Billet de blog 22 août 2012

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L'été avec René

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Tout le monde le sait : j'ai été toute une soirée, amoureuse de René Frégni. Bien que j'aie tendance à me prendre de passion pour tous les écrivains mâles (Stephen King en l'occurrence mais pas que.) de ma bibliothèque, cette tendresse que j'ai éprouvée pour cet homme-là m'a dévorée suffisamment pour que je me fasse presque tous ses bouquins, que je me les récite, savourant sur ma langue la drôle de manière qu'il a de mélanger les mots.

C'est donc dans ces lectures que je me suis rendu compte de tout un univers de tendresse, d'érotisme, de douce volupté offert par l'auteur, et que je vous invite à parcourir avec moi, dans des morceaux choisis, si difficilement choisis. 

La Fiancée des Corbeaux.

 Le silence est entré dans la ville. Il est descendu des collines, s'est glissé sous les porches. Il a filé dans les ruelles courbes, contourné les fontaines où s'ébrouent les pigeons. Le silence encore chaud des pinèdes est entré dans cette ville d'ombre, il s'est assis sur les bancs de pierre derrière les églises.

J'aime cette odeur de rivière et d'enfance, ce silence d'arrière-saison loin des écoles, et l'or tigré des peupliers entre la vigne et l'eau.

Nous allons nous asseoir à l'ombre du noyer, sur l'un de ces murets, et nous partageons les grains à la peau épaisse. Lili me dit que ses six filles ne viennent jamais le voir. Il n'en a qu'une, Isabelle, l'institutrice qui fait ses courses à Manosque. Je suis amoureux du calme de ses yeux. Des yeux gris-vert, semblables aux cloches de bronze des vieilles abbayes

Est-ce que je franchirais deux rivières pour venir garder Lili au milieu des collines s'il n'y avait pas la beauté calme de ces yeux ?

Je garde Lili et j'entretiens ces trois petits hectares que les genêts et les ronces menacent dès qu'on tourne le dos. J'adore ces premiers feux d'automne après un chocolat. Les danseurs rouges des flammes, courts, nerveux, les longs danseurs bleus de la fumée. Je vais d'un talus à l'autre avec ma boite d'allumettes, la fourche, un vieux journal. J'aime les soirs d'octobre dans ce petit vallon, l'odeur de la fumée dans mes cheveux, ma chemise et ces petits danseurs partout qui égratignent la nuit.

Je vous ouvrirai les yeux bandés (nouvelle publiée dans Maudit le jour)

« Ce sont mes nouvelles, je ne sais pas du tout laquelle vous lire »

« Lisez-moi votre préférée, celle qui vous secoue le plus »

Souffle coupé, le faux écrivain écoute. La voix de l'élève infirmière n'hésite plus, elle puise dans l'histoire son assurance, sa sensualité.

A mesure qu'elle lit, sa robe s'ouvre et coule de chaque côté de ses genoux croisés. Les deux pans de tissu glissent sur les jambes lisses. L'homme est ébloui. Lentement la robe fuit, dévoilant la longueur de la cuisse, jusqu'au plis de l'aine.

Brusquement la bouche de l'homme se dessèche. Il écoute et il voit. Il aperçoit sur la hanche la fine dentelle d'une culotte. Un trait sur la chair qui n'est plus dorée mais pâle. C'est là qu'il aimerait mordre, lécher, déchirer à belles dents cette petite fumée de soie.

Ce seul mot fouette son ventre et il n'a plus qu'un but dans la vie : lundi six heures. Qu'importe qui des deux manipule l'autre, une obsession l'envahit, déchirer d'un coup la robe noire et parcourir avec sa langue l'intérieur tendre des cuisses et le ventre. « Je vous ouvrirai les yeux bandés » Cette phrase perfore sa tête comme un train déchire la nuit.

Virage sud (Maudit le jour)

 Les années ont passé. Le soleil a blanchi les os de cette ville, le mistral chaque été a séché les collines et moi, depuis quarante ans, je marche dans ces rues. Je traverse ces quartiers où le linge claque dans le ciel, je longe des boulevards, je débouche sur des places et sous cette immense lumière du ciel et de la mer partout des enfants crient, courent et tapent dans un ballon.

Eté comme hiver, sous cette lumière cruelle, les mêmes hommes frénétiquement tapent dans un ballon pour oublier le temps. Leur torse nu reçoit la morsure de la pluie, du soleil et du vent. Sur leur crâne rasé noirci par le mistral courent les routes de leurs longues cicatrices blanches, les routes effrayantes de leur destin de parias. Ils ont des voix brutales pour se lancer des mots d'enfant. Les mots naïfs et beaux qu'on entend dans les écoles.

La prison abrite un peuple d'enfants blessés et dangereux. Chaque but qu'ils marquent claque comme une évasion. Du haut des miradors les surveillants écoutent gravement ces cris de guerre rebondir sur les murs. Ces hommes n'ont plus d'âge, leur patrie est le temps.

Quand on n'a plus rien, l'extraordinaire voyage de cette petite boule de cuir vers le soleil et les étoiles aura toujours plus de prix que tout l'or du monde entre les mains de ceux qui ont depuis longtemps oublié qu'ils furent un jour des enfants.

L'homme qui passe (Maudit le jour)

L'homme marchait maintenant dans la plaine. Un sourire semblable à celui de la maman flottait encore dans ses yeux. La petite Marie ne le saurait sans doute jamais, elle avait offert à cet homme perdu une fabuleuse nuit de noël et la force d'avancer un peu plus loin vers des villes inconnues.

Là-bas, sur les plateaux de lavande, les petites mains bleues de l'aube écartaient la nuit.

L'été

«Ici on vous accueille les bras ouverts. Ouverts ils le restent longtemps. Ce n'est pas souvent qu'ils se referment sur vous avec tendresse. »

« Les lits aussi s'ouvrent facilement, seulement les lits. J'ai fini par rencontrer un homme qui ne ressemblait pas aux autres, un être sauvage qui ne fait pas de concessions. Tout le monde me souriait, lui non, il était le seul à être sincère, il ne souriait pas à mes fesses, il me regardait droit dans les yeux. »

Si rares sont ces instants, si délicats. Si délicate la perfection. Belles les rues, propre la vie, gentils les chiens. Crier, gambader, grimper, oui. Trouver un seul mot, je ne le pouvais pas. Je n'en cherchais pas. Je suis allée nous refaire deux cafés. Elle n'a pas dormi ai-je pensé, elle est encore plus belle qu'hier soir. Avais-je dormi, moi, son visage sous mes paupières ?

Paul,

Cette lettre t'étonnera sans doute. Elle m'étonne moi-même. Tant mieux, c'est son but. J'aime brusquer.

La prochaine fois que je viendrai chez toi laisse ton corps parler, libre. Je ne suis pas de ces femmes, renversées sur un divan, qu'on ouvre en dix minutes chrono. Mais une femme peut être toutes les femmes et dix minutes fusionnelles valent mieux que des nuits qui s'étirent, ternes et arides. Je n'ai pas changé. Aucune envie ne m'habite. Pour cela il te faudrait m'apprivoiser comme un renard, mais tu n'es pas un prince. Disons plutôt qu'il s'agit d'une forme de curiosité étrange, même pas perverse. N'aie aucune inquiétude, je reste ton amie. L'attirance physique qui te mord sera conduite à son terme. Tu t'apercevras que, comme toutes, j'ai deux jambes, un ventre et des seins érectiles.

Le regard d'un homme aux aguets est limpide.

C'est un exercice difficile que de partager des extraits si brefs pour y découvrir la beauté d'un texte, d'un livre, d'une nouvelle. Ces petits morceaux de délice sont tirés de trois livres dont vous découvrez le titre juste au dessus des extraits. Ils sont servis en vrac, simplement pour évoquer l'émotion d'une phrase ou d'un mot, cette émotion qui permet de s'évader loin, avec un livre entre les mains.

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