Après des décennies d’introspection, le roman français réinvestit le champ du social et du quotidien. Ce qui prouve qu’il se porte bien, à l’inverse de la société qu’il décrit — les sociétés heureuses n’ont pas d’histoire…
Nombre de romanciers trempent aujourd’hui leur plume à l’encre des maux contemporains, sans pour cela altérer l’ambition de leurs projets littéraires. Ainsi de Nathalie Kuperman.
Nous étions des êtres vivants : le titre de son dernier livre est un résumé poignant mais malheureusement de plus en plus banal de ce ressentent les salariés de notre pays.
Il met en scène un groupe de presse « jeunesse » au moment de son rachat. L’objectif du repreneur ? Faire fructifier l’entreprise pour la revendre très vite avec une grosse plus-value. Comment ? En baissant les coûts, via une dégradation de la qualité du « produit » et un dégraissement des effectifs.
Menace, dérèglement, trahison… ces trois mots qui servent de titres aux trois parties de ce livre, évoquent parfaitement les outils mis en place par la direction pour parvenir à ses fins.
La romancière donne la parole à plusieurs personnages, employés ou cadres, puis au « chœur » des membres de l’entreprise, partant ainsi de l’individuel pour arriver au collectif. En imaginant la vie de ces femmes et de ces hommes, elle explore leurs espoirs, leur force, leur colère, leur révolte, mais aussi leurs failles, et parfois leurs faiblesses, leurs lâchetés. Elle montre comment l’appareil dirigeant se saisit des particularités individuelles pour broyer le collectif. Comment en orchestrant la peur, il assoit définitivement sa victoire.
La force du roman sur le document ou l’essai, c’est de s’emparer du réel puis de créer, par le biais de la fiction, la distance suffisante pour le donner à voir de façon à la fois juste et sensible. C’est aussi à travers des personnages aux multiples vécus, aux multiples tempéraments, de saisir le lecteur au plus intime. Et ce faisant, de tendre à l’universel et de parler au plus grand nombre, d’éveiller les consciences sans jamais porter de jugement moral, d’ouvrir la réflexion sans assener de réponse définitive.
Faut-il parler d’œuvre sociale, militante ? Non, simplement d’œuvre humaine. Et en ces temps de chaos, c’est sacrément revigorant !
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Un Monde d'Avance 2011
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