Billet de blog 30 mai 2014

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48 heures et non 24

48 heures et non 24: c'est le délai qui doit séparer une mise en demeure d'évacuation d'une éventuelle expulsion. C'est pourtant 24 heures après avoir été « notifiés » que les habitants de six bidonvilles ont été évacués, mardi 27 mai, sur la commune de Corbeil-Essonnes. Loïc Gandais, président de l'Association de solidarité en Essonne aux familles roumaines, roms (ASEFRR, réseau Romeurope), s'en étonne ici. 

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48 heures et non 24: c'est le délai qui doit séparer une mise en demeure d'évacuation d'une éventuelle expulsion. C'est pourtant 24 heures après avoir été « notifiés » que les habitants de six bidonvilles ont été évacués, mardi 27 mai, sur la commune de Corbeil-Essonnes. Loïc Gandais, président de l'Association de solidarité en Essonne aux familles roumaines, roms (ASEFRR, réseau Romeurope), s'en étonne ici. 


En leur temps et bien que manifestement anticonstitutionnelles, voire profondément scélérates, les dispositions de l’article 90 de la loi Loppsi 2 prévoyaient qu’en cas d’installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée, la mise en demeure de quitter les lieux était assortie d’un délai d’exécution qui ne pouvait être inférieur à 48 heures.

48 heures et non 24.

Comme le rappelle Béatrice Mésini (1), la décision du Conseil constitutionnel censurant ces dispositions a permis de souligner à quel point « la faculté donnée à l’habitant et/ou au propriétaire de saisir le tribunal administratif d’un recours suspensif ne saurait constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionellement garantis ».

48 heures et non 24.

Ce lundi 26 mai, à 6h45, des policiers municipaux de la ville de Corbeil-Essonnes ont procédé à l’affichage et à la notification de deux arrêtés municipaux (n° 2014-1442 et 2014-1443, datés du 22 mai 2014) sur six parcelles abritant six bidonvilles, à proximité des axes des routes N7 et N104.

S’inscrivant dans la même logique que celle de l’article 90 précité, les deux arrêtés ont mis en demeure les occupants de quitter les lieux dans un délai de 24 heures à compter de la notification des arrêtés.

24 heures et non 48.

Si les deux arrêtés signés par Jean-Pierre Bechter, maire de Corbeil-Essonnes, sont motivés par une nécessité d’évacuation revêtant un caractère d’extrême urgence, ils ont cependant mis quatre jours pour arriver sur le site, depuis son bureau municipal (soit 96 heures).

96 heures et non 24.

Or, le même arrêté, conjointement notifié au préfet de l’Essonne et au commissaire de police, a mis beaucoup moins de temps à leur parvenir, comme l’atteste la lettre adressée par nos soins au procureur de la République d’Evry l’avertissant personnellement du fait que le commissaire de police s’était déplacé le 19 mai dernier pour informer publiquement les occupants de la parcelle 354 qu’ils seraient évacués dans sept jours.

168 heures et non 24.

Il va de même pour Bernard Schmeltz, préfet de l’Essonne, qui a pu, en l’espace d’un instant – puisqu’officiellement averti le 26 mai – décider de prêter main forte pour l’exécution de ces deux arrêtés et mobiliser plus de deux cents CRS, à pied d’œuvre mardi 27 mai, dès 8 heures, en vue de procéder à l’évacuation. Notons au demeurant que la notion d’évacuation est impropre puisqu’il y a démolition conjointe et systématique des abris.

La Maison des Solidarités de Corbeil-Essonnes, bonne fille s’il en est, avait elle-même passé commande dès le jeudi 22 mai d’au moins 200 plateaux repas en vue de l’évacuation du mardi 27 mai. Soit un tour de force extraordinaire, car elle ne figure aucunement sur les destinataires officiels des arrêtés.

120 heures et non 24.

Que déduire et que comprendre de ces variations chronologiques au travers desquelles une information a pu être reçue avant même d’avoir été notifiée, voire se transmet par télépathie, ou alors, ne se transmet conjointement aux destinaires principaux qu’avec extrême lenteur, malgré son caractère d’urgence ?

Soit Bernard Schmeltz est un génie, capable d’invalider la théorie générale de la relativité découverte par Einstein en comprimant au-delà de toute possibilité physique l’espace-temps essonnien.

Soit Bernard Schmeltz s’affranchit du contrôle de légalité des actes administratifs qui lui échoit et accepte sans sourcillier de mobiliser en un clin d’œil les forces de l’ordre, en application d’un acte administratif judiciairement condamnable et dont la légalité doit pouvoir être simultanément contestée devant les tribunaux aux fins de préserver les droits de la défense ainsi que les libertés fondamentales.

Soit Bernard Schmeltz estime que l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la loi Loppsi 2 n’est pas une raison suffisante pour ne pas imposer aux familles démunies un délai encore plus court que celui intialement fixé par cette même loi.

Car ce délai interdit de facto l’exercice d’un droit de recours effectif par les concitoyens dont il veut le départ et met par ce biais un terme aux procédures contentieuses parallèlement engagées devant les magistrats de l’ordre judiciaire, seuls compétents pour trancher des litiges concernant le caractère illicite de l’occupation de terrains.

Quelques heures seulement après l’évacuation, voici la réaction étonnée d’un hôtelier chargé d’accueillir quelques familles à Chelles (77) : « Mais vous deviez pas arriver hier au soir ? »

Quelques heures ont ainsi suffi pour effacer les efforts accomplis jusque là par les familles elles-mêmes et pour retourner au point de départ intial: la galère…

Et comme ligne d’horizon : un rapport annuel d’Amnesty International qui ne manquera pas de s’alourdir.

(1) in « Considérant qu’il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir », Post-Editions 2014.

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