Plusieurs enseignants de l'Ecole normale supérieure condamnent la décision d'interdiction de la conférence organisée le 18 janvier 2011 autour de Stéphane Hessel dans cette lettre remise lundi 31 janvier à Monique Canto-Sperber, directrice de l'établissement.
• • • • • •
Paris, le 27 janvier 2011
Madame la Directrice,
L'annulation de la conférence prévue à l'École normale supérieure le 18 janvier 2011 autour de Stéphane Hessel, en soutien à des militants poursuivis, est devenue, vous le savez, un objet de controverse publique. Des grands anciens de notre École comme d'autres personnalités du débat intellectuel et civique en France et à l'étranger, au-delà même de leurs divergences d'opinion sur le fond, ont jugé une telle affaire «inadmissible».
C'est qu'à la suite d'un communiqué du Crif, cette interdiction est apparue pour beaucoup comme une forme de censure qui contredirait la liberté intellectuelle mais aussi l'autonomie de notre établissement. Certes, dans un communiqué, vous avez justifié par un souci de sécurité une décision prise «indépendamment des démarches entreprises par le Président du Crif auprès de plusieurs personnalités». Il reste que l'annulation d'une conférence à l'École normale supérieure, dans l'un des lieux, heureusement nombreux en France, dont la tradition intellectuelle repose sur la liberté d'expression, constitue un précédent fâcheux, aisément interprété comme le signe d'un manque de courage de notre École.
Le symbole est d'autant plus fort que Stéphane Hessel, figure hautement respectée depuis ses engagements courageux pendant la Deuxième Guerre mondiale, est aussi profondément lié à notre institution. Reçu à l'École normale supérieure en tant qu'étranger en 1937, une fois naturalisé, il a dû repasser avec succès le concours en 1939. Après s'être illustré par une vie au service de la République, notamment comme ambassadeur de France, il se voit maintenant refuser l'accès à ce qu'il continue à considérer comme son École.
Il nous semble particulièrement dommageable pour l'image de l'École normale supérieure, à l'extérieur, mais aussi, pour la confiance que nous accordent les élèves et étudiants, à l'intérieur, de lui avoir ainsi fermé la porte. Enseignants à l'École normale supérieure, habitués sous les directions passées à être consultés en de pareilles situations et à assister à l'École à des réunions et à des conférences hautement polémiques autour d'enjeux d'actualité tout aussi brûlants, nous nous sentons comptables de cette affaire.
C'est pourquoi nous souhaitons par la présente condamner la décision d'interdiction et redire notre indéfectible attachement à la liberté d'expression : en démocratie, les opinions doivent pouvoir se faire entendre, que nous les partagions ou pas, et tout particulièrement au sein d'une institution, la nôtre, dont l'existence est inséparable de ce droit fondamental.
Nous avons l'intention de diffuser cette lettre signée par nous en tant qu'enseignants à l'École normale supérieure et nous vous prions de croire, madame la Directrice, à l'expression de nos salutations respectueuses.
Christian Baudelot
Stéphane Beaud
Jean-Loup Bourget
Sophie Coeuré
Paul Egré
Éric Fassin
Sibylle Gollac
Jean-Louis Halpérin
Béatrice Joyeux-Prunel
Claude Kergomard
Jean-François Lassalmonie
Bernadette Leclercq-Neveu
Jean-Pierre Lefebvre
Wilfried Lignier
Antoine Lilti
Quentin Meillassoux
François Menant
Cédric Moreau de Bellaing
Gilles Pécout
Daniel Petit
Marwan Rashed
Magali Reghezza
Philippe Schlenker
Hélène Steinmetz
Emmanuel Szurek
Jean-Paul Thuillier
Anne-Christine Trémon
N.B. : les enseignants de l'ENS souhaitant signer avec nous cette lettre remise à la directrice le 31 janvier peuvent en informer l'un ou l'autre des signataires ; nous ferons en sorte de mettre la liste à jour sur Mediapart.