Billet de blog 6 janvier 2012

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Lettre ouverte à Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement marocain

Quelques jours après la formation du gouvernement marocain, Abdelhak Serhane, écrivain et universitaire, s'adresse au premier ministre, chef du parti islamiste modéré Justice et développement (PJD): «Nous descendrons tous dans la rue pour défendre nos droits et notre liberté».

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Quelques jours après la formation du gouvernement marocain, Abdelhak Serhane, écrivain et universitaire, s'adresse au premier ministre, chef du parti islamiste modéré Justice et développement (PJD): «Nous descendrons tous dans la rue pour défendre nos droits et notre liberté».

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«Tout le monde prie dans ce pays parce que plus personne ne croit plus en rien (...). Ce pays est dépecé comme un fruit de razzia. Il entrera dans l'Histoire quand le dernier des membres de cette tribu d'«historiques» sera mort.» Mohamed Kacimi


Monsieur,
L'alternance consensuelle de 1998 entre Hassan II et les socialistes avait suscité en nous, les victimes des années de plomb, l'immense espoir, naïf certes, que l'Union socialiste des forces populaires (USFP) changerait les choses en faveur des faibles. Longtemps dans l'opposition, seul parti n'ayant jamais été aux commandes depuis la dissolution du gouvernement Abdallah Ibrahim, nous croyions en eux, en leurs positions critiques vis-à-vis des gouvernements et des partis du Palais. Ils sont arrivés au pouvoir, sont restés le temps de faire fortune, renier leur passé, discréditer leur idéal socialiste et nous dégouter de la politique. D'opposant historique, Youssoufi s'est converti en valet du makhzen. Devenu royaliste dans le tard, l'ancien rebelle a fini par courber l'échine avant d'être jeté comme un vieux linge, laissant derrière lui les relents d'une amère déception populaire et d'un échec politique cuisant. Le pacte qu'il a passé avec Hassan II a entravé sans doute sa démarche et restreint sa marge de manœuvre. Avec ce pacte, il s'est éloigné de la liberté pour épouser la servitude!

Votre parti a gagné les élections législatives du 25 novembre grâce à la peur du printemps arabe et au mouvement du 20 février que vous n'avez pas soutenu mais que vous avez manipulé en l'incitant à ne pas lâcher la pression. La volonté des urnes? S'il aspire au changement, le peuple a été mesuré dans son vote. Personne n'est dupe. Les résultats des législatives, comme ceux du référendum, ne sont ni significatifs ni indiscutables. L'Intérieur est habitué à faire monter la mayonnaise au profit du Palais pour continuer à le duper et à nous décourager. N'ayant pas de majorité confortable, votre parti est déjà pénalisé, fragilisé car contraint à des alliances contre nature. Vous gouvernerez avec des partis discrédités; le PI, le PPS et le MP ont toujours été les serviteurs zélés du Palais. Une chose est sûre. Le PJD ne représente pas le peuple dans sa majorité. Sur 21 millions de Marocains en âge de voter, seulement 8 sont inscrits sur les listes électorales. 6 millions sur 8 ont voté dont 1,5 millions de votes blancs. 13,5 millions de citoyens ont boycotté les élections comme ils ont boycotté le référendum malgré ce qui a été annoncé par le ministre de l'intérieur. Votre victoire, si elle évidente, n'est pas pour autant absolue. Vous la devez uniquement au Palais car elle sert ses intérêts immédiats.

Depuis quelque temps, votre discours et votre attitude ont changé. Vous n'avez pas soutenu les révoltes du peuple dont la destinée est entre vos mains aujourd'hui. Vous n'avez pas cessé de faire l'éloge de la nouvelle Constitution alors qu'elle ne règle pas les problèmes de fond du Maroc. Vous n'avez raté aucune occasion pour rendre hommage au discours royal du 9 mars. Vous avez imploré Dieu pour que le malheur qui a frappé les autres chefs d'Etat arabes épargne le roi du Maroc, défendant sa sacralité et la légitimité de sa commanderie des croyants... Vous avez même justifié, sur Al Jazira, l'absolutisme d'Hassan II. Il y a ce que veut le roi et ce que revendique le peuple. Vous avez fait le choix du roi et vous êtes arrivé au pouvoir. L'Histoire va-t-elle récidiver avec les pratiques détestables du makhzen? J'espère donner tort à Karl Marx qui dit: «L'histoire se répète parfois. La première fois, c'est une tragédie, la seconde fois, c'est une farce.»

Après l'annonce des résultats des élections, vous avez fait allégeance au roi, à Midelt, là où un maire PJD a été arrêté pour corruption. Et, comme Youssoufi, vous avez prêté serment devant lui avant même l'investiture de votre gouvernement. Quel a été le pacte passé entre vous? Youssoufi n'a jamais révélé le secret. «Le chat et le rat, dit le proverbe hébreu, font la paix sur une carcasse.» On ne reste pas longtemps vertueux dans un système où un homme monopolise tous les pouvoirs, transgresse sa propre Constitution en nommant une flopée d'ambassadeurs en dehors de toute consultation démocratique, se mettant en situation de conflit direct par rapport aux indignés de son peuple dont la méfiance se renforce vis-à-vis d'un régime sourd à ses doléances. La nomination de plusieurs nouveaux conseillers, (sorte de gouvernement de l'ombre barricade contre la démocratie) est un second camouflet dont il vous a gratifié, celle de Fouad Ali Himma et Tayeb Fassi Fihri en particulier: Alladina youfsidouna fil ardi wa la youslihoun! (qui ruinent et n'édifient rien sur terre) selon vos propres propos. Ces agissements prouvent que le Palais n'a rien compris aux désordres qui secouent la région. La liberté et la dignité ne sont pas monnayables par le défi mais par la transparence et la bonne gouvernance. Ces «copains» que le Palais veut protéger risquent d'être son désastre!

Vous savez que le discours du 9 mars, la révision light de la Constitution, les élections législatives anticipées et la victoire de votre parti ne peuvent, à eux seuls, assurer la stabilité du pays. Ce ne sont, en fin de compte, que subterfuges et faux-fuyant permettant au système de gagner du temps. Jusqu'à quand? De Tanger à Laayoun en passant par Séfrou et Sidi Ifni, la voix du peuple marocain n'a cessé de gronder avant même le printemps arabe. Imprévisible, la réaction de la rue, car le ras-le-bol est général. Depuis l'indépendance, le Maroc a connu trente gouvernements... Du gâchis pour rien!

Monsieur le Chef de gouvernement,
Le mépris du Palais pour la culture agissante est effarant. Après une presque illettrée à la tête du ministère de la culture, un pseudo philosophe est arrivé pour dégouter les âmes charitables de ce cirque qu'il a géré comme un héritage de famille. Avant de dégager, il vous a adressé une lettre pour vous mettre en garde contre les intellectuels et les journalistes «dont la relation, exécrable avec les gouvernements antérieurs, a empiré avec le gouvernement sortant. Des ministres ont été l'objet de toutes sortes d'injures et de calomnies de leur part, offensant leur amour propre et portant atteinte à leur vie privée». Il a mille fois raison. Nous n'avons jamais toléré les opportunistes, ni les narcissiques, les suffisants mesquins et les lâches instables. Et il s'est toujours trouvé des gens courageux pour les combattus. Un Himmich, qui n'a fait la promotion que de SA propre inculture en tant que ministre, nous donne de l'urticaire. Plusieurs fois, des voix furieuses se sont élevées pour qu'il «dégage». Lui qui a manqué de discernement, vous exhorte à «avoir du courage et d'oser régler les dysfonctionnements du système». Pauvre époque! Je ne ferai pas comme cet individu. Je ne vous demanderai pas de lutter contre les désordres de l'Etat; corruption endémique, injustice, inégalités sociales, misère, passe-droits, mépris, chômage, dépenses publiques, détournement des richesses du pays, abus de pouvoir, manque de liberté, prohibition...

A coups de répression, nous avons intégré ces pratiques honteuses du système dans notre vie quotidienne au point qu'elles font partie intégrante de notre identité et de notre inconscient collectif. Je ne sollicite rien de vous car, avec ou sans vous, rien ne changera fondamentalement dans la vie des sans défense. Depuis cinquante ans, le mal a pris racines dans notre société par les méfaits du makhzen. Moi, je voulais vous exhorte à sauver le système éducatif! Les nantis notables et intouchables ont le collège royal, l'Université Al Akhawayn, l'université internationale, la mission française, l'école américaine, les écoles privées et tant de possibilités à l'étranger. Nos enfants n'ont que l'école publique, devenue une fabrique de générations sacrifiées de chômeurs et d'incultes. La politique démagogique de Hizb l'Istiqlal a anéanti l'école des pauvres à coups d'arabisation et d'islamisation abusifs alors que sa progéniture fréquente les établissements non marocains qui leur ouvrent les portes de l'emploi et de l'avenir. En sauvant l'école on peut sauver le Maroc. Le citoyen cultivé, éduqué, bien formé est un homme libre qui n'accepte ni la tyrannie ni la servitude. Qui possède la connaissance peut avoir la vertu de refuser corruption, injustice, atteinte aux droits de l'homme... Le défi de la réforme de l'enseignement est énorme, certes. Mais la solution existe. Demandez-vous pourquoi l'instruction publique aujourd'hui est un échec total, une catastrophe nationale, alors que celle de notre génération permettait aux enfants des classes défavorisées l'accès aux grandes écoles et aux plus hautes fonctions... La ruine de l'école publique a été un projet politique de l'Istiqlal pour faire place nette à ses rejetons dans la haute administration, les affaires, la politique, la finance, l'entreprise... convertissant nos enfants, au mieux en lecteurs de coran dans les cimetières et pendant les veillées funéraires, au pire en terroristes ou en kamikazes. Le salut de la nation réside dans le salut de ses enfants intelligents mais indigents à qui l'école peut rendre l'intégrité qui leur fait défaut, la fierté, le bonheur d'être enfin des citoyens et non de misérables diplômés-chômeurs qui soutiennent les murs ou s'immolent par le feu devant le Parlement et les ministères. Je voulais ce cri du cœur pour vous. Le cri de tout un pays. Nos enfants sont notre pétrole. Ils sont notre seule richesse et notre unique chance! Malheureusement, l'éducation nationale vient, une fois de plus, d'être livrée à un istiqlalien. Qu'il achève donc l'œuvre de destruction initiée par Azzedine Laraki! Le Pouvoir ne veut pas d'une réforme qui sauve l'école, il veut continuer à dominer un troupeau de moutons comme disent certains de ses responsables quand le peuple dérange leurs desseins. Or, depuis le 16 mai 2003, des béliers égarés commencent à exploser à la figure du makhzen, s'insurgeant contre la hogra (mépris) et l'exclusion dont ils sont victimes...

Le Himmich a raison de vous mettre en garde contre nous. Nous ne laisserons pas ce pays aller à la dérive. N'oubliez pas une chose. Avec le printemps arabe, la peur est tombée et le souvenir d'Omar Benjelloun est vivant en nous. Nos slogans et nos banderoles sont prêts depuis le 20 février. Nous descendrons tous dans la rue pour défendre nos droits et notre liberté. La rue marocaine qui n'adhère à aucun parti, à aucun mouvement religieux, sera désormais votre seule et véritable opposition. Alors, quand nous descendrons en masse dans la rue pour crier notre désarroi, votre ministre de l'intérieur Mohand Laenser enverra sans doute les services de sécurité pour nous tabasser et nous tuer. C'est un habitué du système. Mais quand nous chanterons et quand nous «rapperons» comme Moad Lhaqed contre le makhzen, quand nous publierons une caricature ou un article sur le roi ou son entourage, votre ministre de la Justice et des libertés Mustafa Ramid, donnera-t-il alors l'ordre de nous arrêter, nous juger, et nous écrouer comme c'est la coutume dans ce Maroc de non droit? Demain jugera vos actes et vos paroles ! Les braises du printemps arabe couvent toujours. Ben Ali est en fuite. Moubarak est jugé dans son pays sur une civière. Kadhafi est tué comme un sale rat par les rebelles. La rue au Yémen revendique la tête d'Ali Abdallah Saleh. Saïf al Islam est fait prisonnier. Gbagbo est jugé par la Cour internationale de justice de La Haye. Bechar el-Asad finira comme Kadhafi. Vladimir Poutine finira par «dégager». Les familles de ces charognards sont décimées ou en fuite. A qui le tour demain? La liste est longue et la révolution n'est pas terminée. La crise économique, politique, sociale, culturelle et l'indignation des peuples n'épargneront aucun chef d'Etat, qu'il soit d'Orient ou d'Occident.

Mohammed Khair-Eddine écrivait :
«Toutes les nomenclatures tombent
Au pied d'un mur incandescent
Ces sacs de son qui te condamnaient, peuple,
Ne furent jamais que ton sinistre bâillement»

Trente ministres et UNE femme (pour dire que les femmes sont représentées!) ne suffiront pas à votre ambition ni à votre peine. La lune de miel avec le Palais ne dure jamais longtemps! Les ministères régaliens (indépendants!) contrôleront votre action et s'il le faut, freineront vos ardeurs. «Ne mangez point de cerises avec les grands, dit le proverbe danois, ils vous jetteront les noyaux au nez.» Vous n'aurez la paix ni avec vos alliés ni avec le Palais. Ils vous jetteront avec les noyaux. Aurez-vous le courage politique qui a fait défaut à Youssoufi? Aurez-vous la grandeur d'âme et le discernement nécessaires pour quitter le pouvoir à temps si les pressions deviennent insurmontables ou si ON vous empêche d'appliquer le programme de vos réformes sociales? Le pouvoir qui vous a été octroyé n'est pas sans privilèges ni sans contrepartie. La liberté, l'intégrité, l'honneur et la confiance du peuple en seront le prix. Etes-vous prêts à brader la destinée du peuple et l'avenir pays contre un pouvoir aléatoire?

Je vous souhaite, malgré tout, Monsieur le Chef de gouvernement, de réussir là où tous les autres ont échoué. Je suis marocain comme vous, musulman comme vous. Mais ma marocanité est désintéressée et mon islam n'est pas politique. C'est un islam de tolérance, d'ouverture, de liberté, de respect de la différence. Défendons ensemble ces valeurs, elles relèvent d'un humanisme universel.

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