Billet de blog 6 août 2009

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Lettre ouverte à monsieur Bernard-Henri Lévy (#6)

Par des militants socialistes de la section de Montreuil (Seine-Saint-Denis): Daniel Bailly, Ariana Bobetic, Quentin Carrissimo-Bertola, Marisol Corral-Debrinski, René-Pierre Desrues, Gilles Deverre, Eugénie Ghighi, Bertrand Godde, Kamel Hamadache, Dominique Layet, Alexie Lorca, Karine Poulard, Jean-Luc Meesman, Frédérick Molossi, Jean Sorondo, T.W...

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Par des militants socialistes de la section de Montreuil (Seine-Saint-Denis): Daniel Bailly, Ariana Bobetic, Quentin Carrissimo-Bertola, Marisol Corral-Debrinski, René-Pierre Desrues, Gilles Deverre, Eugénie Ghighi, Bertrand Godde, Kamel Hamadache, Dominique Layet, Alexie Lorca, Karine Poulard, Jean-Luc Meesman, Frédérick Molossi, Jean Sorondo, T.W...

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Illustration 1

Monsieur,


Cette lettre est une réponse à celle que vous nous avez adressée par l’intermédiaire de votre entretien au «Journal du dimanche», le 19 juillet. Nos moyens de diffusion sont moindres bien entendu, même si, ne vous en déplaise, nous sommes encore quelques-uns … des militants du Parti socialiste, militants de l’ombre, militants de peu ; mais cette ombre et ce peu nous y tenons, car nous croyons encore à l’aventure et au travail collectifs, indécrottables archaïques que nous sommes.

En d’autres temps, nous vous aurions peut-être tutoyé, en vertu de l’usage qui fait encore rage dans futur feu notre parti. Ce n’est pas tant votre condition de philosophe de la lumière (lumière médiatique et toujours individuelle) qui nous en dissuade, nous qui préférons la philosophie des Lumières, plus féconde et moins étroite (toujours ce fichu archaïsme). Non, c’est une distance face à un «intellectuel» qui plutôt que penser, assène.

Assène, avec la violence que le premier des porte-flingues de Sarkozy aurait du mal à égaler. «Ce parti qui fut celui de Blum et de Jaurès (…) doit disparaître», écrivez-vous. Il s’agirait donc d’un devoir! Diantre! Au quotidien, faut-il vous le rappeler, ce parti dirige encore, avec des élus d’autres organisations de gauche, un certain nombre de villes, de départements et de régions. Et nous considérons, sans humilité que ces gouvernances sont certainement le dernier écran de protection de nombre de nos concitoyens les plus faibles, face à la casse et aux turpitudes de la politique sarkozyste.

Sans humilité et en toute connaissance de cause, parce que beaucoup d’entre nous et de nos proches font partie de ces plus faibles et que sur le terrain (celui des banlieues notamment), force est de constater, comme on dit vulgairement: les socialistes sont là. Quelques-uns sont de grands élus, beaucoup sont de petits élus. Mais dans l’ensemble, pas encore réduits à l’état de cadavres. Ni de grands corps malades — à ce propos, si vous pouviez ne pas mêler à vos écrits des artistes qui ne vous ont rien demandé… merci pour eux.

Vous citez Camus : «Mal nommer les choses, c’est ajouter à la misère du monde». Il écrivait aussi : «C'est facile, c'est tellement plus facile de mourir de ses contradictions que de les vivre.» Comme la vie — veuillez excuser cet aparté de basse philosophie—, notre parti est pétri de contradictions, de paradoxes, de doutes. En cela, oui, il est insupportablement vivant. Mais ce qui le plombe, ce sont moins ces réalités, que les initiatives individuelles portées par quelques-uns, à grand renfort de médiatisation.

À des fins tout autant individuelles. Non que ces travers soient notre apanage. Mais, sous couvert de liberté, de démocratie, nous les ouvrons aux médias, ce que les autres partis ne font pas. Pensez-vous que l’UMP soit exempte de querelles intestines? Ce serait faire offense à votre lucidité que de le croire.

La bien-pensance prône aujourd’hui d’ouvrir les portes et les fenêtres du Parti socialiste. Encore une expression vide de sens, serinée à longueur d’ondes par quelques caciques, bataillant pour eux-mêmes, et en mal de supporteurs.

Nous, militants, n’avons jamais eu l’impression de vivre portes et fenêtres fermées. Comme dans tous les partis, nous sommes souvent en butte aux appétits de barons locaux, certes. Mais leurs actes, effectivement délétères pour notre collectif, ne nous incitent pas à en décréter l’agonie. Car alors, tous les collectifs devraient le faire… La violence et l’arrogance de vos propos heurtent l’engagement citoyen qui nous porte, et qui permit l’émancipation de centaines de milliers de militants depuis quelque quarante ans.


N’imaginez pas pourtant que nous ne sommes pas conscients de la crise que traverse notre parti ; que nous ne réalisions pas que notre idéal et notre projet doivent être confrontés à la réalité d’un monde en bouleversement. Oui nous sommes en perte de vitesse ! Et ce, alors même que nos revendications historiques de régulation du système économique et de justice sociale reviennent, au moins dans les discours, sur le devant de la scène politique mondiale. Non, nous n’ignorons pas que le retour en grâce du modèle social français pourtant construit ou inspiré par la gauche ne bénéficie étonnamment pas à notre parti aujourd’hui.


Mais contrairement à vous, nous ne nous résignerons jamais. De même que nous refusons de nous méprendre. Car au-delà des phrases «chocs» savamment choisies pour créer le «scoop», le grand philosophe que vous êtes semble oublier quelques éléments pourtant essentiels à l’analyse du contexte actuel. Lorsque vous sonnez l’hallali du Parti socialiste français, vous faites une impasse étonnante sur la très mauvaise santé de l’ensemble de la social-démocratie européenne.


Vous sommez, ordonnez, mais que proposez-vous tant en termes philosophiques que politiques? Un changement de dénomination du PS et l’organisation de primaires pour les présidentielles de 2012. Tout ça pour ça! Qui peut croire que demain se réinventera sur des piliers si maigres ; que de tels arguments peuvent orienter un choix de société — au fait, pensez-vous que le récent changement de nom du Parti socialiste européen soit en mesure de changer profondément la social-démocratie européenne?

Une immersion régulière auprès de nos compatriotes vous aiderait à réaliser qu’ils attendent un peu plus de nous… La crise économique et sociale, que vous n’abordez à aucun moment de cet entretien, le pouvoir d’achat, l’emploi, le bien-être, la santé, bref tout ce qui fait aussi cette sacro-sainte liberté dont vous vous faites le chantre, sont des sujets qui préoccupent nos concitoyens. Et certainement bien davantage que ces jeux d’appareil simplistes, ces analyses lisses et si politiquement correctes que vous élaborez.


Si vos propos ne nous ont pas convaincus de dissoudre notre parti ni d’entamer la grand-messe du suicide collectif, ils nous auront en revanche permis de nous forger une autre conviction: le socialisme, s’il veut à nouveau mener la grande marche de notre pays vers le progrès humain, devra s’affranchir des penseurs de votre trempe, des mauvais shows, des piètres scoops, des piteux effets de manche, des agitations immobiles, des rébellions propres. Toutes ces tares de fin de civilisation que vous nourrissez abondamment, tous ces jeux de personnes auxquels vous donnez votre aval, en vous faisant le porte-parole ou le supporteur de trois dirigeants socialistes que vous citez dans vos propos. Vous vous seriez abstenu de cet exercice, votre sermon nous aurait peut-être semblé plus crédible. Vous vous déclarez «triste». Rassurez-vous, nous le sommes aussi face à cette grande foire médiatique.


Pour conclure, il nous est apparu que vous citiez dans cet entretien nombre de grands hommes et de grandes femmes. Camus, Clavel, Arendt… Marx! Il ne manque que Che Guevara. Nous plaisantons, bien sûr. Un peu de rire ne nuit point à de futurs cadavres ; qu’en pensez-vous ?

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