Dans le cadre des discussions sur le projet de loi de finances pour 2011, qui sera présenté le 29 septembre, le gouvernement a fait de la réduction des « niches fiscales » son objectif prioritaire. Le Premier ministre a annoncé le chiffre d’« au moins dix milliards d’euros » de réductions. Beaucoup de commentateurs saluent l’effort sans précédent que s’apprête à faire le gouvernement, son courage budgétaire.
Le gouvernement a raison de cibler les niches fiscales : c’est bien le « maillon faible » du budget de l’Etat. Mais le « coup de rabot » qu’il envisage est-il satisfaisant ?
Commençons par le commencement : qu’est-ce qu’une niche fiscale ? Une niche fiscale, ou « dépense fiscale » dans la terminologie officielle, est une disposition fiscale dérogatoire à la règle d’imposition de droit commun. Il s’agit d’une charge financière qui prend la forme, non pas d’une inscription en dépense, mais d’une atténuation de recette. La règle de droit commun n’est toutefois pas définie de manière intangible. C’est ce qui explique le caractère fluctuant du périmètre des dépenses fiscales, avec une grande latitude laissée à l’arbitraire politique.
Dans ce contexte, on peut répertorier trois strates de niches fiscales. Il y a d’abord les niches fiscales officielles. Ce sont celles répertoriées dans le classement fourni par le projet de loi de finances (PLF). La France en détient le record mondial, et de très loin : 468 dépenses fiscales sont recensées dans le PLF 2010 pour une perte de recettes atteignant 74.8 milliards d’euros (soit près de 4% du PIB). La moitié de ces niches porte sur l’impôt sur le revenu (IR).
Il y a ensuite d’anciennes niches officielles, qui ont été déclassées au fil du temps. Ce déclassement, censé reposer sur des critères objectifs, est en vérité largement arbitraire, comme l’a dénoncé la Cour des comptes. Dans son rapport public annuel de 2010, la Cour des comptes évalue à plus de 70 milliards d’euros les dépenses fiscales effacées de la liste. Le volume des niches fiscales, classées et déclassées, atteint dès lors environ 150 milliards.
Il y a enfin une dernière strate : les mesures équivalentes à des niches fiscales. Certains dispositifs n’ont jamais été classés en niches fiscales mais relèvent de la même définition. Il s’agit notamment du quotient conjugal et du quotient familial à l’impôt sur le revenu, ainsi que du mécanisme du prélèvement forfaitaire libératoire sur de nombreux revenus financiers et de la défiscalisation de l’épargne populaire. Ces dispositifs ont un coût budgétaire très élevé, de l’ordre de 70 milliards d’euros également.
Ainsi, au sens large, les niches fiscales dépassent 200 milliards d’euros : plus de 10% du PIB ! Un volume pharaonique : la suppression des seules niches fiscales permettrait ainsi d’éponger bien au-delà des déficits publics du pays (8% du PIB).
Les niches fiscales ont un coût budgétaire phénoménal, elles ont aussi de sérieux effets pervers.
Premier effet pervers : un problème de transparence et de maîtrise budgétaires. Une norme d’évolution des dépenses budgétaires a été définie, aux fins de maîtrise des finances publiques. Or les dépenses fiscales permettent de contourner cette norme. Ce n’est pas un hasard si l’augmentation de leur nombre s’est accélérée depuis l’instauration de cette norme : on comptabilise 200 nouvelles niches fiscales créées depuis 2002, pour un volume total de 17 milliards d’euros. En outre, on tend à remplacer des crédits budgétaires, dont le montant est connu à l’avance, par des mécanismes fonctionnant à « guichet ouvert », qui peuvent dériver avec le temps, et qui d’ailleurs le font souvent. C’est le cas par exemple de « l’amendement Copé » (exonération des plus-values de cession de titres pour les holdings financières) : il a coûté 20 milliards d’euros en trois ans, « explosant » littéralement les évaluations prévisionnelles.
Deuxième effet pervers : un problème d’équité sociale. Les niches fiscales représentent environ les deux tiers du produit de l’impôt sur le revenu : 35 milliards sur 50… Elles affaiblissent ainsi profondément le principal impôt redistributif de notre système fiscal. Pire, certaines niches ont été détournées et servent aux contribuables les plus fortunés pour une optimisation fiscale à grande échelle. De fait, les 100 principaux bénéficiaires des niches fiscales réduisent leurs impôts de plus de 1 million d’euros et 20 d’entre eux ne paient plus d’impôt sur le revenu de ce fait.
Le dernier effet pervers concerne l’efficacité des niches fiscales. Elles s’avèrent souvent inefficaces voire contre-productives au regard des objectifs économiques, sociaux ou environnementaux censés les justifier. Prolifération, superposition et objectifs clientélistes ont achevé de rendre illisibles et contradictoires nombre de dispositifs.
Face à ce constat, les propositions du gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux. Leur ambition est insuffisante. La France doit faire face à un « mur de la dette », avec un déficit public annuel de 150 milliards d’euros. Dans ce contexte, le « coup de rabot » de 10 milliards d’euros est avant tout un coup d’épée dans l’eau. Les marges de manœuvre sont beaucoup plus importantes pour un gouvernement qui se voudrait volontariste. C’est d’autant plus vrai que 17 milliards d’euros de niches nouvelles ont été créées depuis 2001, par cette même majorité politique, ce qui relativise l’effort affiché aujourd’hui : même après le coup de rabot, le bilan net de la droite restera négatif.
Le gouvernement est aussi, il faut bien le dire, d’une belle hypocrisie. Pour limiter l’optimisation fiscale à grande échelle des contribuables les plus fortunés, à la fois inéquitable et source d’une perte très importante de revenus fiscaux, un plafonnement global par contribuable a été introduit en 2009 (20 000 euros et 8% du revenu). Le gouvernement envisage de le durcir. Pourtant, son efficacité est
En Md€
Réforme proposée
Coût actuel
annuel
Economie brute
Economie nette
TVA sur la restauration
Abrogation
3
3
3
TVA sur l’hôtellerie
Abrogation
1,8
1,8
1,8
Bouclier fiscal et réductions ISF
Abrogation
1,5
1,5
1,5
Incitations investissement locatif (dispositif « Scellier », IR)
Abrogation
0,5
0,5
0,5
Déductibilité intérêts emprunt immobilier (IR)
Abrogation
3
3
3
Retraites : taux réduit de CSG
Réduction
5
2
2
Retraites : abattement de 10 % à l’IR
Abrogation
2,7
2,7
2,7
Retraites : exo. majorations pour enfants (IR)
Abrogation
0,75
0,75
0
Quotient conjugal (IR)
Abrogation
24
24
0
Exonération des prestations familiales (IR)
Abrogation
1,6
1,6
0
Demi-part supplémentaire parents isolés (IR)
Abrogation
0,4
0,4
0
Réductions d’impôt outre-mer (IR, IS)
Abrogation
3,5
3,5
0
Exonération heures supplémentaires (IR)
Abrogation
1,2
1,2
1,2
Niches fiscales anti-écologiques (IR)
Abrogation
5
5
5
Fiscalité dérogatoire revenus du capital (IR)
Réduction
30
3
3
Emploi d’un salarié à domicile (IR)
Réduction
3
1,5
1,5
TOTAL
52
25