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Billet de blog 16 avril 2010

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Retraites : vers une mobilisation...

Lundi 12 avril s'est ouverte la première série de réunions bilatérales sur les retraites entre le ministre du travail Éric Woerth et les organisations syndicales et patronales. Comment se sont déroulées ces rencontres ? Que peut-on en attendre ?Rencontre avec Éric Aubin, chargé du dossier à la CGT.

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Lundi 12 avril s'est ouverte la première série de réunions bilatérales sur les retraites entre le ministre du travail Éric Woerth et les organisations syndicales et patronales. Comment se sont déroulées ces rencontres ? Que peut-on en attendre ?

Rencontre avec Éric Aubin, chargé du dossier à la CGT.

Quels sont vos sentiments, à l'issue de cette première journée ?

Nous avons été très surpris en entendant le soir même Éric Woerh développer dans les medias des arguments opposés à ceux qu'il avait eus devant nous. Ce qui nous porte à croire qu'il va y avoir un réel problème de confiance dans le traitement de ce dossier.

En ce qui concerne la méthode par exemple, le ministre nous a dit qu'il était ouvert aux négociations et à des tables rondes multilatérales, où seraient représentés le gouvernement, les organisations patronales et syndicales. Or le soir, il affirmait à la télévision qu'il ferait tout pour éviter les surenchères syndicales. Exit donc la possibilité de se mettre tous ensemble autour d'une table pour confronter nos points de vue et aller au fond des sujets. C'est pourtant indispensable. Nous avons besoin d'entendre ce que disent les autres. On le voit d'ailleurs avec cette première journée où chaque partenaire a été reçu seul et durant 1 heure, ce qui est ridiculement insuffisant au regard de la complexité du sujet.

Pourquoi un tel revirement ?


Parce que M. Woerth veut éviter un vrai débat, avoir le champ libre pour passer en force et déposer ses propositions au conseil des ministres de Juillet.

Il a usé de la même volte-face concernant la question des ressources. Depuis 1993, les différentes réformes qui n'ont jamais proposé de nouvelles ressources pour le financement des retraites, ont eu une conséquence majeure : la baisse drastique des droits des salariés et du niveau des pensions. Moins 20% depuis 93 ! Lorsque nous avons exposé cet argument, le ministre a prétendu être ouvert à cette discussion... Et le soir, il déclarait sur France Télévisions que les ressources demeureraient équivalentes, car il n'était pas question d'augmenter les impôts et les cotisations sociales !

Tout cela augure très mal de la poursuite des discussions.

Qu'a-t-il proposé ?

Il nous a informés de la mise en place de groupes de travail thématiques : la pénibilité, l'emploi des seniors, la gouvernance, les mécanismes de solidarité. Nous lui avons rappelé nos positions sur la pénibilité et les trois ans et demi de négociations avec le MEDEF.

Comment la droite qui est allergique aux régimes spéciaux, peut-elle concevoir de prendre en compte la pénibilité, qui engendrera de fait de nouveaux régimes spéciaux ?

Je crois que leur démarche ne consiste pas à considérer une profession, mais des cas individuels. Ce qui se dessine, c'est un départ à 60 ans pour certains salariés, les autres étant contraints de travailler plus longtemps. D'autre part, ils mettraient en place des commissions médicales qui statueraient sur la capacité de certains salariés à pouvoir ou non travailler après 60 ans. Nous refusons évidemment cette approche médicale qui rompt avec toute équité. Pour nous, prendre en compte la pénibilité, c'est permettre aux salariés confrontés à des métiers pénibles de partir en retraite avant 60 ans. Et ce, afin de corriger les inégalités en termes d'espérance de vie. Ce que l'on semble vouloir nous proposer, c'est de permettre à des personnes qui auront été reconnues par des médecins comme ayant pratiquement un pied dans la tombe, de partir en retraite. L'idée est de tester l'endurance des gens. Pas de chance pour les plus solides qui devront travailler plus longtemps ! Il y a deux ans , le rapport Poisson (du nom d'un député UMP) sur la pénibilité du travail, augurait de cet état d'esprit. Il spécifiait que pour juger de la pénibilité d'un emploi et de la difficulté pour un salarié de la supporter, il convenait de prendre aussi en compte ses habitudes de vie. En résumé, « arrêtez de boire et du fumer, vous pourrez travailler plus longtemps ! »

Cette approche individualiste du facteur pénibilité est évidemment extrêmement dangereuse et créerait si elle devait voir le jour, de nouvelles inégalités.

Avez-vous pu aborder la question de l'emploi des seniors ?

Oui, pour dire que l'on ne pouvait le dissocier de l'emploi en général. La droite et le patronat adorent comparer la France aux autres pays européens. Eh bien, allons-y !

En France, nous enregistrons le plus bas taux d'activité d'Europe pour les 20-30 ans et le 50-60 ans. C'est donc bien notre politique de l'emploi dans sa globalité qu'il faut reconsidérer. En toute logique, les jeunes doivent pouvoir entrer plus tôt sur le marché du travail et les seniors doivent pouvoir travailler jusqu'à 60 ans. D'autant que cet état de fait a une conséquence considérable sur l'activité des 30-50 auxquels on impose une amplification des cadences et de la productivité. D'où une souffrance au travail croissante, que l'on ne trouve pas dans d'autres pays maintes fois cités en exemple, tels que la Suède par exemple. Les enquêtes effectuées dans ce pays montrent que les Suédois de 50 ans sont heureux au travail quand celles réalisées en France montrent qu'ils sont de plus en plus nombreux à compter les années qui mes séparent de la retraite.

Ce qui prouve à quel point la qualité et les conditions du travail dans ces deux pays sont différentes.

Que pensez-vous des chiffres publiés par le COR ?

Ils ne nous ont pas surpris, dans la mesure où les derniers dataient de 2007, soit avant la crise. Ils prouvent que celle-ci coûtera d'ici 2050, 600 milliards d'euros. Et il n'est évidemment pas question que ce soient les salariés qui les paient sur leurs retraites. Ils l'ont déjà payée à travers l'emploi - 680 000 suppressions d'emplois et une chute massive de la masse salariale.

Est-il d'ailleurs sérieux d'envisager des pronostics sur 40 ans ?

Non, restons humbles. On n'a aucune visibilité sur ce que sera l'état de l'économie dans 6 mois. Comment peut-on prétendre savoir ce que sera la santé économique de notre pays en 2050 ? Il faut relativiser. Par exemple, un retour au plein emploi permettrait de financer la moitié de ce qu'il manque pour les retraites. Mais certains se serviront de ces chiffres pour faire peur et ce faisant, faire accepter l'inacceptable aux salariés.

Quelle est, selon vous, la solution au « problème » de financement des retraites ?

Les retraités sont plus nombreux et ils vivent plus longtemps. Il faut donc trouver de nouvelles ressources. Sans cela, il faudra travailler jusqu'à 72 ans. Or, il existe d'autres sources de financement. On doit élargir l'assiette des cotisations à l'intéressement, à la participation, aux stock-options et aux bonus qui sont aujourd'hui exemptés. L'année dernière, la Cour des comptes a évalué cette perte de recettes à 3 milliards d'euros.

Même chose pour les revenus financiers des entreprises qu'il faut soumettre à contribution

- 8, 2%, soit le même taux que les autres cotisations-retraites. Cela permettrait de lever de 10 à 20 milliards d'euros. Il faut évidemment moduler ces cotisations en fonction du rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée de l'entreprise, afin d'éviter qu'une PME cotise sur les mêmes bases que les grands groupes du CAC 40.

Il est d'autre part urgent d'en finir avec les exonérations sociales qui ont représenté 30 milliards 700 millions en 2009. Ces exonérations s'appliquent sur les bas salaires. Dès lors, les entreprises n'ont pas intérêt à les augmenter. Et puis, elles n'ont eu à ce jour aucune incidence sur la hausse de l'emploi. Elles ne sont donc pas incitatives mais relèvent d'un réel effet d'aubaine.

On peut aussi envisager d'augmenter les cotisations des employeurs et en dernier recours celles des salariés, qui dans leur grande majorité accepteraient de cotiser un peu plus, plutôt que de voir reculer l'âge de la retraite ou augmenter la durée des cotisations.

En tout état de cause, l'allongement de la vie professionnelle ou l'augmentation de la durée des cotisations n'aurait qu'un seul effet : faire baisser le niveau des pensions, ce qui est en totale contradiction avec les intentions affichées du président de la République.

Comment envisagez-vous la suite des négociations ?


Je le répète, au regard de ce qui s'est passé lors de cette première journée, se pose un réel problème de confiance. Les premières déclarations d'Éric Woerth ne sont guère rassurantes. Nous pensons que le gouvernement cherche à mesurer le rapport de force. Suite au résultat des élections régionales et aux sondages qui ont succédé, il a conscience que le climat social est tendu. En matière de retraite, il vient de lancer une campagne de communication visant à modifier l'opinion publique. Soit dit en passant, elle coûtera 6 millions d'euros. Mais cela témoigne de la fébrilité du président de la République.

La mobilisation est indispensable. La manifestation du 1er mai doit en être le fer de lance. Nous sommes dans une logique d'unité. Nous avons planifié des intersyndicales.

Le 1er mai 2010 doit être revendicatif et exceptionnel...

Propos recueillis par Alexie Lorca pour Un Monde d'avance

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