Billet de blog 31 décembre 2023

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#16 [Calendrier de l'après] Nevada / Irracible / Glamorous

Notre série "sur la table de chevet des inverti·e·s" nous permet de vous proposer régulièrement des films, bouquins, chansons, vidéos, expos et autres choix culturels. Entre Noël et le Nouvel An, nous vous proposons sept jours de Calendrier de l'Après : On invertit tout ! Nos choix culturels de ce dernier jour de l'an :

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Nevada, Imogen Binnie, traduit de l’anglais par Violaine Huisman, Gallimard, 2023

Maria Griffiths (non, pas comme la Reine du reggae) est une jeune femme trans vivant à New York depuis qu’elle a eu l’audace de fuir le coin paumé de sa Pennsylvanie natale. Mais cette ville ne la contente pas. Elle jette un regard acerbe sur la gentrification galopante (cf Paris, Marseille, Lyon, etc.) tout en travaillant dans une librairie branchée au management absurde (vous avez dit capitalisme?).

C’est de plus en plus compliqué avec Steph sa petite amie, son monde se délite et elle ne peut s’empêcher de sentir sa vie lui échapper. Elle décide de tout envoyer en l’air, de piquer la voiture de son ex et partir en voyage pour s’en extraire, jusqu’au Nevada (non pas la Renault, blague 6-7, oups). Elle y rencontre une autre meuf trans en questionnement au parcours proche du sien, elle la prend sous son aile (non, toujours pas la voiture).

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Nevada © Imogen Binnie

« Les femmes trans dans la vraie vie n’ont rien à voir avec les femmes trans à la télé. Déjà, pour commencer quand on se débarrasse de la mythification, des idées reçues et du mystère, elles sont largement aussi intéressantes qu’une personne lambda. »

Ce premier roman publié aux Etats-Unis en 2013 devenu culte a fait reparlé de lui récemment en étant republié par une grande maison d’éditions new-yorkaise qui a permis à Gallimard de la remarquer (quand Saint-Germain-des-Près n’en parle pas, cela n’existe pas paraît-il).

L’écriture et l’histoire sont sombres et comiques à la fois. Les phrases sont rédigées à l’arbalète et font mouche, on sourit à ses envolées tout en ayant la larme à l’œil à la page suivante. Tout n’est pas rose dans le parcours Maria et on suit son fil de pensée en temps réel efficacement grâce au style d’écriture particulièrement opportun.

« Maria en a tellement marre, elle est épuisée, et si vous ne comprenez pas pourquoi, elle en est désolée. Terriblement, horriblement, sarcastiquement, inutilement et vainement désolée. »  

Le bruit court que ce serait le roman qui aurait donné envie d’écrire à Torrey Peters, l’autrice du fabuleux Detransition baby.

Et j'ai failli oublier de parler de cette magnifique illustration de couverture de Anna Wanda Gogusey.


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Les rappeurs sont-ils tous homophobes ?, 2023, Irracible

Je suis né en 93, j’ai grandi dans le 93 (hardcore !), mes potes, ma sœur, mes cousin·es, mes camarades, tout le monde écoute du rap. Et pourtant j’ai toujours eu un rapport conflictuel avec lui. De la même manière que pour le foot, le rock, le skate, j’ai toujours eu l’impression que ces mondes ne m’étaient pas adressés. 

Ce qui ne m’a jamais empêché de traîner avec des rockeurs, des skateurs, des footeux, mais c’était pour les chopper principalement ou pour entrevoir un milieu auquel je ne me sentais pas convié. Quand les copains hétéros parlaient mal des meufs, j’avais toujours l’impression qu’on parlait de moi à demi-mots. Bref, adolescent, je disais “j’aime pas le rap, j’aime pas le rock”. C'étaient des trucs de garçons. Et moi, je suis pas un garçon, je suis un pédé, je ne le conscientisais pas à l’époque. Mais les choses ne sont pas si simples. Parce que je ressentais quand même que ce qui y était dit, parfois, me concernait. 

Je pouvais chanter du Diam’s à tue-tête. Ma sœur me faisait écouter du Keny Arkana, et elle parlait de luttes, et puis, puisque j’aime ma sœur, il devait bien y avoir quelque chose que j’aime chez Keny. Et c’était vrai, en partie. Pour moi, le rap était sexiste et homophobe, fétichisait l’argent et divaguait complotiste. Puis, par rap politique, je me suis un peu intéressé, mais, je sentais bien que Kery James, Médine ou L'1consolable… c’était… comment dire… pas tout à fait représentatif. Et que, comme pour le cinéma, j’avais beau aimer les films de Ken Loach, je voyais bien que certains films, bien moins ouvertement politique ou didactique, racontaient plus sur notre société. 

J’avais souvent l’impression que certain·es copains et copines militant·es qui écoutaient du rap, en faisaient trop. Il fallait aimer, car c’était, à leurs yeux, LA musique du prolétariat, des beaufs et des barbares comme dirait l’autre, or moi, je suis à la fois un beauf, un barbare, mais aussi un pédé, et ça… ça ne rentrait pas dans la case.
Un rappeur, Irracible, a produit une série de vidéos d’analyse du rap. La première que j’ai vue posait la question “Pourquoi le rap est-il de droite ?”, une autre décryptait l’influence des courants conspirationnistes sur le rap, et celle dont je veux parler ici, est une vidéo titrée : “ Les rappeurs sont-ils tous homophobes ? ” et une deuxième qui se concentre sur la Sexion d'assaut (j’ai toujours trouvé ce nom de groupe archi cringe)
Loin des critiques bas du front des zemmour et autres aigri.es, Irracible critique le rap comme un amoureux du cinéma critique des films. Si je trouve ses conclusions un peu étriquées parfois, je trouve qu’il pose un regard singulier sur cet art et qu'il prend au sérieux la discipline.
Ses analyses sont marxistes, de gauche, anti-homophobes et matérialistes, mais cela repose l’éternelle question de savoir si, d’une part, l’art doit toujours être politiquement juste, on n’écoute pas de la musique pour avoir un tract de la CGT, et si les propositions alternatives sont aussi sensationnelles. On a tellement l'habitude que le rap soit mal critiqué qu'on a peur de la critique "n'achetez pas des mangas avec votre carte culture" alors que cette fois-ci, les analyses sont honnêtes ! 
En Bonus, allez écouter Gay Mafia de Irracible et d'aller lire le premier épisode de "sur la table de chevet des inverti·e·s" dans lequelle on parlait de "lapsuceur" ;) 

Les rappeurs sont-ils tous homophobes ? [ Rap et prises de position #6.2 ] © Irracible

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Glamorous, Jordon Nardino, Netflix, 2023

Synopsis : jeune influenceur, Marco obtient un job auprès d'une star du maquillage et entame un périple tant introspectif qu'éblouissant où défis amoureux ajoutent au chaos ambiant.

Films, documentaires ou séries : qui ne s’est jamais perdu dans la jungle Netflix ?

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Glamorous © Jordon Nardino

Avec près de 935 œuvres originales produites en 2022 et souvent critiquées pour leur trop grande similarité (source : Allociné), dur d’accorder du crédit à ce géant du streaming.

Et pourtant, parmi la pléthore d'œuvres diffusées chaque année, se trouvent parfois quelques pépites. Tutos make-up, dramas queers et amours contrariés : bienvenue dans l’univers pop et coloré de Glamorous !

Sous son aspect visuel plus que clinquant et une réalisation parfois attendue - qui joue sur les clichés - la série réserve toutefois quelques surprises, autant qu’elle permet de se questionner sur la visibilité et la considération accordées aux personnes queer dans notre société. En suivant l’évolution de Marco, on assiste au parcours d’une jeune personne qui, par son intégration au monde du travail, n’hésite pas à casser les codes - malgré de nombreux écueils - pour profiter de tout ce que son expérience dans “l’industrie” peut lui offrir pour l’aider à se découvrir et à affirmer son identité. Entre diversité des représentations et hommage à tout ce que la communauté LGBTQIA+ a pu apporter à la culture mainstream, difficile de ne pas fondre et de se laisser porter par la légèreté de cette œuvre visuelle pas si superficielle, qui nous donnerait presque envie d’être optimistes. ;)

Glamorous | Official Trailer | Netflix © Netflix

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