« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », ainsi le proclame l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), adoptée par tous les pays du monde.
Et pourtant, aujourd'hui, la torture est pratiquée par un pays sur deux.
Un texte signé par
Amnesty International et Acat-France
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Définir la torture.
Quatre éléments essentiels la définissent : le fait d'infliger une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales ; l'intentionnalité de l'acte ; la recherche d'un but spécifique par son auteur ; l'intervention d'un agent représentant l'État à titre officiel ou de toute personne agissant avec son consentement exprès ou tacite.
Torturer pour faire taire. Pas pour faire parler.
On torture des individus dans le but de faire naître la peur dans des communautés et des groupes sociaux déterminés. La majorité des États nient que la torture a cours sur leur territoire et/ou qu'ils ont une responsabilité dans son application. Certains, comme les Etats-Unis, cherchent à contourner les obstacles et conventions internationales en légalisant la pratique -sans la nommer- sous certaines conditions.
Pourtant il ne s'agit pas de faire parler des «poseurs de bombes».
Ce dilemme moral, selon lequel entre deux maux il faut choisir le moindre, n'est pas nouveau. Il a toujours été le seul argument de ceux qui veulent justifier l'usage de la torture. L'armée française l'a employée en Algérie, les Britanniques en Irlande et les États-Unis après le 11 Septembre. En réalité, si la recherche de renseignements est l'un des buts du recours à la torture, l'imminence d'un danger pour des centaines de vies n'est qu'un prétexte.
La torture est alors une technique de gouvernement. Peu importe que l'on tienne LE coupable, l'on tient un de ses semblables et c'est pareil. Alors, on torture pour punir; pour humilier; pour faire régner la terreur; pour dominer. La peur des dénonciations et le spectre des arrestations amènent chacun à se taire et à se montrer docile vis-à-vis de l'État et de ses représentants.
La torture, destructrice des hommes, des sociétés, des États.
La victime est pour toujours un être marqué dans sa chair, hanté dans sa tête par des mois, des années de captivité et de sévices.
Certains n'ont plus de dents, d'autres ont des mains mutilées, d'autres encore ne marcheront plus jamais normalement. Et même lorsque la torture n'a pas laissé de traces aussi manifestes, les séquelles physiques et psychologiques sont toujours intenses et le plus souvent indélébiles.
Qu'ils en parlent ou non, qu'ils semblent avoir retrouvé leur joie de vivre ou non, tous les torturés sans exception sont marqués au plus profond d'eux-mêmes par ce qu'ils ont enduré: troubles de la mémoire, du sommeil, incapacité à se concentrer... Et au-delà de ces victimes « directes », la torture propage un véritable poison dans toute une société. Des familles entières sont brisées par la peur, le traumatisme d'avoir un proche l'ayant subie.
Pratiquée dans le secret, jamais reconnue par les pouvoirs en place, la torture entraîne l'impunité, le déni de justice, véritable gangrène pour la société. Et même à invoquer un recours « exceptionnel » à la torture, un État ne peut la pratiquer sans se renier et ruiner ses fondements, car il est le gardien de l'inviolabilité physique et psychique de la personne. Et l'Histoire démontre qu'une fois cautionnée, la torture envahit tout le paysage moral et juridique. Ainsi en est-il de nombreux États, dénonçant officiellement la torture et la pratiquant en secret, directement ou non. Ainsi en est-il des États-Unis.
Les États-Unis : d'une administration à l'autre
« Les États-Unis sont engagés dans la lutte mondiale pour l'élimination de la torture et nous menons cette lutte par l'exemple. »
George W. Bush, juin 2003
« Nous avons torturé, nous avons maltraité des gens. Cela restera à jamais une défaite stratégique pour notre pays
et il sera très difficile pour nous de retrouver l'autorité morale que nous avions avant de nous être éloignés des Conventions de Genève. »
Général Ricardo Sanchez,
commandant de la force multinationale en Irak en 2003 et 2004.
Les droits de l'Homme ont été mis à mal, profondément et durablement, lorsque, à la suite du 11 septembre 2001, l'interdiction absolue de la torture a été remise en question par l'État qui se targuait d'être la plus grande puissance démocratique du monde.
En adoptant une définition très large du terrorisme, les États-Unis ont développé une rhétorique leur permettant d'infléchir les règles juridiques internationales fondamentales, voire de les considérer comme caduques.
Au nom de la lutte contre le terrorisme, on a donc autorisé les détentions illégales, les techniques d'interrogatoires « renforcées », les transferts de suspects vers des pays où ils étaient détenus au secret, les actes de torture et autres mauvais traitements ainsi que les disparitions. Les conséquences en sont gravissimes. Cette politique, assumée par l'administration de l'époque, a malheureusement trouvé un certain soutien dans l'opinion publique américaine. Elle a permis la sous-traitance de la torture dans des pays tiers. Elle a bénéficié de la complicité d'États européens, qui ont participé aux programmes de « restitutions extraordinaires », abrité des prisons secrètes, renvoyé des suspects vers des pays où ils ont été maltraités ou accepté des aveux obtenus sous la torture comme preuves dans des procédures judiciaires. Au total, ce nouveau climat de tolérance a décomplexé, voire encouragé, les pays peu scrupuleux du respect des droits de l'homme qui avaient déjà recours à ce genre de pratiques.
La vérité des violations des droits humains commises lors de cette « guerre contre le terrorisme » est maintenant de notoriété publique. L'ancien président George W. Bush a admis publiquement avoir autorisé le recours à des techniques d'interrogatoire brutales qui s'assimilent clairement à la torture. Des preuves de l'existence de centres de détention secrète dans des pays tels que l'Irak ou en Europe, comme en Lituanie, continuent d'apparaître.
Certains États ont mené ou commencent à mener des enquêtes sur leur attitude dans cette «guerre contre le terrorisme». Toutefois aucun des États et des individus responsables n'a été tenu de répondre de ses actes officiellement ou dans les faits.
L'élection de Barack Obama a été porteuse de l'espoir d'un changement. Mais malgré les décrets signés par le président dès janvier 2009, la politique globale de lutte contre le terrorisme n'a pas vraiment été remise en cause. Le terme « combattant ennemi illégal » a été aboli, mais le concept de guerre globale contre le terrorisme, réaffirmé à plusieurs reprises, permet aux USA d'arrêter et de détenir partout dans le monde toute personne qu'ils suspecteraient de terrorisme.
Fin mars 2011, à Guantanamo il y avait toujours 172 détenus dont un âgé de 15 ans au moment de son arrestation en 2001 ; 36 pourraient être traduits devant les tribunaux militaires et/ou civils ; 48 seront « gardés indéfiniment » sans inculpation ni procès car les preuves retenues contre eux pourraient être « corrompues » en raison des actions commises pour les obtenir. On a peu d'information sur les quelque 600 détenus à Bagram, sur le sol afghan, qui n'ont pas le droit de contester leur détention.
Quand les USA prirent leur siège au Conseil des Nations unies pour les Droits de l'homme en 2009 ils déclarèrent : « Ne vous trompez pas, les États-Unis ne regarderont pas d'une autre façon (que vous) les abus sérieux des droits humains. La vérité doit être dite, les faits éclairés et on doit faire face aux conséquences. »
Malgré cela, le président Obama a maintenu un système qui légitime la torture et permet de multiples violations du droit international en :
- condamnant la torture comme le simulacre de noyade, mais en demandant à ce que les techniques d'interrogatoires se conforment au « Manuel de terrain de l'armée » qui autorise la privation de sommeil, l'isolement et l'utilisation des peurs des détenus (chiens aboyant et montrant les crocs, menace de viol sur le détenu ou sur sa famille...) ;
- autorisant, après les avoir suspendus en 2009, les procès devant les commissions militaires. Ces dernières, instaurées en 2001 par décret présidentiel puis légalisées par le congrès en 2006, elles ont été conçues dans le cadre d'un régime de détention illégale, afin de faciliter les condamnations tout en limitant le contrôle judiciaire sur le sort réservé aux détenus ;
- maintenant les centres de détention comme Guantamano et Bagram ;
- réaffirmant que les États-Unis se réservent le droit de recourir aux « restitutions », et en autorisant la CIA à détenir des personnes pour de courtes périodes sans que le cadre juridique qui régit ce type de détentions soit bien défini.
La tâche reste immense pour que les droits de l'Homme, et spécialement l'interdiction de la torture, retrouvent leur place fondamentale dans l'échelle des valeurs de nos sociétés.
Recommandations des organisations de défense des droits de l'homme
Pour Amnesty International et l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT-France), les violations des droits humains au nom de la lutte contre le terrorisme doivent cesser. Il est grand temps de :
- mettre fin aux détentions illégales et aux actes de torture et bannir toute pratique qui constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant ;
- supprimer les commissions militaires et traduire les personnes détenues dans le cadre de la guerre contre le terrorisme devant des tribunaux civils ;
- poursuivre pénalement les responsables des violations des droits de l'homme commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et rendre justice aux victimes;
- faire la lumière, enfin, sur les mécanismes qui ont permis que de tels agissements aient lieu. C'est cet éclairage essentiel que nous apporte le film enquête de Marie-Monique Robin. Essentiel pour comprendre comment l'administration Bush a pu légitimer, politiquement et juridiquement, le recours à la torture et s'appuyer si rapidement sur un personnel qualifié susceptible de pratiquer la torture et de former de futurs tortionnaires
Ce texte, inclus dans le livret qui accompagne le DVD Torture made in USA (produit par Arte et mis en vente à partir du 28 juin) est signé
Amnesty International et ACAT-France
Amnesty International est un mouvement mondial et indépendant de 2,8 millions de personnes qui œuvrent pour le respect, la défense et la promotion de tous les droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
ACAT-France (association des chrétiens pour l'abolition de la torture)est une ONG chrétienne de défense des droits de l'homme, créée en 1974 et reconnue d'utilité publique. Fondant son action sur le droit international, l'ACAT lutte contre la torture, la peine de mort, et pour la protection des victimes grâce à un réseau de 33.000 membres. En France, elle agit sur les conditions de détention et pour le droit d'asile.