Danièle Karniewicz est présidente de la Caisse nationale d'assurance-vieillesse. Elle est en charge de la protection sociale à la CFE-CGC (cadres).

Notre système de retraites ne se porte pas si mal, il est simplement confronté à un immense défi démographique. Dans les années à venir, il y aura de plus en plus de retraités et de moins en moins d'actifs, ce qui va creuser les déficits de la branche-vieillesse de la Sécurité Sociale. Nous devons aujourd'hui trouver les moyens de pérenniser notre système par répartition car il reste le plus protecteur des régimes : il nous a évité, pendant la crise, les mauvaises surprises vécues par les retraités dans d'autres pays.
Mais une réforme de société aussi importante ne peut se réaliser dans l'opacité, comme ce fut le cas en 1993. Cette année-là, le gouvernement Balladur a instauré le calcul de la retraite sur les 25 meilleures années (c'était dix années auparavant), et consacré l'indexation de chacune de ces 25 années sur les prix, non plus sur les salaires. Les salariés du secteur privé se rendent bien compte aujourd'hui que ces deux effets combinés ont fait baisser le niveau des retraites, de facon d'autant plus conséquente que les régimes complémentaires Agirc et Arrco ont largement amplifié la chute. En effet, le taux de remplacement, c'est-à-dire le niveau entre le montant du dernier salaire et celui de la première retraite ne cesse de baisser.
Nous devons enrayer cette baisse régulière du niveau des retraites. C'est la question primordiale à régler dans ce rendez-vous 2010. Je souhaite vivement que le débat qui s'ouvre puisse poser clairement cet enjeu crucial du niveau des pensions de retraite des salariés du privé, car c'est un point qui est systématiquement occulté. Il serait inacceptable de continuer à baisser subrepticement les retraites "dans le dos des Francais du secteur privé" car ce sont les seuls pour lesquels le problème du taux de remplacement est masqué (bien qu'ils soient les plus nombreux), à l'inverse des salariés d'autres régimes, fonction publique ou régimes spéciaux.
La question à poser aux Francais est de savoir quel type de société ils veulent construire, quel type de contrat social. Veulent-ils défendre un niveau de vie décent pour leurs longues années de retraite, pour celle de leurs enfants et de leurs petits-enfants ? Veulent-ils une retraite correcte en proportion de leurs derniers revenus d'activité, ou préfèrent-ils des mesures d'assistanat pour maintenir en survie des personnes agées en situation de pauvreté ?
Si la réponse des Francais va dans le sens d'une retraite de bon niveau par rapport au dernier salaire, selon la conception historique d'ailleurs de la retraite comme "salaire différé", alors le rendez-vous 2010 sur les retraites doit trouver un large consensus sur les efforts à fournir par tous pour l'obtenir.
Pour cela, un cocktail de diverses mesures parait nécessaire et sans doute incontournable : l'augmentation des points de PIB consacrés à la retraite, le relèvement des cotisations ou l'élargissement de l'assiette des cotisations, la réaffectation des prélèvements actuels en faveur de la retraite, et l'ajustement du temps passé en activité par rapport à l'espérance de vie. Bien evidemment, tout cela doit s'accompagner en parallèle de mesures de prise en compte de la pénibilité au travail et d'incitations à l'emploi des seniors.
Refuser de regarder en face cette logique d'effort maintenant reviendrait inéluctablement à baisser le niveau des pensions de facon drastique, surtout pour les plus jeunes générations, et à basculer peu à peu vers un système à l'américaine, où le libre choix affiché est en fait une obligation de travailler pour éviter la pauvreté. Nous le savons bien, aux Etats-Unis, les plus de 65 ans sont nombreux à conserver un emploi... pour survivre.
Est-ce cela que nous souhaitons ? Je ne le crois pas. Ce qui signifie qu'il nous faut collectivement construire un nouveau contrat social et défendre la retraite de tous les retraités, ceux d'aujourd'hui et ceux de demain, en partageant les efforts afin de ne pas laisser l'intégralité de nos dettes, donc l'intégralité de la facture, aux plus jeunes. Le rendez-vous 2010, c'est un rendez-vous de la reponsabilité collective pour un destin meilleur pour tous ! D'ou l'impérative obligation de le réussir !