Article initialement publié sur Le Corner
La France est présente en Algérie à partir de 1830. En 1848 le territoire est organisé en trois départements : Alger, Oran et Constantine. C’est sur cette base que s’est construit le championnat colonial sur le territoire : trois ligues départementales avec plusieurs divisions. Retour sur les débuts du football en Algérie sous domination française.
Le football en Algérie se développe tardivement, car la popularité du football est tout aussi tardive en métropole. Le cyclisme, par exemple, se développe plus rapidement que le ballon rond. Les trois ligues départementales de football sont tour à tour crées de 1920 à 1921. Les associations sportives musulmanes sont largement surveillées. Une première circulaire, le 20 Janvier 1928 stipule l’interdiction de tenir des rencontres entre des équipes « indigènes » et des équipes « européennes ». Les autorités coloniales veulent éviter les incidents mais aussi la remise en cause de l’autorité à travers d'éventuelles victoires sportives.
Cependant, cette circulaire est très vite abandonnée et laisse la place à d’autres circulaires tout au long des années 1930. Les autorités coloniales tentent de « fusionner » le football européen et musulman. Une circulaire en 1930 va dans ce sens ; celle-ci impose le recrutement de trois joueurs européens dans les équipes musulmanes. Ce chiffre monte à cinq dans une circulaire de 1935. Cette dernière circulaire impose aussi la mixité dans les instances dirigeantes. Le Mouloudia se plie à ces exigences et recrute des joueurs européens et sud-américains dans les années 1930 comme Costa, Macia et Albor. Du côté des dirigeants, c'est Louis Roze, un non-musulman qui intègre le bureau central du Mouloudia composé par Brahim Derriche et Mohand Tiar qui en assure la présidence (1).

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La Seconde Guerre mondiale est un tournant pour le football en Algérie. Le contexte de guerre oblige l’autorité coloniale à suspendre les circulaires afin de contenir les mécontentements et apaiser les tensions sur le territoire. Les associations musulmanes se multiplient, ainsi que les clubs de football. Au lendemain de la guerre, le renouveau du nationalisme algérien pousse les autorités à définitivement abandonner les circulaires sur la mixité dans le football. Un nationalisme notamment motivé par le retour de France et d’Indochine de soldats algériens. En Indochine ils ont pu voir des peuples s’émanciper de la colonisation française.
Le 30 Mars 1936, le général Henri Giraud, à la tête de la division militaire d’Oran déclarait la chose suivante à L’Echo d’Oran : « Le sport doit être le lien qui permet d’unir Français et Musulmans dans le même désir de performances et de nobles aspirations, en éliminant toute rivalité de religions et de races ». C’était sans compter sur des clubs comme le Mouloudia qui transformèrent cet objectif en vœu pieux.
Doyen et symbole du football musulman
Le Mouloudia Club Algérois naît officiellement le 7 Août 1921. Une date où il obtient son statut auprès des autorités coloniales. La création du club est le fruit de jeunes de la Casbah (correspondant à la vieille ville d’Alger), avec à leur tête Abderrahmane Aouf. Ces jeunes parviennent à surmonter toutes les barrières administratives coloniales pour réaliser leur rêve : créer leur propre équipe de football. Le club adopte le nom de Mouloudia Club d’Alger en 1930.
Certains disputent au Mouloudia son ancienneté et son statut de « doyen du football musulman ». Premier en tête, l’Union Sportive Musulmane d’Oran (USMO), dont la création officieuse est présumée en 1908. Cependant, la querelle peut se régler sur une question politique et idéologique. En effet les statuts du MCA sont très clairs : un club par et pour les musulmans. L’article 1 du club indique qu’ « il est constitué une société entre jeunes gens musulmans à dater du 31 Juillet 1921 » et l’article 2 précise que « ce groupement a pour but de réunir tous les jeunes musulmans désirant pratiquer les sports » (2).
De son côté l’USMO ne se revendique pas officiellement comme exclusivement musulman, malgré son nom. Le MCA cultive une symbolique islamique et nationaliste, tout d’abord par ses couleurs : le vert et le rouge. La première est la couleur historique de l’islam (sunnite) tandis que la seconde est dans la tradition « la couleur favorite du Prophète » (3). Le Prophète Muhammad à qui l’on rend hommage par le nom Mouloudia. Un nom qui fait référence au Mawlid, une fête célébrant la naissance du Prophète, au douzième jour de Rabia al Awal, le troisième mois du calendrier musulman.
Le club intègre le plus bas niveau du football algérois dés 1921. Quinze longues années et trois barrages plus tard, le club atteint l’élite de la Ligue algéroise. C’est lors de son accession en première division que le MCA voit l’arrivée de son nouveau voisin, qui deviendra plus tard son rival, l’Union Sportive de la Médina d’Alger (USMA), club fondé le 5 Juillet 1937.
Le Mouloudia est champion de la première division de cette Ligue d’Alger, par deux fois, en 1940 et 1945 (seul club musulman de la ligue à réaliser une telle performance). Néanmoins il reste largement dans l’ombre des clubs européens comme l’A.S Saint-Eugène et le F.C Blidéen, respectivement six et sept fois champions de la Ligue d’Alger. Mais l’important est ailleurs, particulièrement dans les tribunes. Dans les années 1950, les incidents se multiplient lors des rencontres du Mouloudia, surtout après les événements de ce qui se nomme aujourd'hui « La Toussaint Rouge » (Plusieurs attentats commis par le Front de Libération Nationale, une date communément admise comme le début de la Guerre d’Algérie), le 1er Novembre 1954. Le Mouloudia est un vecteur identitaire, la jeunesse algéroise se politise (et se révolte) dans les tribunes des matchs de leur club favori.
Le club est très populaire auprès de la jeunesse musulmane de la ville d’Alger, celle-ci accompagne son équipe fétiche dans les stades. Lors d’un match opposant le Mouloudia à l’A.S Saint-Eugène, le 11 Septembre 1955, le commissaire d’Alger, évoque dans un rapport une « tribune visiteuse de 5000 personnes » (4). La semaine précédente, le Mouloudia affronte l’Olympique Hussein-Dey, cette fois-ci le commissaire de Saint-Eugène évoque le chiffre de 3000 personnes, dont la majorité d'entre elles sont des « supporters musulmans du Mouloudia ».
Les matchs sont le théâtre d’affrontements (verbaux et physiques) à connotation politique. Lors du premier match évoqué, le commissaire (du nom de Jean Builles) rapporte que « les supporters du Mouloudia se font remarquer en insultant les joueurs musulmans jouant pour l’équipe européenne ». Cette information montre bien l'importance que revêt le match de football dans la conscience politique et ethnique de ces jeunes algérois. Le joueur musulman est visé par la vindicte populaire car jouant pour une équipe européenne. Le choix du club n'est pas seulement perçu comme sportif, mais aussi comme politique.
La fin du match face à l’Olympique Hussein-Dey dégénère. En effet, le commissaire de Saint-Eugène évoque des scènes d’émeutes entre des gendarmes et « 300 supporters qui se sont massés à l’entrée du stade » (5). Les matchs de football durant les années 1950 mettent en scène un affrontement ethnique physique et symbolique. Celui-ci prend place entre une jeunesse algéroise et des autorités sportives et policières coloniales ainsi qu'entre entre un club bannière musulman et des clubs « européens » puissants comme l’A.S Saint-Eugène.
En 1956, c’est l’année de la rupture entre le football musulman et européen. Le 11 Mars 1956 a lieu un match de la Ligue algéroise, opposant le Mouloudia à l’A.S Saint-Eugène. Le match se termine sur un match nul, mais des bagarres éclatent entre supporters lors du but égalisateur du MCA. Le terrain est envahi, la police intervient, de nombreux supporters sont blessés et arrêtés. La direction du Mouloudia proteste et menace de retirer son équipe des compétitions officielles. Chose faite le 13 Mars 1956. Le club est soutenu et suivi par son voisin de la Casbah, l’USMA.
Face à ce mouvement contestataire, le FLN (Front de Libération Nationale) en profite pour appeler les clubs musulmans à un boycott général des compétitions de football. La rupture est consommée. L’ensemble des clubs musulmans algériens décident de se saborder à l’appel du FLN. Bien encouragés par une injustice qui était intervenu avant la finale de la Coupe d'Afrique du Nord de la même année. Cette finale qui ne fut jamais jouée devait opposer les clubs d'une même ville algérienne (Bel-Abbès), l'un musulman et l'autre européen. La qualification du capitaine de l'équipe européenne pour jouer cette finale malgré une suspension provoqua le retrait du club musulman. L'appel du FLN au milieu de ces deux incidents ne put que rencontrer encore plus d'écho. Les clubs européens continuèrent de leur côté à disputer les compétitions officielles comme si de rien n’était. Le Mouloudia ne reprend sa place que lors du premier championnat algérien, en compagnie des autres anciennes équipes musulmanes, mais cette fois-ci, dans une Algérie indépendante.
Au sommet durant les années 1970
Au sortir de la guerre d’indépendance (1954-1962), le Mouloudia constate la mort de nombreux de ses joueurs comme Basta Ali, ce qui renforce son image de club anticolonial. En 1962, le football reprend ses droits et se déroule la première édition du championnat algérien.
L’Algérie indépendante adopte une nouvelle formule de compétition, légèrement modifiée. Si les trois ligues sont conservées, celles-ci s’organisent de manière autonome. Au centre, dans la ligue d’Alger on retrouve plus de 60 clubs, répartis en 5 groupes. Chaque vainqueur de groupe se qualifie pour un deuxième tournoi dans lequel est désigné le champion départemental. Le Mouloudia se hisse jusqu’en finale départementale pour cette première édition du championnat algérien, mais s’incline face à son voisin de la médina (autre terme pour désigner la Casbah), l’USMA. Celui-ci s’impose face aux autres champions départementaux et devient le premier champion d’Algérie de l’histoire. Pour la saison 1964-65, le championnat abandonne cette formule et se dispute nationalement sans ligues intermédiaires.
Hormis cette première finale départementale, le Mouloudia ne fait pas partie des poids-lourds du football algérien lors des années 1960. Le meilleur est à venir, le club atteint les sommets durant la décennie 1970-1980. Le MCA remporte durant cette période cinq des sept titres de champion d’Algérie (1972, 1975, 1976, 1978 et 1979) qu’il possède ainsi que trois coupes d’Algérie (1971, 1973 et 1976). Mais l’apogée de cette décennie ainsi que celui de l’histoire du Mouloudia reste l’année 1976. Cette année le club de la capitale algérienne réalise un triplé historique, il est champion d’Algérie, remporte la coupe mais surtout gagne la Coupe d’Afrique des clubs champions (actuelle Ligue des champions de la CAF), la coupe continentale réunissant les plus grands clubs d’Afrique.
Lors de cette édition, le Mouloudia élimine tour à tour le géant égyptien d’Al-Ahly en quart de finale et le géant nigérian d’Enugu Rangers en demi-finale. En finale, le scénario est tout bonnement épique. Le Mouloudia affronte le club guinéen d’Hafia Conakry, le match aller se déroule en Guinée et les algériens y sont défaits 3-0. Au retour, les algérois renversent la situation de manière spectaculaire en l’emportant 3-0 avant de s’imposer 4 tirs au but à 1. S’il y a un joueur à retenir de cette décennie dorée, c’est le grand buteur Omar Betrouni (joueur du Mouloudia de 1968 à 1980), qui est notamment l’auteur d’un doublé lors de cette finale continentale retour de 1976. Cette année-là, qu’importe les poteaux carrés de Glasgow et la défaite de Saint-Etienne face au Bayern Munich, le Mouloudia Club d’Alger était le plus grand club africain et venait de remporter sa seule Coupe d’Afrique des clubs champions.
Après un âge d’or incroyable, le Mouloudia tombe dans un « âge de plomb » durant une vingtaine d’années. Le club doit se contenter d’une coupe d’Algérie en 1983 et d’un titre de champion en 1999. Au cours des années 2000 et 2010, le MCA réapparaît timidement sur la scène nationale. Cependant il court après un titre de champion d’Algérie depuis presque une décennie. Dans le même temps, il est éclipsé par les récents succès de son rival de la Casbah, l’USMA, et par ceux de l’Entente Sportive de Sétif (dernier club algérien vainqueur de la Ligue des champions africaine en 2014). Néanmoins, le Mouloudia reste une institution importante du football algérien. Aujourd’hui, surtout, le club déchaîne toujours les passions, parfois à l’extrême, en témoigne le huit-clos imposé par les autorités algériennes pour le centième derby des frères ennemis algérois.
(1) : Lahcene Belahoucine, La saga du football algérien, Hibr Edition, Alger, 2010
(2) : Lahcene Belahoucine, La saga du football algérien, Hibr Edition, Alger, 2010
(3) : Paul Dietschy et David-Claude Kemo-Keimbou, Le football et l'Afrique, Editions EPA, Paris, 2008
(4) : Le commissaire Jean Builles de la circonscription d’Alger à Monsieur le préfet de la police générale, 11 septembre 1955, Archives nationales de l'outre-mer (ANOM), Aix-en-Provence
(5) : Le commissaire principal chef de la circonscription de Police de Saint-Eugène à Monsieur le commissaire divisionnaire de la circonscription d’Alger, 8 septembre 1954, Archives nationales de l'outre-mer (ANOM), Aix-en-Provence