«Un Etat laïc, Inch'Allah!...» Serait-ce la légende d'un dessin de presse? Pas du tout. Il s'agit de l'une des revendications les plus populaires de la Révolution du Jasmin, en Tunisie. Tout à la jubilation de voir ce peuple ami se soulever et exiger démocratie, justice et laïcité, nombre d'entre nous n'ont mémorisé que la première partie, «l'Etat laïc» en oubliant «Inch'Allah...».
C'est donc avec stupéfaction que les démocraties occidentales, la France en particulier, ont appris les résultats des élections constituantes tunisiennes: le parti islamiste Ennahda de Rached Ghannouchi obtient 90 des 217 sièges de l'Assemblée. D'où leur réaction: «Comment, après la révolution du Jasmin et la fuite précipitée de Ben Ali, les islamistes sont encore présents, en force?»
Lorsque le peuple égyptien s'est soulevé et s'est débarrassé de Moubarak, nous étions peu nombreux, alors, à prévoir que les Frères Musulmans ne se contenteraient pas d'un strapontin dans les négociations. Leur organisation, leur activisme social vis-à-vis des populations les plus démunies, les moyens mis à leur disposition par les royaumes et émirats du Golfe, le fait que leur mouvement ait été interdit sous la dictature du Raïs, sont autant d'éléments qui les mettent en position d'interlocuteurs prééminents face à l'armée.
En Libye, le premier président du CNT déclare que la Charria sera dorénavant appliquée, provoquant l'incompréhension en Europe, particulièrement en France et en Grande- Bretagne: «Comment, tout ce que nous avons fait, pour en arriver là?» Brutale déception certes, mais combien prévisible... Car c'est à présent que le «Inch'Allah» non mémorisé retrouve toute sa valeur: ces trois peuples, en dépit de leurs spécificités, sont majoritairement musulmans.
A force de bénéficier de l'instantanéité dans l'information et dans la communication, via les réseaux dits sociaux (qui ont été des atouts déterminants dans la lutte), nous Européens, imaginons que l'installation de la démocratie suit, dans l'instant, la victoire sur la dictature. Mais la réalité est toute autre... La liberté peut surgir d'une lutte, d'un soulèvement de tout un peuple mais la démocratie demande une pédagogie, une pratique, constantes. Quant à la laïcité, même si elle est décrétée, elle ne s'impose comme valeur universelle que bien plus tard.
Ayons toujours en mémoire qu'en France, cette valeur universelle ne s'est vraiment imposée à l'esprit des Français que dans la seconde partie du XXème siècle... «Laisser le temps au temps...», disait François MITTERRAND. Alors, aidons ces peuples à se familiariser avec la démocratie et la laïcité qu'ils découvrent. Mais laissons-leur la pleine responsabilité de leur futur, si nous ne voulons pas faire insulte au courage qu'ils ont démontré pour se libérer du joug de la dictature.
(paru sur Charente Libre)
Pierre RATERRON est né en Egypte et y a séjourné quinze ans. Il a effectué plusieurs misions culturelles dans les pays arabo-musulmans du bassin méditerranéen . Cette année, il est intervenu lors du colloque « Quel avenir pour l'Egypte ?... » au Sénat.