La réforme : la France vit avec l’image d’un pays « irréformable », résistant au changement, et qui n’évolue que par à-coups brutaux, tropisme « révolutionnaire » oblige. En 2007, le candidat Sarkozy a surfé sur cette image. Face à une France immobile, conservatrice, arc-boutée sur la défense de son modèle social et des « acquis sociaux », il proposait une thérapie de choc : la rupture. Elle devait se traduire par un programme de réformes aussi fracassantes que rondement menées. A mi-mandat, qu'en est-il ? Comment les Français perçoivent-ils aujourd’hui l'idée même de réforme ? Pour le savoir, Terra Nova s'est associée à l'Institut Médiascopie afin de recueillir le jugement des Français sur 150 mots associés à l'idée de réforme. Ces mots ont été classés sur deux axes en fonction de leur évocation plus ou moins positive et de leur importance pour la réforme dans l'avenir. Les résultats apportent des enseignements précieux sur la conduite des réformes.
1 - La méthode : comment réformer ?
C’est un enseignement fort de l’étude : la méthode de la « rupture » sarkozyste est très largement rejetée. Les Français ont une vision négative de l’action pour l’action : les décisions trop rapides, les choix venus d’en haut sans concertation, le passage en force au nom de l’efficacité, les réformes présentées comme « inévitables » ou encore de l'idée selon laquelle il faudrait « faire table rase du passé ».
Pour réussir une réforme, la « bonne » méthode repose sur le dialogue, la concertation, la participation. Elle doit s’efforcer de faire émerger le consensus en associant « tous les Français ». Elle s'inscrit dans un temps long. Il ressort aussi qu'il est particulièrement nécessaire pour l'avenir de « hiérarchiser les priorités », ce qui est peu en phase avec la méthode suivie au cours des premières années du quinquennat.
En d’autres termes, il est nécessaire de penser une vraie méthodologie de conduite du changement, associant efficacité et légitimité, et acceptant de prendre du temps avant la décision. Le management de la réforme : c’est un élément clé de la rénovation politique en France.
2 - Les objectifs : pourquoi réformer ?
Les finalités de la réforme sont clairement tournées vers l'avenir. « Penser aux générations futures » et « investir pour l'avenir » sont deux exigences qui ressortent de manière très nette de l'enquête, loin devant toutes les autres, de même que « moderniser », « anticiper » et « innover ». C’est un élément intéressant dans le débat générationnel actuel sur les retraites : toutes les générations sont conscientes – les séniors plus encore que les autres – que nous sommes en train de sacrifier l’avenir de nos enfants. C’est aussi une réalité : la montée en puissance des contraintes de finances publiques a progressivement asphyxié les investissements d’avenir, la France engloutit désormais la quasi-totalité de ses marges de manœuvre dans une vaste préférence pour le présent.
Les objectifs de justice sociale n’ont certes pas disparu. Réduire les inégalités et corriger les excès demeurent fortement valorisés. Les Français continuent d’être attachés à leur modèle social. Mais la priorité, c’est l’avenir.
Reconquérir l’avenir : et si c’était la clé du narratif de la gauche pour 2012 ?
Autre enseignement : la réforme doit apporter un « mieux » plutôt qu'un « plus », et certainement pas un « moins ». Traditionnellement, la droite propose « moins » (moins d’Etat, de fonctionnaires, d’interventionnisme… il faut libérer les énergies de tous ces carcans) et la gauche « plus » (plus de droits, plus de protection, plus de pouvoir d’achat - « Toujours plus » stigmatise la droite, à l’instar de François de Closets).
Le « moins » est rejeté. Notamment, le rôle de la puissance publique est considéré comme central. De manière étonnante, alors que les privatisations sont jugées globalement négativement, les nationalisations sont associées à des représentations positives, tant par les sympathisants de gauche que par ceux de droite !
Mais il y a une évolution intéressante : les Français ont conscience qu’on peut difficilement faire « plus » dans le contexte actuel, ils plébiscitent le « mieux ». Dans cette logique, l'amélioration du service public et la simplification des démarches administratives comptent parmi les finalités les plus valorisées.
Dernier enseignement fort : la « société du bien-être » est plébiscitée face à la « société du mérite ». Elle reçoit la même note élevée sur les deux axes, à gauche comme à droite (6,8 et 6,9). En revanche, « la société du mérite » se révèle plus clivante et, en tout état de cause, moins positive puisqu'elle reçoit une note de 5,3 chez les électeurs de gauche et 6,7 chez les électeurs de droite. L’intuition du Care de Martine Aubry est donc en phase avec le souhait des Français, ce qui n’est pas le cas de la méritocratie compétitive promue par Nicolas Sarkozy.
Enfin, signe des temps: la crise est le mot qui apparaît de loin le plus mal perçu.
3 - Le bilan : comment les réformes récentes sont-elles perçues ?
Les réformes emblématiques de la mandature que sont le bouclier fiscal, la réforme des retraites, la réforme du statut de la Poste ou encore le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite sont toutes considérées négativement. Les Français semblent avoir pris acte de l'enterrement de la taxe carbone qui est à la fois jugée négativement et clairement reléguée dans le passé. Le Grenelle de l'environnement tire davantage son épingle du jeu.
Quant aux réformes emblématiques du gouvernement Jospin, elles sont toutes jugées positivement, que ce soit le PACS, la CMU ou les 35 heures. Si le clivage gauche-droite est tangible sur ces réformes, elles ne sont pas pour autant discréditées par le camp adverse: les 35 heures reçoivent tout de même une note de 4,5 sur 10 chez les sympathisants de droite. Alors que dans le même temps, le bouclier fiscal est noté 2,9 à gauche et 4,7 à droite.
4 - La communication : quels mots choisir pour communiquer sur la réforme ?
L'étude donne des éclairages intéressants concernant les termes à employer dans le cadre de la communication politique à adopter dans la présentation des réformes. Tout d'abord, malgré un lourd passif, le mot « réforme » en lui-même n'est pas à proscrire ; il reste connoté positivement et est considéré comme très important pour l'avenir.
D'autres termes voisins sont toutefois plus valorisés, et donc sans doute plus sexy lorsqu'il s'agit de « vendre » une réforme : c'est le cas du terme à la mode de régulation mais plus encore des mots réinvention, rénovation, solutions.
5 - Les acteurs : qui pour porter les réformes de demain ?
C’est un enseignement rassurant de l’étude : les institutions démocratiques - Parlement, Gouvernement, Premier ministre, Présidence de la République, mais aussi les syndicats et les fonctionnaires - sont toutes vues de manière positive et importante pour l'avenir.
Signe d'un changement d'époque, l'Europe et les collectivités locales se détachent tout particulièrement. Il est clair que le modèle jacobin a vécu. Le rôle des collectivités locales est jugé plus positivement que celui du Président, du Parlement et du Gouvernement et le rôle de l'Europe est décrit comme plus important pour l'avenir. La gouvernance internationale, comme le FMI ou le G20, se positionne pratiquement au même niveau que les institutions nationales.
Un élément inattendu: lorsque les Français pensent à la réforme, ils lui associent positivement les entreprises et estiment que leur rôle sera important pour l'avenir.
En revanche, l'ensemble des partis politiques et des confédérations syndicales et patronales sont perçus négativement et nettement plus tournés vers le passé. Le message est clair: pour les Français, les acteurs actuels, tant politiques que syndicaux, ne sont pas à la hauteur des enjeux que porte l'idée de réforme. Seuls deux mouvements politiques se détachent: les Verts et Europe écologie qui sont à la fois associés positivement à la réforme et jugés importants pour l'avenir, avec des scores qui demeurent néanmoins modestes: avec une note positive de 5,9, Europe écologie devance les Verts d'une courte tête...
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