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Billet de blog 13 septembre 2010

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Pour une formation obligatoire jusqu'à 18 ans ?

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Voilà plus de 50 ans (la réforme Berthoin date de 1959) que l’instruction obligatoire est passée de 14 à 16 ans, après une longue bataille politique et une application qui n’a pas duré moins de 9 ans pour la rendre effective. Etape juridique essentielle dans le mouvement de démocratisation scolaire (qui va durer jusqu’à la fin des années 80[1]), cette mesure a accompagné mais aussi développé la demande sociale et économique de l’époque.

50 ans après, alors que l’école ne joue plus vraiment son rôle d’ascenseur social, que la prévention des sorties sans diplôme appelle une réponse institutionnelle et globale et que le développement économique réclame une hausse des qualifications, l’obligation de « formation » (qui se substituerait à l’obligation d’enseignement) portée à 18 ans pourrait constituer un levier juridique puissant pour réformer l’institution éducative.

Il convient d’entendre le terme de formation dans sa globalité, non réduite à scolarisation : formation initiale sous statut scolaire (générale, technologique, professionnelle) et sous statut d’apprentissage. En effet, rappelons que l’apprentissage forme en 2008 plus de 400 000 apprentis dont près de 240 000 au niveau V (CAP, BEP).

Par ailleurs, cette mesure témoignerait aussi de la volonté de sortir d’une logique de libéralisme qui gagne en force le système éducatif. Cette logique de libéralisme se caractérise notamment par l’introduction d’une logique de contrat à tous les niveaux (élève/ système, établissement/ rectorat, …), qui sous l’apparence de responsabilisation des acteurs, laisse seul l’individu face aux forces du système : en particulier l’élève, à qui on aurait donné toutes les « chances » (une 1ère et même une 2ème) d’accéder à une formation serait entièrement responsable de ses échecs, idem pour les parents. La formation scolaire (au-delà du socle commun) est de plus en plus pensée sur le modèle du contrat individuel, dans lequel la responsabilité du système est progressivement estompée.

L’établissement scolaire qui a contractualisé avec le rectorat, sur la base de son projet d’établissement serait également entièrement responsable du manque d’attractivité de son établissement, des effets de la suppression de la carte scolaire,… Cette mesure de prolongation de la formation jusqu’à 18 ans, qui impliquera tous les acteurs éducatifs, tous les administrateurs de l’éducation, est de nature à déplacer le niveau de l’établissement, même si celui-ci est au centre de l’accueil et des réponses locales à apporter.

1 - Les sorties sans diplôme entre 16 et 18 ans : une injustice sociale, un gâchis pour la Nation

L’appareil statistique français[2] et européen nous livre des données sur la situation des jeunes à tout âge dans la formation et sur les jeunes de 20 à 24 ans (pour se conformer à un cadre de référence européen).

Ainsi, on observe qu’en 2006-07 :

- 8,7% des jeunes de 17 ans ne sont plus en formation (ni dans les établissements sous tutelle de l’Education nationale, ni sous contrat, apprentissage, ni dans ceux dépendant des autres ministères – Agriculture et Pêche, Emploi et Solidarité, etc.). En volume, ce sont donc 70 332 jeunes de moins de 18 ans qui quittent le système de formation dont on peut penser que la très grande majorité d’entre eux sont sans diplôme.

- A 18 ans, cette proportion passe à 22,1%. Au total, ce sont 181 194 jeunes qui auront quitté une formation sans avoir acquis un diplôme suffisant pour s’insérer professionnellement.

On sait qui plus est que ces jeunes, sortis de formation sans diplôme ou avec un diplôme de niveau V, auront très peu de chances d’accéder à la formation continue plus tard. Ces sorties précoces du système de formation constituent donc une injustice sociale qui pèse lourdement sur les parcours professionnels ultérieurs.

Par ailleurs, en 2008, ce sont 83,7% des jeunes de 20 à 24 ans[3] qui sortent diplômés de l’enseignement secondaire (c'est-à-dire diplômés d’un CAP ou BEP ou de tout bac – général, technologique ou professionnel, quel que soit le statut du candidat : formation initiale scolaire, par apprentissage, voire par la formation continue, ou candidat libre). Notre pays se classe au 11ème rang (sur 27) ex aequo avec la Bulgarie. Ce sont donc 16,3% des jeunes de cette tranche d’âge qui sont sans diplôme.

Il n’est point besoin d’être sociologue averti pour avancer que ces jeunes sortis avant un diplôme sont issus des couches les plus défavorisées de la population, exposées à la reproduction de la pauvreté. C’est dire les conséquences néfastes à long terme de ces sorties du système de formation.

Rappelons enfin que la communauté européenne a fixé comme objectif à ses membres de faire réussir 85% des jeunes à un diplôme du second cycle de l’enseignement secondaire en 2010 : en effet, elle estime que c’est le bagage minimum pour s’insérer professionnellement.

Pour atteindre cet objectif, la France n’aurait donc qu’un petit effort à fournir, si tant est que le niveau CAP ou BEP puisse être considéré comme un niveau suffisant pour l’insertion, et pour évoluer professionnellement par la suite.

Face à une situation qui évolue peu depuis près de 10 ans, l’institution éducative propose en son sein des solutions de « réparation » pour limiter ces échecs et à l’externe, développe des partenariats (missions locales, Ecoles de la 2ème Chance, …) pour prendre en charge les jeunes sans diplôme. Sont –ils suffisants pour répondre aux enjeux de qualification pour tous ?

2 - Des dispositifs de «réparation » qui existent mais qui sont peu efficaces sur les causes de la sortie des dispositifs de formation avant 18 ans

Des dispositifs de prise en charge des sortants sans qualification de plus de 16 ans ont été mis en place depuis longtemps dans l’éducation nationale (au titre de la mission générale d’insertion - MGI) mais peinent à rattraper (au double sens du terme) les sortants : difficulté de les joindre, refus pour certains de revenir dans une école qui n’a pas su les motiver, rupture de contrats d’apprentissage non suivie de nouvelle proposition….

Incontestablement, ces dispositifs rendent des services car les 30 000 élèves de plus de 16 ans pris en charge dans les actions d’insertion de l’Education nationale viendraient grossir les sortants sans diplôme s’ils n’existaient pas.

Cependant, ces modalités spécifiques de « remotivation » et de « rescolarisation », organisées à la marge du système finissent aussi par dispenser le cœur du système éducatif de l’action d’agir en profondeur contre l’échec lourd qui exclut du système de formation.

Il serait incomplet de ne pas ajouter les dispositifs qui participent de la prévention des sorties précoces et qui sont mis en place depuis 3 ans : l’amélioration de l’éducation à l’orientation (au collège et au lycée), la rénovation de la voie professionnelle mais dont les effets vont devoir se faire attendre. Si cette dernière est porteuse de réelles transformations, il ne faut pas attendre de l’éducation à l’orientation des solutions « miracles » à l’échec scolaire.

Par ailleurs, les dispositifs d’accueil et d’insertion des jeunes sans diplôme se sont développés depuis 2005 à l’extérieur du système éducatif : Ecoles de la 2ème chance, Défense 2ème chance, dont les missions locales sont un des pivots essentiels. En matière d’accès à la qualification, qui reste la clé indispensable à l’insertion professionnelle, le bilan de ces structures reste tout à fait insatisfaisant, malgré l’engagement des acteurs et l’importance des financements publics (européens, nationaux, régionaux, départementaux, voire locaux).

Outre leur faible efficience (résultats comparés aux moyens), ces dispositifs de « compensation » et de « réparation » externalisent le traitement de l’échec scolaire. En effet, ils n’interagissent pas fondamentalement sur les causes des sorties sans diplôme et peuvent représenter, à certains égards, une « commodité » pour le système éducatif.

Il est maintenant urgent de trouver des leviers internes au système éducatif pour réduire les sorties sans diplôme. Le levier juridique, en l’occurrence, l’obligation de formation jusqu’à 18 ans, pourrait en être un, certes non suffisant mais sans doute nécessaire.

3 - Le levier juridique de la formation obligatoire JUSQU’A 18 ans est nécessaire …

Levier juridique : il suffit d’observer, à partir de 1960, l’évolution de l’accès à la qualification sur les générations ayant ou non bénéficié de la prolongation de la scolarité, donc avant et après la loi Berthoin, pour se convaincre de l’effet bénéfique de la loi sur les parcours d’insertion[4]. On a pu aussi noter les atouts en termes d’éducation sur les enfants de ces premiers bénéficiaires.

L’effet levier de la loi vient de ce qu’elle obligera le système éducatif à qualifier tous ces élèves, donc à trouver les moyens d’améliorer ses résultats et donc son organisation. N’est-ce pas une ambition « raisonnable » pour le système éducatif dans lequel la Nation choisira d’investir plus et mieux l’argent public ?

L’obligation de formation jusqu’à 18 ans, c’est enfin sortir des dispositifs multiples, peu solides, qui n’assurent pas l’accès au diplôme. C’est apporter de la cohérence interne au système éducatif et considérer que l’accès au diplôme ne relève pas de la réparation ni de la compensation mais fait partie de sa mission première (cf. les grandes orientations de la loi du 10 juillet 1989, reprises dans la Loi d’Orientation sur l’avenir de l’Ecole, d’avril 2005, qu’il faut rappeler mais en exigeant du système éducatif les conditions – pas seulement financières - pour se transformer).

Dès lors qu’on inclut l’apprentissage comme une des modalités de la formation obligatoire, on peut s’attendre à un meilleur suivi des jeunes apprentis, notamment à l’issue des ruptures des contrats d’apprentissage. De fait, cette modalité de formation, prisée par les conseils régionaux (cf. les plans de développement de l’apprentissage pour la région Ile de France et d’autres régions), sera confortée par cette mesure législative.

Pour ce faire, l’inspection de l’apprentissage doit voir son rôle de service public de l’éducation nationale renforcé ; pour que les taux de réussite aux examens des apprentis soient au même niveau que les élèves des autres filières, il faut réfléchir aux conditions d’apprentissage des apprentis, aux horaires d’enseignement qui sont inférieurs à ceux des élèves. Il faut aussi rendre possibles les passerelles entre l’apprentissage et la voie scolaire qui sont quasi inexistantes actuellement, malgré les discours et les affichages. Par ailleurs, les élèves qui, à la fin du collège, s’engagent dans l’apprentissage sont souvent ceux qui ont des difficultés d’apprentissage, or, pour réussir dans cette voie, il faut au contraire, être autonome, apprendre vite et bien. Il y a là un paradoxe auquel il faut réfléchir pour éviter les ruptures de contrat qui touchent d’abord et massivement les plus fragiles et les plus jeunes.

Par ailleurs, concernant les décrochages au lycée professionnel, entre 16 et 18 ans, qui sont plus massifs qu’au lycée général et technologique, l’aide personnalisée et l’autonomie des établissements, introduites par la rénovation de la voie professionnelle en 2009, peuvent en partie y répondre, mais est-ce suffisant pour changer les pratiques pédagogiques et d’organisation de la pédagogie ? Faisons aussi de nos établissements des lieux de vie, systématisons l’accueil dans cette voie de formation. Il va sans dire que la formation initiale et continue des enseignants doit être véritablement rétablie pour faire face à ce défi. Il ne suffit pas de lois d’affichage, il faut créer de véritables conditions d’accompagnement des équipes enseignantes et de direction pour réussir les changements et prévoir des évaluations régulières de la mise en œuvre.

La rénovation de la voie professionnelle et celle de la voie générale et technologique (à la rentrée 2010) prévoient de multiplier les passerelles entre ces deux voies. Pour l’instant, elles se déroulent dans le sens « descendant » : de la seconde générale et technologique vers la voie professionnelle, de la 1ère année de baccalauréat professionnel vers le CAP et non dans le sens d’une élévation du niveau de qualification. Il faut donc que ces passerelles soient une réalité pour les élèves afin d’augmenter leurs chances d’aller vers un diplôme d’enseignement supérieur (BTS, DUT, école d’ingénieurs, …).

Au-delà de l’hexagone, une telle mesure permettrait aussi à la France de rejoindre les pays membres de l’UE qui se sont engagés dans cette voie (selon des modalités variées) : Belgique, Hongrie, Grande Bretagne, Irlande, Pays Bas notamment.

Une autre raison de ce prolongement nécessaire de l’âge de formation tient à la question des temps d’apprentissage : la réflexion sur les rythmes scolaires se limite pour l’instant à l’année scolaire : moins de congés, allongement de la semaine, raccourcissement de la journée … Pistes nécessaires, certes, mais ne faut–il pas élargir cette approche des temps d’apprentissage sur la durée de formation, compte tenu de la vitesse exponentielle de croissance des connaissances, en particulier ? De plus, ceux qui partent plus précocement sont précisément ceux qui ont le plus besoin de ce temps d’éducation et de formation pour faire progresser leurs acquis et leur capacité d’apprentissage.

4 - Un levier possible mais insuffisant

C’est un levier possible : pour plagier le président américain dans son combat pour étendre la réforme de la couverture santé : « this isn’t radical reform, but it is major reform ». En effet, ni radicale encore moins révolutionnaire dans le sens où les appuis pour parvenir à cet objectifs sont solides, mais majeure dans ses effets.

4.1 - Quels sont les appuis potentiels à une telle proposition ?

Militent pour une telle solution une exigence de hausse des qualifications[5] (exprimée tant par les citoyens que par les milieux professionnels – hormis quelques secteurs de l’artisanat), un début d’expérimentation d’autres pratiques pédagogiques pour faire réussir les « grands élèves » (article L.401-1 du Code de l’Education), l’encouragement à l’autonomie des EPLE, la rénovation actuelle de l’enseignement professionnel. Il faut étudier les coûts supplémentaires, mais ce calcul doit aussi inclure les coûts sociaux de prise en charge des sortants sans diplôme. En effet, les sorties du système de formation sans diplôme de niveau V ont une incidence négative sur nombre de domaines, et nécessitent des mesures et politiques publiques couteuses.

4.2 - Quels peuvent être les freins et les risques ?

Les freins peuvent être multiples dans les conditions actuelles : des enseignants insuffisamment formés (ce qui implique donc de réviser fortement la réforme actuelle de formation des enseignants), des contestations de la part des familles les plus défavorisées qui ont peu confiance dans un surcroît d’éducation compte tenu du faible profit qu’elles en retirent, des oppositions de la part de certains milieux professionnels (petits artisans qui utilisent à peu de frais une main d’œuvre pas formée). Il faut aussi répondre à certains enseignants qui se voient mal « accompagner » des élèves en grande difficulté jusqu’à une réelle qualification. Ne manqueront pas ceux qui plaignent « l’ennui » des élèves, et qui, bonnes âmes, proposent de les renvoyer hors de formation, sans pour autant proposer une vraie pédagogie vivante, participative, qui engage enseignants et élèves.

Plus que tout, enfin, il faudra tout faire pour éviter le risque de tomber dans la tendance naturelle qu’a notre système éducatif, de créer des structures de relégation, des dispositifs pour les « 16-18 ans » dont on ne saurait que faire. Pour surmonter ces risques et ces freins, il convient désormais de réfléchir aux conditions de réaliser cette forte ambition pour le pays, qui peut être une mesure phare d’un son projet éducatif et qui peut fédérer les autres mesures éducatives.

Cela suppose un débat à l’échelle du pays, pour mobiliser les forces de progrès, pour garantir les conditions de réalisation et pour mobiliser les acteurs en sa faveur.


* Dominique Tardieu est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire de l’Education nationale

[1] Cf. Eric MAURIN La nouvelle question scolaire – les bénéfices de la démocratisation, 2007

[2] Cf. Repères et Références statistiques – RERS 2009 – publication de la DEPP (ministère de l’Education nationale)

[3] Cf. Repères et Références statistiques – RERS 2009 – publication de la DEPP (ministère de l’Education nationale), 8.20 et 8.29

[4] Cf. Eric Maurin, op. cité.

[5] Voir l’interview de Daniel Bloch dans Le Monde du 1er septembre « Ecole : "L'hymne au mérite, à l'autonomie et à l'autorité a ses limites" »

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