Il est une fleur dont la fragrance est indissociable des années de mon enfance en Egypte : le jasmin, du persan puis de l'arabe Yasminah. Dans tout l'Orient, cette fleur a toujours été celle de la femme, dans toute sa beauté. En offrir est une preuve d'amour... Et comme le jasmin blanc est emblématique de la Tunisie, la «révolution du jasmin» est un acte d'amour du peuple tunisien pour la liberté, pour la justice, mais surtout pour son pays.
D'autres se sont exprimés, souvent avec talent, pour saluer cette libération qui, paraît-il, n'était pas prévisible... Et pourtant celles et ceux qui aiment la Tunisie autrement que pour son accueil et sa légendaire hospitalité estivale savaient les épreuves, la servitude et les injustices que ce peuple subissait depuis plus de vingt ans...
A l'heure d'Internet, apparemment, le gouvernement français n'en avait pas connaissance ou plutôt, ne voulait pas en avoir connaissance... Pitoyable réaction de la ministre des affaires étrangères qui, à l'Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement, annonce qu'elle se propose de faire profiter le gouvernement tunisien d'alors du «savoir-faire français, reconnu dans le monde entier, pour l'aider à rétablir l'ordre» etqui, par la suite, avoue en Commission des Affaires étrangères qu'«on n'a rien vu venir...», l'obligeant par des arguties de contorsionniste à essayer de rattraper le coup en prétendant que «ses paroles avaient été déformées»... Mais le verbatim est formel!...
Avec son prédécesseur, c'était toujours de grandes déclarations suivies d'aucun effet... Avec elle, c'est d'abord l'envoi d'aide à un régime de dictature, corrompu, puis c'est l'aveu de l'ignorance. Alors, dites-moi, à quoi servent les ambassadeurs, les consuls, les personnels diplomatique et de renseignement dont on voit les nombreux reportages édifiants sur les chaînes du service public?... Et de qui se moque-t-on?... Si les hommes ne sont pas en cause, c'est le système qui l'est.
Le gouvernement français était parfaitement au courant de la situation en Tunisie, mais il avait choisi son camp: ce qui consiste, en premier choix, à être le chantre des droits de l'homme partout où cela ne nuit pas les intérêt supérieurs de l'Etat (?) et à choisir l'ordre et la dictature en Tunisie (ce qui rassure pour les résidences secondaires !...) en dépit des liens étroits, culturels, économiques avec ce pays, le seul, sans doute, dans le Maghreb, qui avait dépassé par sa seule volonté le rappel du protectorat et de la colonisation qui font florès ailleurs... Et en second choix?... C'est «l'observation du processus constitutionnel qui se met en place en Tunisie.. » Plus courageux que ça, tu meurs !...
Quand Nicolas Sarkozy avoue que la France avait sans doute sous-évalué la volonté du peuple tunisien, de quelle France parle-t-il ?... Du peuple Français ou de l'Elysée et de son gouvernement ?... Nous ne sommes pas là dans un rapport politique droite / gauche, le président de la République parle au nom de la France et cela est grave car il s'agit d'un magistral ratage !... La réserve de l'ancien colonisateur ne tient pas : les liens entre la Tunisie et la France sont profonds, culturels, économiques, affectifs, souvent passionnels. Ils exigent de notre part une attention particulière à tout désir, à toute volonté d'évolution du peuple tunisien, surtout quand il veut se libérer d'une dictature corrompue dont les exactions et les spoliations étaient connues depuis belle lurette en France !...
«Vois-tu», me disait un ami tunisien, avec qui nous avions essayé de relancer en 1963 le fameux Festival de Tabarka et la Fête de la Rose, «nous nous sommes libérés seuls et nous en sommes fiers... Mais le coup de pouce qui nous a vraiment aidé n'est pas venu de France... Ce n'est pas son ambassadeur qui a convaincu le général Amar, chef d'état-major des armées, de lâcher Ben Ali et ne pas tirer sur le peuple, c'est l'ambassadeur des Etats-Unis... Et cela, nous sommes nombreux, ici, à le ressentir, comme une blessure qui aura du mal à cicatriser...»
Quand il nous arrivait de poser la question à des proches du pouvoir élyséen: «Vous ne voyez pas ce qui se passe en Tunisie, l'injustice la corruption, la presse d'opinion bâillonnée?... » il nous était répondu, invariablement: «Le Président Ben Ali dirige un régime fort, certes, mais c'est un état laïc et il n'y a pas de dérive islamiste. C'est quand même rare dans un pays arabe !... » A remarquer que le joli minois du Front National parle aussi, depuis peu, de laïcité... Comme quoi, la laïcité, bien que valeur fondamentale, n'est toutefois pas suffisante si la liberté, la justice, la solidarité et la démocratie ne sont pas effectives. Quant à l'islamisme, la dictature et la corruption ont toujours été ses principaux pourvoyeurs !...
Que les Etats-Unis aient un intérêt stratégique à être présents dans le bassin méditerranéen, cela est compréhensible, mais que les récentes révélations de Wikileaks fassent état de jugements sévères de l'ambassadeur américain vis-à-vis-à-vis du pouvoir tunisien depuis de longues années, dans ses rapports au Département d'Etat, cela ne peut que renforcer notre incompréhension vis-à-vis de la passivité ou de la résignation «réaliste» du gouvernement français...
Brillante concrétisation de l'Union méditerranéenne, d'autant que le peuple égyptien manifeste et se bat pour réclamer « sa » liberté, avec en prime des slogans en français «MOUBARAK DEGAGE» !.. Comme quoi la francophonie, ce peut-être autre chose qu'une sorte d'Unesco hiératique... Etre présente dans les grandes luttes pour la liberté et la démocratie, quel symbole fort !... D'autant que cette expression francophone ne vient pas, à l'origine, de France, elle vient de Tunisie, ne l'oublions pas !...
Dans le bassin méditerranéen aussi bien que dans les pays arabo-musulmans, la Tunisie a une place très particulière: elle est le seul lien entre le Maghreb et le Proche-Orient (par exemple l'Egypte et le Liban...) par sa culture, ses traditions par sa cuisine... C'est aussi le pays le plus évolué, le plus éduqué, le plus instruit, aussi bien chez les hommes que chez les femmes, ces dernières, admirables dans leur lutte constante pour la liberté et l'égalité....
Le jasmin blanc de la Révolution tunisienne, taché de sang, n'en est que plus la fleur de la liberté.