Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter a quitté le service d’active il y a quatre ans. Patron de la Force d’Action Navale, il a commandé le porte-avions Foch et fut également conseiller au ministère de la Défense.
À quelle occasion avez-vous été confronté à la question de l’accueil des migrants en mer ?
Lorsque j’était conseiller au ministère de la Défense, il y eut un débat à propos de l’afflux de réfugiés chinois en Nouvelle-Calédonie. Les « non-marins » nous disaient un peu naïvement : « Il faut éviter à tout prix qu’ils pénètrent dans les eaux territoriales ». Et moi, je leur répondais : « Que voulez-vous qu’on fasse ? On ne va pas leur tirer au canon dessus ! »
C’est un problème insoluble, car les lois de l’assistance en mer font que tout marin en eaux internationales a le devoir de porter assistance à des personnes en danger. Si le bateau n’est pas en danger, on peut toujours être cynique et se dire qu’il peut continuer sa route en lui donnant de l’eau et du gazole. Mais s’ils sont en grande difficulté, on a le devoir de porter assistance. Et quand ils montent à bord d’un navire militaire, ces réfugiés sont déjà en territoire français. On les accueille, puis… que fait-on ?
Cette mission d’assistance à personne en danger en mer a-t-elle tendance à s’intensifier pour la Marine nationale ?
Il y a des navires militaires qui essaient de lutter contre cette prolifération de bateaux de réfugiés en Méditerranée. Au cabinet du ministre, j’ai également été confronté au problème des immigrants de Comores à Mayotte. Ce que l’on essaie de faire à Mayotte, c’est d’aider la police aux frontières à repérer au mieux les passeurs.
Car la Marine nationale a aussi une mission de police en mer. Entre un quart et un tiers des heures opérationnelles de la Marine sont dévolues à ces missions, mais pas uniquement pour les questions d’immigration : il y a aussi la lutte contre le trafic de drogue ou la pêche illicite.
Les commandants de navire sont-ils préparés, formés pour ces tâches d’assistance humanitaire ?
Oui, ils bénéficient d’une formation particulière, notamment à Toulon où je m’en occupais.
Par ailleurs, je l’ai vu comme amiral et dans les inspections faites, que ce soit à Mayotte, en Somalie ou en Méditerranée : tous nos équipages font preuve vis-à-vis de ces gens-là de la même sollicitude que pour d’autres. Vous pouvez voir des dizaines de photos de bons gros gars de la marine qui portent dans leurs bras des petits bébés ou qui aident des femmes enceintes à monter à bord. On s’attache quand les migrants restent quelques jours. Et lorsqu’on arrive sur la côte et qu’on voit les fourgons de police qui vont les embarquer, c’est un crève cœur ! C’est pour cela que nos équipages ont peur de ces missions. Dans leur esprit, ils sont là pour sauver des gens.
Propos recueillis par Dominique Chivot - Cet article a été publié dans le numéro d'octobre 2012 de la revue Causes Communes.