« Il faut être un génie pour vivre de sa plume lorsqu'on est romancier ». Saisie au détour des dialogues du magnifique et dramatique Tetro, cette phrase met à jour la relation ambivalente de Coppola à la littérature. Il l'admire plus que tout ; et s'en veut de n'être pas devenu écrivain. Ce complexe d'infériorité est au cœur de ce nouveau film shakespearien, il en est le moteur le plus puissant, plus encore que les obsessionnelles rivalités familiales.
Tetro est seulement le troisième film écrit par Coppola lui-même, le premier depuis Conversation secrète. Trente-cinq ans plus tard, après avoir adapté de nombreux romans - Le Parrain, Dracula mais aussi Au cœur des ténèbres -, Coppola revient à l'écriture pour en faire même l'un des thèmes centraux d'un film où l'on entend discrètement cité le nom de Roberto Bolano. La littérature y est célébrée, comme un pays quasi-inaccessible, cette Patagonie de glace où se déroule un improbable festival, animée par une toute puissante critique littéraire - instance du jugement suprême pour Coppola, l'homme qui fait Zoetrope All-Story, l'une des plus belles revue de fiction jamais imaginée.
Ecrivain sans œuvre, plus que raté, Tetro (Vincent Gallo plus Vincent Gallo que jamais) voit son manuscrit repris, réarrangé, achevé, pillé par un autre, Bennie (Alden Ehrenreich, petit frère ou fils de Leonardo Di Caprio). « Tu es un voleur ! Pire encore : un plagiaire ! » lui crie Tetro. Conscient d'avoir pillé et plagié les œuvres d'artistes qu'il estime plus que n'importe quel cinéaste, Coppola se rachète avec ce film si génial qu'il risque fort de ne pas vraiment lui permettre, cette fois, de vivre de sa caméra.