La présentation du projet de réforme des retraites du gouvernement le 16 juin dernier a donné lieu à de nombreuses réactions. Les principales ont porté sur la mesure phare du dispositif qui consiste à reculer de deux ans les âges d’ouverture des droits (porté de 60 à 62 ans) et d’obtention de la retraite à taux plein (porté de 65 à 67 ans. D’autres réactions ont eu lieu à propos de l’alignement de la cotisation retraite des fonctionnaires sur celle des salariés du secteur privé, sur la suppression du dispositif autorisant un départ précoce pour les parents de trois enfants et plus qui auraient 15 ans de services dans la fonction publique ou sur le dispositif prévu pour prendre en compte la pénibilité.
Curieusement, une disposition majeure est passée, jusqu’à présent, inaperçue : la mobilisation des ressources du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour couvrir les déficits des régimes de retraite durant la montée en charge de la réforme. Cette proposition nous semble absurde, elle envoie un mauvais signal et relève d’une mauvaise gestion des finances publiques. Son objectif est la couverture des déficits à court terme (2018) et non la mise en place d’un système soutenable, juste et répondant aux défis du XXIème siècle.
1 - Le Fonds de réserve pour les retraites : un outil d’équité entre les générations
Avant de détailler l’argumentation, il n’est pas inutile de revenir sur ce qu’est le FRR et sa raison d’être. Le FRR a été créé par le gouvernement Jospin en juillet 2001. Aux termes de la loi, « ce Fonds a pour mission de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite ». La loi prévoit jusqu’ici que les sommes affectées au Fonds sont mises en réserve jusqu'en 2020.
Comme l’explique le FRR[1], « en France, les régimes de retraite obligatoires fonctionnent suivant le principe de la répartition : les actifs paient les pensions des retraités parce qu’ils savent que leurs propres retraites seront payées par les générations suivantes. Un tel système assure une progression satisfaisante des retraites sans peser excessivement sur les revenus des actifs tant que la taille des générations qui se succèdent augmente de manière régulière. Au cours des prochaines décennies, les systèmes par répartition vont être confrontés au défi du vieillissement. En particulier, en France, en plus de l’effet de l’allongement continu de la durée de vie, les régimes obligatoires vont devoir faire face au choc du « papy boom ». Pour relever ce défi, la France s’est dotée – comme beaucoup d’autres pays – d’un fonds de réserve pour les retraites. En provisionnant une partie des charges financières futures liées au vieillissement (les « engagements implicites » du système), le FRR permet d’améliorer la soutenabilité à long terme des finances publiques ».
A cet effet, il est attribué au FRR des ressources pérennes (une part du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et de placement qui a rapporté en 2009 1,5 milliards d’euros) et des revenus « discrétionnaires », les produits de cessions d’actifs. Ajoutons que la loi prévoyait également que les éventuels excédents des régimes sociaux (CNAV et FSV[2]) affectés au FRR…
La logique de ce Fonds, analogue à celui qui a été mis en place dans de nombreux pays, est donc bien de provisionner (au moins en partie) le surcroît de dépenses que vont subir les régimes de retraite (en fait les trois régimes des salariés du secteur privé, la CNAV, des indépendants, le RSI et des salariés agricoles, la MSA) au moment du « pic » qui va être engendré par le « papy boom » à partir de 2020 sur une période d’une vingtaine d’années. Sa logique, contrairement à ce que prétend le gouvernement, n’est absolument pas celle d’éponger les déficits courants des régimes. La logique du FRR est celle d’un transfert inter temporel au sein d’une même génération : les générations du baby boom doivent mettre en réserves durant leur vie active une partie des sommes qu’elles vont générer au moment où elles partiront en retraite afin d’éviter que la totalité du financement ne repose sur leurs enfants. Le FRR a comme vocation première l’équité entre les générations.
La fonction d’un fonds de lissage est bien d’accumuler des réserves collectives puis de les utiliser pour financer une partie des prestations et lisser sur longue période l’évolution du taux de cotisation. Plus précisément ici, il s’agit de réduire la charge financière qui va peser sur les générations actives au moment de la forte hausse des dépenses de retraite liée au papy-boom et d’assurer au même moment une évolution plus régulière du taux de cotisation.
Si l’un des défis posés aux régimes de retraite est bien de nature démographique (et lié à l’augmentation des taux de dépendance, le ratio des retraités aux actifs cotisants) il est important de comprendre que les déséquilibres annoncés ont deux composantes de nature différente : une composante « transitoire » liée à l’arrivée des générations nombreuses du « baby boom » à la retraite et qui va disparaître à mesure que ces générations mourront, et une composante « structurelle » qui est liée à l’allongement de la durée de vie, donc aux durées sur lesquelles les retraites devront être servies, et qui est un phénomène pérenne (sauf à imaginer une réduction de l’espérance de vis dans le futur…). La fonction du FRR est bien de lisser l’augmentation du taux de cotisation d’équilibre nécessaire pour passer d’un régime démographique à espérance de vie courte à un régime démographique à espérance de vie longue.
Quelle pourrait être la contribution du FRR à cet objectif ? La réponse est difficile à apporter car le montant des réserves accumulées en 2020 dépend de nombreuses hypothèses sur l’alimentation du FRR, en particulier sur l’évolution du chômage qui commande les ressources des régimes et le montant des éventuels excédents du FSV qu’il serait possible d’affecter au FRR. La projection dépend également de l’horizon de décaissement du FRR et des mesures prises pour améliorer le solde des régimes, en particulier de l’évolution des taux de cotisation. A défaut d’études publiques sur ce sujet, on peut s’aider d’un document du FRR[3] élaboré pour le Conseil d’Orientation des Retraites en 2006 (une étude prenant donc en compte les effets de la loi de 2003) et des ordres de grandeur qui y figurent.
En se limitant à un scénario « minimal » dans lequel les seules ressources dont bénéficierait le FRR proviendraient du prélèvement social de 2% sur les revenus du patrimoine et de placement et seraient conventionnellement fixées à 1,5 Mds Euros (soit le montant de 2009) et la performance du Fonds serait fixée à la performance annualisée obtenue depuis 2004 (soit 3,1%), les réserves accumulées en 2020 se monteraient à un peu plus de 65 Milliards d’euros. Selon le travail cité, ce niveau de réserve correspond à 15% du besoin de financement actualisé sur la période 2020-2040 (en supposant un taux de chômage qui reste durablement très dégradé à 9% de la population active et en fixant conventionnellement le taux de cotisation à cette date à un niveau qui assurerait l’équilibre des régimes concernés). C’est donc dire qu’en retenant des hypothèses de projection très pessimistes, tant pour le montant des réserves que pour les déficits des régimes éligibles (tels qu’ils pouvaient être estimés en 2006), la contribution du FRR au financement des déficits accumulés du fait du « papy boom » est loin d’être négligeable.
2 - Le choix du gouvernement : le sacrifice des jeunes générations sur l’autel de la mauvaise gestion
Le gouvernement a délibérément choisi de ne pas utiliser l’outil que représente le FRR et les raisons en sont explicitées de la manière suivante[4] :
« Le gouvernement propose donc d’utiliser les ressources du fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour financer l'intégralité des déficits du régime général et du FSV pendant la période de montée en charge de la réforme. Les régimes de retraite ont connu une accélération de 20 ans de leurs déficits : il est donc logique de mobiliser plus tôt que prévu le FRR dont le calendrier de décaissement devait débuter en 2020.
Le FRR continuera à exister et à assurer sa mission de gérer ses actifs de la même façon qu’aujourd’hui. La propriété des actifs du FRR qui s’élevaient fin 2009 à 33,3 Mds d'euros et sa recette constituée d’une partie du prélèvement social de 2% sur les revenus du capital (1,4 Md d'euros en 2009) seront transférées à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Le FRR gérera ses actifs pour le compte de la CADES. Grâce à ces ressources, la CADES pourra reprendre les déficits des régimes de retraite entre 2011, année de démarrage de la réforme, et 2018, année du retour à l'équilibre. Au total, sur la période 2011- 2018, la mobilisation du FRR permettra d’apporter une solution à la dette accumulée des régimes de retraite. »
Le gouvernement se propose donc de « payer » la montée en charge de la réforme en « asséchant » la source d’alimentation du FRR qui sera désormais affectée à la CADES et en dépouillant le FRR pour compléter le financement de ces déficits transitoires entre 2011 (date de début de la réforme) et 2018 (date de fin de montée en charge de la réforme).
Ce choix est critiquable pour trois raisons :
- La première, rappelée ci-dessus, est qu’il détourne le FRR de sa raison d’être qui était d’aider au lissage de la « bosse démographique » due au papy-boom. Que va-t-il rester au-delà de 2018 pour assurer la soutenabilité des régimes de retraite ? La réforme est muette sur ce point et obligera les gouvernements futurs à remettre l’ouvrage sur le métier. C’est donc une politique à courte vue visant à masquer 7 années de déficits courants (2011-2017) des régimes de retraites. Elle laisse entière la question du financement du choc démographique qui arrivera après l’horizon de la réforme.
- C’est une mauvaise manière de gérer l’argent public. Si l’on excepte l’année 2008 qui s’est caractérisée par une chute des rendements sur l’ensemble des marchés financiers, les performances financières du FRR depuis 2004 n’ont jamais été inférieures à 4,9% annuelles, c'est-à-dire supérieures au taux auquel l’Etat place sa dette publique. On liquide donc un capital qui rapporte plus que le coût du service de la dette pour financer une dette de fonctionnement.
Les résultats sur la dette publique au sens de Maastricht sont sans commune mesure avec les enjeux. En liquidant le FRR à l’horizon 2018 on évitera juste que les déficits accumulés des régimes de retraite ne viennent alourdir la dette publique. Les ordres de grandeurs dont il s’agit sont de 1,5 à 2 points de PIB quand la dette publique à cet horizon sera de l’ordre de 100% du PIB. Encore ne s’agit-il que de la dette brute ; la situation patrimoniale nette des finances publiques, qui tient compte des actifs du FRR, sera dégradée par le choix du gouvernement.
- On peut également ajouter un autre argument, non négligeable même s’il ne relève pas directement de la question du financement des régimes de retraite. Le FRR participe à l’économie réelle puisque son portefeuille est investi pour un peu moins de 50% en actions et qu’il a de plus une stratégie « d’investisseur responsable » à la définition de laquelle participent les partenaires sociaux.
Le choix du gouvernement quant à l’utilisation du FRR relève donc du paradoxe. Après avoir martelé (avec un certain succès) que la question des retraites relevait principalement des évolutions démographiques[5], le gouvernement s’applique consciencieusement à casser l’outil qui aurait permis de résoudre (en partie) la question démographique : dans un premier temps en n’ayant procédé à aucun abondement puis dans un deuxième temps en le transformant en outil de financement des déficits qui le conduira à sa disparition.
La gauche a déjà laissé entendre qu’elle remettrait en cause la réforme de 2010 si elle revenait au pouvoir. Cependant, certaines mesures sont difficilement réversibles et l’extinction programmée du FRR en est une. Le FRR est un investisseur de long terme et il est difficile de jouer au yoyo, au gré des alternances politiques, avec des paramètres fondamentaux tels que sa durée de vie ou son profil d’alimentation.
C’est pourquoi il est essentiel d’obtenir dès à présent le retrait de cette mesure. Un tel combat, qui relève simplement de la bonne gestion et de l’équité entre générations, devrait mobiliser non seulement la gauche, mais aussi ceux qui au centre et à droite partagent le sens des responsabilités.
[1] Cf : le site du FRR : www.fondsdereserve.fr
[2] Fonds de Solidarité Vieillesse
[3] Conseil d’orientation des retraites :Séance plénière du mercredi 27 septembre 2006.
[4] Cf : fiche 16 du dossier de présentation de la réforme sur le site du Ministère du Travail (www.travail-solidarité.fr).
[5] Ce qui est faux. S’il n’est bien entendu pas question de nier l’influence de la démographie, les contraintes sur les régimes de retraite relèvent également de bien d’autres causes: le défaut de croissance potentielle dans notre pays, le fonctionnement du marché du travail, les choix fiscaux, etc…sont tout aussi importants.
Fabrice Lenseigne
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