Billet de blog 17 septembre 2010

Dominique C
J'étais enseignante en milieu rural. Maintenant j'agis dans le domaine associatif...
Abonné·e de Mediapart

Comment devenir polyglotte sans vraiment en avoir eu l'intention

Dominique C
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Toute jeune déjà,  j'étais vaguement attirée par le fait de savoir parler une ou deux langues étrangères. Mais guère plus : quel intérêt? A mes yeux n'existait pas grand chose d'autre que ce qu'on me proposait à l'école...
 
Cela avait commencé avec ce fameux anglais qui montait en puissance dans les années 60. Il faudra bien un jour qu'on s'interroge sur cette "montée en puissance" (pourquoi et comment?)

Nous étions alors complètements "vierges" ou presque: l'anglais était bien moins présent qu'aujourd'hui dans la vie quotidienne. Mais déjà à l'époque il était "entendu" que cette langue constituait un outil incontournable, que c'était le passage obligé pour être vraiment de son époque.
Sans doute une reconnaissance envers les libérateurs de 44, ou une admiration de leur puissance?
J'ai tout de suite aimé l'anglais.
1963: j'ai terminé ma 6ème, et notre petite famille passe un mois en Corse, puisque le mari d'une cousine de ma mère est alors responsable d'un village de vacances à Calvi... 
Et là, voici qu'un matin, deux vieilles Anglaises monoglottes cherchent la poste. Moi, pas trop complexée après mon unique année d'anglais, je la leur indique, en ajoutant que: "The pink house is the post-office". C'est rudimentaire, mais efficace. Les deux mémés britanniques s'éloignent en souriant.

Revient le temps de l'école. Mon collège est situé rue St Benoit, et, pour y aller, je passe souvent du côté de la rue des Canettes... C'est dans ce coin-là (si ma mémoire ne me trompe pas) que je remarque la devanture d'un local qui vante des séjours en Angleterre pour les collégiens et lycéens. Mais mes parents ouvriers, sollicités, sont formels: pas question de m'y envoyer, c'est bien trop cher!!! Quelques années après je me mettrai à rêver de séjour "au pair"... jusqu'à ce que l'idée finisse par me passer...

La découverte de l'italien en 4 ème fleurit en terrain favorable: je suis arrière-petite-fille d'un immigré de Lombardie, et si mon grand-père (déjà!) ignorait tout de la langue de ses aïeux, nous habitons, rue des Quatre Vents, juste à côté d'une épicerie spécialisée dans les produits transalpins. Mr Greppi est un brave homme, et sa moustache frémit d'aise quand il sait que j'entame une année scolaire pendant laquelle je vais étudier sa langue. Quand on se nomme "Varesi", Santa Madonna, c'est tout de même normal de parler italien, no?
Bien que je ne sois pas un cancre en anglais, arrivée en classe de première, j'ai tout de même l'intuition "d'inverser" mes deux langues: l'italien deviendra la "première" et l'anglais la "deuxième". Ce qui se révèlera payant au bac.


Mais un événement a fait que je commence à m'intéresser à l'auto-apprentissage. Je suis Normalienne (oh non, pas de la prestigieuse "Normale Sup", juste une future institutrice étudiant à l'EN du Bourget). Et dans ma "promo", il y a Claire, une belle fille vigoureuse qui m'invitera plusieurs fois à passer des vacances dans le Tarn, à Cordes-sur-Ciel. C'est là, près de Cordes, que je découvre la langue espagnole, lors de soirées très captivantes chez les jeunes de "Hurlevent". Ce sont des enfants de Républicains espagnols réfugiés en France, et quand ils chantent des compositions de Paco Ibanez ou des chants de la République espagnole, je m'aperçois que j'en comprends une grande partie.

Bien longtemps avant les articles de Françoise Ploquin, j'ai découvert l'intercompréhension entre langues latines... Je butinerai alors quelques leçons d'espagnol de la méthode du "reader's digest", puis d'Assimil, mais ce n'est que bien plus tard que je m'y mettrai vraiment.


Car entre temps, en 1985, je rencontre l'espéranto. Une "fana" de la chose m'a fourré "Assimil" dans les mains, et vraiment, quand je feuillette le bouquin, je m'aperçois que je devine le sens de plus de 3/4 des dialogues. Commander les cassettes et progresser dans la centaine de leçons sera un jeu d'enfant. En six mois je peux correspondre; lire des revues... Je ne me sens pas "militante" de la chose, bien que je parle tout de même autour de moi de cette expérience. Au cours des années suivantes, je me remets à l'espagnol et me voici finalement capable de réaliser mon rêve d'ado... Je comprends, lis, écris et parle cinq langues, la 5 ème étant ce fameux "castillan".

Ce que je ne sais pas encore, c'est que l'espéranto va me conduire bien plus loin que ce que je supposais au départ. Il existe des rencontres d'enseignants espérantistes, et cela me tente... me voilà en 87 en Pologne, en 92 en République Tchèque... puis à nouveau en Pologne en 96.
Ces voyages, je n'aurais pas supposé les faire un jour : les pays limitrophes de la France suffisaient à ma curiosité. Mais une fois qu'on a pris contact avec un peuple, il est souvent tentant d'approfondir les échanges avec lui.

A cette époque (et même encore maintenant), en  Europe Centrale (dite autrefois "de l'Est") l'italien est de peu de secours, l'anglais encore très rare. Il vaut mieux, pour se débrouiller avec les autochtones, savoir le russe, ou (à la rigueur) l'allemand.

Ah! L'allemand!!!... Qu'est-ce que je n'ai pas entendu dans ma jeunesse sur cette langue décrite comme "gutturale" ou "difficile"... mais voilà, au milieu des années 90, que je me rends compte qu'elle peut me servir. Je m'y mets donc timidement... Et, si (bien entendu), je n'atteins pas un niveau mirobolant, du moins cela sert-il à faire tomber mes préjugés... Il peut se révéler agréable de parler un peu d'allemand.

Plus tard, je ferai la même démarche avec le polonais... Au point de réussir des embryons de conversation avec des autochtones en 2009, année du congrès à Bialystok, ville d'origine de Zamenhof (on y fêtait alors les 150 ans de la naissance du créateur de l'espéranto). En polonais je peux demander mon chemin, acheter, et même parler de camping-car et de vacances! 


Bien entendu, je ne prétends pas savoir couramment toutes ces langues. Je suis plus à l'aise avec certaines qu'avec d'autres : l'italien et l'espéranto. Mais ce qui est certain, c'est que dans mon cas, l'espéranto a servi de médiateur vers des langues et des cultures qui me seraient restées totalement étrangères (voire "exotiques") sans lui.


L'année 2007 me conduit au Japon, et si aujourd'hui j'ai tout oublié de ce que j'avais appris en japonais (*), je pense tout de même que m'être "frottée" à cette langue a modifié mon regard sur le peuple qui la parle.
Pour d'autres personnes, ce fut le chinois (Putong hua, ou "langue commune"). Ainsi le traducteur et psychologue Claude Piron est-il devenu ce qu'il était, précisément parce que l'espéranto l'avait conduit à correspondre avec un jeune Chinois...


Aux yeux de certains, cette langue auxiliaire, l'espéranto, est une "utopie". Pour d'autres elle  est un agréable passe-temps, mais pour un nombre non négligeable de gens, elle constitue un véritable "marchepied" vers une quantité d'autres idiomes et cultures, ouvrant des horizons qui ont une toute autre saveur que celle du tourisme de masse, du tourisme de consommation.
Bien sûr, on peut faire des rencontres passionnantes au moyen d'autres langues, mais ceux qui ont l'expérience des congrès, séminaires, festivals espérantistes savent de quoi je parle.

Le seul problème étant justement que l'image de l'espéranto à l'extérieur du mouvement n'a pas grand'chose à voir avec cette réalité perceptible de l'intérieur. D'où l'utilité de cette édition "Rencontres avec l'espéranto"... dont j'espère qu'elle contribuera à mieux faire connaître la "langue internationale équitable", rectifiant toutes les idées erronées à son sujet.

Bien entendu, si je comprends largement le portugais et assez bien le catalan, ce n'est pas grâce à l'espéranto, mais à la combinaison français/italien/espagnol. Mais si j'arrive à capter plus de 50% d'un texte simple en néerlandais (tels que panneaux informatifs...) c'est bien grâce aux éléments d'allemand (que l'espéranto m'a conduite à apprendre), combinés avec l'anglais que je n'ai jamais cessé de pratiquer..

Si vous êtes intéressé-e par la diversité linguistique, faites le détour par l'espéranto, et vous verrez, cette langue sera un bien meilleur "médiateur" que le "globish"...

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 * Il me serait néanmoins possible (sinon facile) de "réactiver" ces connaissances, si besoin était....

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