Les invités de Mediapart
Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Rushes

Suivi par 74 abonnés

Billet de blog 12 juin 2013

Les invités de Mediapart
Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.
Abonné·e de Mediapart

Voir le monde avec Jean-Claude Biette

La Cinémathèque rend hommage au cinéaste et critique Jean-Claude Biette, disparu il y a dix ans. L'occasion pour l'actrice, réalisatrice et critique Ysé Tran d'évoquer cet homme dont les films « marquent la mémoire » et donnent la « sensation rare de voir enfin le monde, dans sa complexité et son mystère ».

Les invités de Mediapart
Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Cinémathèque rend hommage au cinéaste et critique Jean-Claude Biette, disparu il y a dix ans. L'occasion pour l'actrice, réalisatrice et critique Ysé Tran d'évoquer cet homme dont les films « marquent la mémoire » et donnent la « sensation rare de voir enfin le monde, dans sa complexité et son mystère ».


Jean-Claude Biette est l’un des plus grands critiques de cinéma. Dix ans après sa mort, il est temps de prendre conscience de son talent.

Il n’y a qu’une seule façon de maintenir les films vivants dans la mémoire, c’est d’en refaire, au présent, l’expérience.

Un film, à chaque vision, est pour Biette un arbre qui donne toujours de nouvelles fleurs. Ce qu’il écrit en faveur des films oubliés ne le rend pas injuste à l’égard des films nouveaux. Il jette des ponts entre les uns et les autres. Citons quelques-unes de ses découvertes, redécouvertes et boussoles : les Straub, Godard, Oliveira, Kiarostami, Monteiro, Rohmer, Pasolini, Eustache, Vecchiali, Chaplin, Dwan, Tourneur, Lang, Rossellini, Browning, Walsh, Hawks, Murnau, Mizoguchi, Ozu, Sirk, Welles, Renoir...

Avec une franchise d’approche, il déboulonne l’histoire toute faite du cinéma, retenant d’une poigne ferme les films négligés, et les films invisibles, ceux dont l’exploitation commerciale est limitée. Biette, dit-il lui-même, met « un point d’honneur à toujours aller en sens inverse de la facilité digestive des “ nouveaux cinéphiles ” ». Une lente maturation le caractérise. Après vingt ans de collaboration régulière avec les Cahiers du Cinéma, il écrit des articles de fond, les « Cinéma-chroniques ». Au même moment, il devient producteur pour Radio-France d’émissions de musique classique et contemporaine. Ses introductions, apparemment discrètes, laissent poindre un enthousiasme pour chaque chef d’orchestre, chaque interprète, que l’enregistrement soit récent ou historique. En 1991, il participe à la fondation de la revue Trafic avec Serge Daney. D’une rare puissance intellectuelle, d’une clarté sans égale, Biette n’impose jamais sa culture. Il trouve que la culture est souvent mal vécue, intimidante. On sent, dans ses chroniques, un besoin intime de mise à jour.                                     

Arrivé à Rome à 22 ans, il devient le collaborateur de Pasolini et tourne ses premiers courts-métrages. Quelques années après son retour en France, il réalise en 1977 son premier long-métrage, Le Théâtre des Matières. Biette tourne avec des budgets réduits, dans le sillage de Rohmer et d’Eustache. Le Complexe de Toulon, Saltimbank, et toutes ses fictions cocasses parlent d’inconfort, de précarité. Nombreux sont ses personnages qui cumulent plusieurs petits boulots pour survivre. Loin de Manhattan est peut-être son film le plus comique. Et l’humour de Biette est tellement réjouissant, qu’il ne vous reste plus qu’à en devenir les cobayes.

Ne correspondant à aucun genre, ses films naissent d’observations et d’impressions du présent. On a la sensation rare de voir enfin le monde, dans sa complexité et son mystère. Le champignon des Carpathes est trouvé près de la Tour Eiffel après un accident nucléaire. Et personne ne sait humaniser l’atmosphère comme Biette.

L’éclat mat de ses films, leur étrangeté, leur dialogue riche en invention, la discrétion de la mise en scène, la poésie, d’autant plus bouleversante qu’elle y est quotidienne et doucement déroutante, l’apparente simplicité, toutes ces qualités parient sur l’intuition du spectateur : et les films de Biette marquent la mémoire. Les actes les plus beaux sont souvent les plus désintéressés. Biette est un exemple moral, il n’a jamais cherché la gloire et ne s’est soumis qu’à sa conscience, qui comme sa syntaxe, est incorruptible.

Ysé Tran

Trafic n° 85, Jean-Claude Biette l’évidence et le secret, printemps 2013

Rétrospective des films de Jean-Claude Biette à la Cinémathèque française, du 12 au 24 juin 2013. Le complexe de Toulon est suivi d’une table ronde, samedi 15 juin à 14h30.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte