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Sciences Po(pulaires)

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Billet de blog 8 septembre 2024

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République Zéro : Et si nous faisions une chaîne Youtube autogérée ?

Mes amis, bienvenue dans ce premier épisode mensuel de Sciences Po(pulaires), notre rendez-vous d’éducation politique. Aujourd’hui, nous allons discuter d’un sujet central : la République. Alors, qu’est-ce qu’être républicain ? Est-ce un idéal noble, ou juste un concept vide de sens qu’on utilise sans réfléchir ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ces dernières années, les discours autour de la République se sont multipliés : Jean-Michel Blanquer évoquant les "tenues républicaines", ou encore des expressions comme "arc républicain" utilisées dans le débat public, jusqu’à des termes officiels comme "Quartier de Reconquête Républicaine". Plus absurde encore fut le jour où Nicolas Sarkozy nous gratifia en discours "qu'une double ration de frites, c'est ça la République !"

Mais à force de l’entendre dans tous les sens, qu’est-ce qu’on retient vraiment de ce mot ? Que signifie "être républicain" aujourd’hui ? Et surtout, est-ce que cela a encore un sens ?

On nous bassine, depuis nos bancs d’école, avec des Clovis, des Louis XIV, comme si la politique, c’était une histoire de têtes couronnées, une galerie de portraits pompeux, une revue de célébrités. Oh, certes, on nous dira que la monarchie a marqué notre histoire, mais est-ce bien la question ? Est-ce là où doit se fixer notre regard ? Cherche-t-on à éduquer des enfants-rois ou des enfants-citoyens ?

Alors, nous apprenons à connaître les grandes figures de la République : Clémenceau, De Gaulle, et tant d’autres. Mais ces noms, ces hommes, sont-ils la République ? Ou ne sommes-nous pas plutôt en train de manquer l’essentiel ? Ce qui est en jeu, ce sont les institutions, non pas ces figures qu’on dresse comme autant de statues de marbre, mais l’édifice même sur lequel nous vivons, où nos libertés se négocient jour après jour. Bâtir des gloires individuelles nous permet-il réellement de comprendre les subtilités de la construction d'institutions collectives ?

Le programme scolaire nous enseigne que la République est antimonarchique et anticléricale. Vrai pour la première proposition, faux pour la seconde. Quand on arrive au lycée, on aborde la politique à travers les philosophes grecs comme Aristote ou Xénophon, des penseurs vieux de plusieurs millénaires. Ce n’est pas que leurs idées soient inutiles, mais cela revient à apprendre à conduire une voiture en étudiant le manuel d'utilisation de la calèche. Cela nous éclaire-t-il vraiment sur notre République actuelle ?

America !

En dehors des classes, que voyons-nous ? Des hommes d’affaires prêchant l’évangile du leadership, dressant chacun à devenir roi en son royaume, à bâtir son empire, pendant que, de l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis nous inondent de leur modèle.

On entend souvent dire que les États-Unis ont trente ans d’avance sur nous, mais c’est oublier que, dans bien des domaines - l'aviation pour commencer - ils sont en fait en retard. Pourtant, leur influence sur notre façon de voir la politique est indéniable : n’avons-nous pas intégré l’idée que « républicain » rime avec conservateur ? Comme si c’était écrit dans la pierre ! Mais cette association est récente, elle date des années 1960, tout comme l’aspirateur ... Aussi surprenant que cela puisse paraître avant cela, c’était le Parti démocrate américain qui défendait la ségrégation raciale, tandis que les républicains, eux, étaient les progressistes.

Cette transformation, l'échange des idéologies progressiste et conservateur entre les deux parties américains, s’est opérée sous l’influence des Dixiecrats, des démocrates du sud des États-Unis, qui, après les années 1960, ont basculé du côté des républicains. Depuis, on a commencé à associer "républicain" à "conservateur". Mais comme souvent, les États-Unis ne sont pas un modèle universel. Leur système politique, comme leurs courses automobiles où l’on tourne en rond, est simplifié à l'extrême, favorisant le spectacle, et n’a pas grand-chose à voir avec le nôtre.

Historiquement d'ailleurs, les termes République et Démocratie ont souvent désigné des régimes idéalisés, mais dans les faits, ces régimes étaient souvent des oligarchies, des systèmes où une petite élite détenait le pouvoir. Même les fondateurs de la République américaine, comme Alexander Hamilton, soutenaient que dans une démocratie représentative, le pouvoir devait rester entre les mains d’un petit groupe*

La république complexée

En France, la République a aussi une histoire complexe. Loin d’être ce modèle de liberté et d’égalité que l’on imagine, elle a commencé de manière imparfaite. Dès sa naissance après la Révolution française, la République n’accordait le droit de vote qu’à une petite partie de la population : pas de vote pour les femmes, les Noirs ou les indigènes, et même pour les hommes, c’était souvent un vote payant et indirect. Puis, à mesure que la Terreur avançait, la République s’est resserrée encore plus, jusqu’à devenir le terrain de quelques privilégiés. Le Directoire, puis le Consulat dirigé par Napoléon, n’étaient guère plus que des régimes oligarchiques, où une poignée d’hommes détenaient tout le pouvoir.

Avec Napoléon, la monarchie fit son retour, avant qu’en 1848, une nouvelle République soit proclamée. Entre-temps, pendant plusieurs décennies, à peine 3% de la population avait le droit de vote. Autant dire que la France n’était ni une véritable République ni une démocratie, mais plutôt un club VIP fermé réservé à quelques privilégiés. Et si l’on remonte encore plus loin, à la démocratie athénienne ou à la République romaine, ces systèmes excluaient la majorité de la population de la participation politique.

Aujourd’hui encore, le débat sur ce qu’est vraiment la République continue. Deux visions s’affrontent : une vision prescriptive, qui essaie de définir la République en se basant sur l’expérience passée, souvent proche de l’oligarchie ; et une vision descriptive, qui cherche à montrer comment nos régimes actuels s’approchent d’un idéal républicain, celui d’un pouvoir partagé par tous, un idéal qui n’a, en réalité, jamais vraiment existé.

C’est pourquoi il est si difficile de définir précisément ce qu’est la République. Ce débat ne se résoudra pas simplement en regardant l’histoire, car la République, et c'est une constante en politique, malgré les millénaires, est un concept en évolution, tiraillé entre ce qu'elle fut, ce qu'elle aurait dû être et ce qu'elle est - sans même évoquer ce qu'elle sera.

Alors plutôt que d'attendre tout de la théorie et des politiques, pourquoi ne pas proposer la République de nous-mêmes, par nous-mêmes ?

La République de tous les jours

Aujourd'hui, la République, ce n’est plus simplement une affaire de grandes institutions et de lois gravées dans le marbre, c’est aussi un concept qui imprègne notre quotidien, souvent sans que nous nous en rendions compte. Prenez les applications comme Trader's Republic, qui promettent à tous de devenir des magnats de la finance, ou encore le jeu Rider’s Republic, où chacun peut partager l’excitation de la vitesse et de la liberté à deux roues. Ces produits s’approprient l’idée de la République pour vendre du rêve, mais ils en trahissent l’essence : la République, mes amis, ce n’est pas un slogan publicitaire. Ce n’est pas un simple cadre vide qu’on remplit avec nos fantasmes individuels. C’est d’abord et avant tout une conquête, arrachée par le bas, une œuvre collective née de la volonté du peuple de reprendre son destin en main.

Pourtant, à l’heure du monolithe de YouTube et des réseaux sociaux, où tout le monde semble pouvoir exprimer son opinion, où est la véritable République du peuple, celle où chacun aurait une voix égale, une chance d’être entendu ? La majorité des chaînes sont détenues par des individus, quelques rares par des collectifs, mais où est la chaîne de "personne" ? Celle qui n’a ni visage, ni propriétaire, celle qui serait façonnée par et pour les citoyens ordinaires, sans maître, sans vedettes imposées ? Où est cette République qui serait l’incarnation même de la liberté d’expression partagée, où chaque voix aurait sa place, non pas selon le bon vouloir d’un algorithme, mais selon la volonté de tous ? 

Et oui, on ne rappellera jamais assez que le meilleur outil de lutte contre l'automatisation et les algorithmes ... c'est l'humain.

La République, quelle que soit sa forme — représentative, directe, ou encore conseilliste —, n’existe vraiment que lorsqu’elle est mise en pratique. Il ne suffit pas de la proclamer, encore faut-il la démontrer, la vivre ! Et cette démonstration, c’est à nous de la faire.

Imaginez un instant : une communauté qui s’organise, non pas dans les hautes sphères du pouvoir économique, mais sur des plateformes accessibles à tous. Un simple Discord, un groupe WhatsApp ou Telegram où chacun pourrait rejoindre un collectif de curateurs, non selon des critères arbitraires mais selon ses préférences, sa passion, sa localisation, son âge, ou même sa profession - peu importe en réalité. Un lieu où nous pourrions recommander des contenus ensemble, voter sur ce qui doit être mis en avant, et gérer collectivement une chaîne qui appartiendrait à tous et à personne à la fois. Là réside l’esprit républicain, non dans des lois figées, mais dans l’action collective, l’initiative citoyenne.

Alors, mes amis, cessons d’attendre que d’autres définissent pour nous ce qu’est la République. N’attendons pas des politiciens ou des philosophes qu’ils nous disent comment elle devrait être. Reprenons les rênes, inventons notre propre République, celle de tous les jours. Organisons-nous, discutons, bâtissons des espaces où chacun peut participer, où l’égalité n’est pas qu’un principe écrit dans les constitutions, mais une réalité concrète. Le pouvoir du peuple ne se donne pas, il se prend. C’est par nous-mêmes et pour nous-mêmes que nous devons créer cette République vivante, active, vibrante.

Le combat ne se mène plus seulement dans les urnes, mais dans chaque geste quotidien, dans chaque initiative collective. C’est là que réside l’avenir de la République. Ne laissons plus les autres en décider à notre place. Soyons acteurs, créons, et faisons vivre ce grand idéal qui, depuis toujours, n’attend que nous pour être enfin réalisé.


Illustration 1

CC.

* "But a representative democracy, where the right of election is well secured and regulated & the exercise of the legislative, executive and judiciary authorities, is vested in select persons, chosen really and not nominally by the people, will in my opinion be most likely to be happy, regular and durable." From Alexander Hamilton to Gouverneur Morris, 19 May 1777

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