Billet de blog 3 décembre 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

« On m’a demandé de vous calmer »

Exercice salutaire que Stéphane Guillon nous propose avec son livre « On m’a demandé de vous calmer ». Et il ne s’agit pas simplement de rire ou sourire en lisant les chroniques que l’humoriste-portraitiste a interprétées en direct sur France Inter depuis son arrivée sur l’antenne aux côtés de Nicolas Demorand jusqu’au 16 juin 2009, ici rassemblées. Non, c’est bien plus que cela. 

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Exercice salutaire que Stéphane Guillon nous propose avec son livre « On m’a demandé de vous calmer ». Et il ne s’agit pas simplement de rire ou sourire en lisant les chroniques que l’humoriste-portraitiste a interprétées en direct sur France Inter depuis son arrivée sur l’antenne aux côtés de Nicolas Demorand jusqu’au 16 juin 2009, ici rassemblées. Non, c’est bien plus que cela.

Ce recueil de portraits, chroniques et autres apostrophes est un condensé d’actualité et d’histoires, un résumé de ce pourquoi Stéphane Guillon est depuis adoré ou détesté par ceux qui l’écoutent et ceux qui sont la cible de ses interventions radiophoniques. Le livre aurait pu être thématique (invités triés par classe politique d’appartenance ou selon leur nombre de passages dans le studio) et agencé selon les sujets du jour (soulignons au passage la difficulté de l’écriture à chaud à laquelle se plie l’auteur en fonction des faits du jour). Stéphane Guillon a opté pour la chronologie, depuis son premier jour au 7/10, jusqu’au mois de juin 2009. C’est un an et demi d’interventions matinales qui revit dans les pages de « On m’a demandé de vous calmer ». Et l’on se remémore ce qui faisait la Une, ce qui a fait réagir, ce qui a inspiré (ou non) l’auteur.

Illustration 2
« On m’a demandé de vous calmer » © Stéphane Guillon - Stock

Découvrir a posteriori ce dont il parlait le 1er décembre 2009 quand il ouvrait sa chronique avec ces mots : « Alors, à l’unanimité du jury, Christine Boutin gagne le prix de l’idée politique la plus conne de l’année : ‘héberger de force les sans-abri en cas de grand froid’. Applaudissements s’il vous plaît ! (…) Le choix des températures a été étudié : Mme Boutin et ses conseillers ont fait des essais sur la résistance au froid. Sinon, comment décréter qu’à moins cinq on les laisse dehors et qu’à moins six on les rentre ? »

Ou revivre ce qu’il disait (juste avant l’arrivée de l’invité) quand l’émission accueillait Eric Besson, le 8 avril 2009 : « Ce matin, nous recevons le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale : Eric Besson. Faire son portrait me fait super-plaisir… Ah ouais, merci, merci ! Je sais que je peux être viré fin juin, mais je ne pensais pas qu’on me ferait mon cadeau de départ dès maintenant. »

« On m’a demandé de vous calmer » tient à la fois de l’effort de mémoire et du devoir de se souvenir. Stéphane Guillon n’oublie et n’épargne personne. Mais il serait trop simple (voire simpliste) de réduire ce livre à l’image que les médias (et les récipiendaires des foudres de l’auteur) veulent bien en donner. Stéphane Guillon n’est pas qu’un trublion opportuniste et encore moins un comique à la mode. Stéphane Guillon est un auteur.

Un auteur de textes travaillés, dans le contenu comme dans le contenant. Chroniquer est un art difficile. Minutée, podcastée, son intervention doit (dans le délai imparti) impérativement faire mouche. C’est un travail sous contraintes. Surtout si l'on tient compte de l’heure de diffusion, du choix cornélien du sujet selon l’actualité, selon la personne invitée (et sa personnalité ou son manque d’humour)…

La lecture rend bien cette douleur de faire entrer le propos dans le format de destination. A la lecture, on ne peut s’empêcher d’entendre la voix faussement enjouée, parfois éraillée, de ce show man discret que peut être Stéphane Guillon, l'entendre scander les phrases, accentuer les effets. Comiques ou non. Parce que c’est drôle avant tout, même si les mots se durcissent et se teintent parfois d’humour toujours plus noir, d’insolence outrancière et de provocation. Quand par exemple il « reçoit » Marine Le Pen ou Rachida Dati. Les tournures deviennent plus légères, ironiques et désabusées quand il s’agit de pointer l’absurdité du monde et le non-sens commun à notre époque.

Illustration 3

26 mai 2009. Le Gang des doudous. (La veille, deux enfants de 6 et 10 ans ont été arrêtés à la sortie de leur école à Floirac, Gironde). « Je vais peut-être en choquer quelques uns parmi vous mais moi, je trouve formidable l’idée de Xavier Darcos de vouloir fouiller les élèves à l’entrée des établissements scolaires. Il faut que nos enfants aillent à l’école comme on passe un contrôle à l’aéroport. On confisque les bouteilles d’eau, les objets tranchants et on retire ses chaussures ! Après on fouille un cartable sur deux… Ceux des élèves basanés en priorité… Comme dans les aéroports, je vous dis ! »

Stéphane Guillon colle à l’époque et manie le second degré comme personne, portant le rire de résistance à bout de bras, de toute sa verve. Tout au long de « On m’a demandé de vous calmer », il brocarde, pique, pointe, souligne. Il surligne même. Il grossit le trait pour mieux cibler son propos (et son interlocuteur souvent). Il se sert de la dérision et du sarcasme pour faire jaillir et illustrer les contradictions, osant parfois l’avanie, sans cesse en équilibre sur le fil de ses phrases et de ses mots. Pour mieux tomber juste.

Ecrits, construits (avec Muriel Cousin pour le choix des chroniques), mis en pages et mis à plat, ces textes se suivent et ne se ressemblent pas. Stéphane Guillon peut être tour à tour grave et enjoué (de la franche déconnade au réquisitoire cynique, en passant par la critique assumée), il use de l’autodérision et de gimmicks à l’endroit de ses hôtes pour mieux relier les textes au contexte et s’écarter un court instant du sujet pour mieux y revenir. Ce que la lecture en continu de ce recueil illustre parfaitement, avec le recul, abstraction faite du direct (et de ces inconvénients). Il construit, utilise ses « billets » précédents pour mieux enfoncer les clous, usant avec parcimonie (mais sûrement) de gags récurrents, appelant d’autres textes, d’autres dates, liant les chroniques entre elles (livre en main, on peut aller et venir sur les traitements réservés à un même invité). Stéphane Guillon a retravaillé ses textes, pour leur ôter toute trace d’oralité, pour donner à l’ensemble un corps sur les mots et l’esprit.

« On m’a demandé de vous calmer » est bien plus que la remarque faite à Stéphane Guillon et qui donne son titre au livre. C’est le symbole de l’art difficile auquel l’auteur se livre en direct auprès de millions d’auditeurs presque chaque jour. Un travail qui trouve un prolongement dans l’écrit, après que les paroles et la mémoire des auditeurs se sont envolées.

DB / CM

Illustration 4
« On m’a demandé de vous calmer » © Stéphane Guillon - Stock

« On m’a demandé de vous calmer », Stéphane Guillon, Stock, 333 p., 19 €