autre. C'est probablement une manifestation de leur propre malaise, mais bon tu ne peux pas perdre 29 élèves pour en garder un à tout prix, parfois il faut couper dans le vif."

DES INTERLOCUTEURS PRIVILÉGIÉS POUR CERTAINS ÉLÈVES
Être prof et homo peut aussi réserver d'autres surprises. Cat et Septembre, toutes les deux enseignantes en lycée, sont ainsi devenues des interlocutrices de choix pour quelques étudiants mal dans leur peau ou ayant besoin de repères. "Il y a quelques élèves qui viennent me voir justement parce qu'ils sentent que je suis homo - ils ont déjà leur gaydar bien affuté - et parce qu'ils se sentent ainsi plus à l'aise pour me parler," explique Septembre. "Ça arrive régulièrement, c'est assez marrant. Ils ne me parlent pas forcément d'ailleurs de leur homosexualité de façon directe. Ils vont parfois prendre l'occasion d'un sujet de rédaction, par exemple, pour raconter l'histoire de personnages qui se trouvent être homos. C'est une sorte de coming-out par la copie! L'an dernier, un élève est venu me parler spontanément parce qu'il avait des craintes sur le comportement potentiellement homophobe d'un conseiller principal d'éducation (CPE). Il a dû me sentir plus réceptive, je ne sais pas. Finalement, il s'est avéré que le CPE en question n'était pas du tout homophobe, et qu'il avait juste eu quelques paroles maladroites, mais l'élève se sentait rassuré de pouvoir m'en parler. Ça se fait parfois aussi à demi-mots: les élèves homos viennent davantage me voir en fin de cours pour un tout autre sujet. Certains sont aussi venus me demander des conseils de lectures gays et lesbiennes. Au début c'était un peu déstabilisant, je me suis demandé si c'était écrit sur mon front… Mais en fait je me sens utile, j'ai l'impression de leur servir de repère dans l'établissement. J'ai aussi gardé des contacts avec certains anciens élèves homos, avec des élèves hétéros aussi d'ailleurs, mais ceux qui sont homos ressentent en général un peu plus le besoin de garder contact avec moi, de me revoir, on va boire un verre et là du coup, je deviens officiellement out."

"J'ai eu droit à un certain nombre de coming-outs en direct", confirme Cat. "Tous les élèves, hétéros et homos, viennent me raconter leurs soucis d'une façon générale, mais c'est vrai quand même que plusieurs élèves homos sont venus me voir pour me parler de ce qu'il se passe au lycée, de ce qu'ils vivent dans leur quartier. Je leur donne des numéros de téléphone, je les incite à rencontrer le personnel médical, l'assistante sociale, à consulter des brochures, des sites internet… Je suis en quelque sorte leur interlocutrice privilégiée. Ce sont de jeunes ados, ils ont besoin d'en parler, de le verbaliser. Mais, en fait, je ne suis pas out avec eux non plus, on ne parle jamais de moi, on parle d'eux. C'est leur propre histoire, la mienne ne les regarde pas. De même qu'ils ne deviendront mes contacts Facebook que lorsqu'ils quitteront le lycée."

UNE PEUR POUR LES ENSEIGNANTS D'ÉLÈVES PLUS JEUNES, L'INDÉFECTIBLE AMALGAME AVEC LA PÉDOPHILIE
Le dernier point, douloureux cette fois, soulevé par les professeurs homos qui enseignent aux plus jeunes est la peur de l'indéfectible amalgame homosexualité/pédophilie. Emmanuel est instituteur depuis dix ans, en maternelle et en primaire, et directeur d’une école maternelle à Grenoble depuis trois ans; et c'est sans nul doute ce qu'il redoute plus que tout: "Ce qui me fait le plus peur en tant qu'homme homo en maternelle, c'est l'amalgame homosexuel=pédophile. Je mets toujours des barrières très nettes pour qu'il n'y ait pas de soupçons. Par exemple, je n'accompagne jamais un enfant aux toilettes, je ne mets jamais un pied dans la salle de sieste, je laisse les Atsem [agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, ndlr] s'occuper de tout cela. Je prends toutes les précautions possibles".

"C'est arrivé à quelques collègues d'être accusés à tort de choses terribles. Et même si les parents se sont toujours rétractés et ont admis avoir menti, ce sont des carrières brisées et des vies personnelles brisées aussi. On ne se remet pas facilement des telles accusations. C'est vrai que du coup, je fais beaucoup plus attention que mes autres collègues. Pour nous, en maternelle mais aussi en primaire, ce qui nous paraît le plus dangereux c'est que les parents d'élèves apprennent que nous sommes homos. On a vraiment très peur de cet amalgame. J'ai un secret sur ma vie privée et je fais vraiment attention."

Retrouvez la suite des témoignages des enseignants dans le prochain article de notre série "Paroles de profs homos".

Audrey Banegas

En partenariat avec Yagg.com

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