Réorienter la production vers les besoins de la société, en allégeant le poids des activités productives sur nature, est le troisième principe d'un pacte productif pour la France (1).
Produire autrement pour d'autres besoins
Reconnaître les compétences de ceux qui travaillent, mettre la finance au service du développement constituent deux principes d'un pacte productif pour la France qui répondent en partie à la question du produire autrement. Mais les questions qui restent entières sont celle du (pour) quoi produire ou celle du produire «pour qui»? Produire pour exporter ou produire comme synonyme d'une croissance plus soutenue ne sauraient constituer des réponses suffisantes ou même satisfaisantes.
La thèse de la décroissance a de solides arguments à faire valoir qui dénonce le mal-être au travail mais aussi les dégâts du productivisme sur les hommes et la nature. En même temps, cette thèse ne distingue pas toujours avec la clarté nécessaire croissance et développement et ne prend pas suffisamment en compte les besoins fondamentaux non ou mal satisfaits.
Les ambiguïtés ou les limites de la thèse de la décroissance
La deuxième voie du renouveau consiste dans le développement de productions socialement utiles et préservant la nature. Nous ne suivons donc pas ici ceux qui estiment qu'une voie possible, voire la seule voie pour sortir de la «crise» actuelle, serait celle de la décroissance. Cette voie, si elle adopte à juste titre une posture critique à l'égard des dégâts du productivisme (gaspillage des ressources naturelles, pollutions, atteintes multiples au bien-être, consommation de produits de piètre qualité) est une impasse mortifère qui ignore l'immensité des besoins sociaux dans les pays pauvres comme, de façon croissante, dans les pays développés (éducation, santé, alimentation, logement, transport). De la même façon que les questions liées à la protection de la nature ne sont pas des préoccupations des seuls pays riches mais concernent tout autant et parfois davantage les pays pauvres (en raison des multiples pillages des ressources naturelles dont ils sont plus fréquemment l'objet), la question des besoins sociaux ne concerne pas que les pays pauvres. Cette question, avec la montée des inégalités partout (y compris donc dans les pays riches) est devenue une question centrale, des millions de personnes en situation de pauvreté (et parmi elles de nombreux enfants) ne parvenant plus à se nourrir, à se loger et à se vêtir décemment.
Croissance et développement
Dans ce contexte, si la «croissance» ne résout aucun problème par elle-même, à l'inverse, sans développement des activités productives, aucun progrès dans la couverture des besoins sociaux n'est envisageable. Il est même possible d'avancer que la couverture des besoins sociaux est à la fois un des effets et un des moteurs du développement. Comme ceci a tendance à être oublié, la différence entre croissance et développement réside précisément dans le fait que le développement suggère la satisfaction des besoins essentiels que sont la nourriture, le logement et le fait d'être vêtu dignement mais aussi l'éducation et la santé. Nombreux sont les exemples de pays dont la croissance parfois forte ou très forte n'est pas vraiment synonyme de meilleure couverture de ces besoins essentiels. Ces pays en «croissance» ne se développent pas.
Au risque de donner une explication qui pourra paraître comme relevant de l'évidence, rappelons que la «croissance» est le produit entre des volumes produits et leur prix. Une croissance plus élevée peut mais ne signifie pas nécessairement davantage de «volumes». Elle peut, en effet, aussi signifier une hausse des prix et de la valeur des biens et services produits. Ce qui est alors privilégié est un travail de qualité, émancipateur et socialement utile, et non la réalisation d'un impératif de productivité.
Il est possible d'ajouter à ce raisonnement la prise en compte d'une diminution en volume (mais d'une augmentation en prix et en valeur) des «ressources» naturelles consommées.
Pour résumer notre propos, nous estimons qu'il n'est pas possible de suivre ceux -souvent sincères dans leur dénonciation des dégâts du productivisme et des excès de la société dite de «consommation»- qui prônent la décroissance. Ceux-là ignorent que la question souvent vitale au sens premier du terme de la couverture des besoins sociaux les plus élémentaires est loin d'avoir été résolue pour une large part de l'humanité... y compris dans les pays riches.
Protéger la nature et promouvoir les compétences
Sans adhérer à la thèse de la décroissance, nous rejoignons cependant largement ceux qui appellent de leurs vœux une «transition écologique» (marquée par une progressivité des transformations mais aussi leur caractère systémique), des transformations majeures dans la structure de l'emploi et dans l'organisation du travail. Nous suivons Meda, Coutrot et Flacher (2) lorsque ceux-ci considèrent qu'une reconversion dans des activités plus intensives en travail est souhaitable et possible dès lors que l'accent est mis sur la qualité des produits et des services rendus, la recomposition et non la division des tâches, la relocalisation des économies.
Plutôt qu'une «croissance verte» suggérant que de nouvelles activités et de nouveaux emplois peuvent naître de manière massive dans les activités liées à la gestion de l'environnement, nous estimons - de façon plus large et peut-être moins superficielle -qu'il convient de penser autrement le développement. Un développement qui ne considère plus la nature comme offrant des ressources sans valeur (eau, air, paysages...) ou des ressources ne pouvant être valorisées autrement qu'introduites sur des marchés (3). Marchés dont on sait qu'ils sont aujourd'hui l'objet de nombreuses spéculations (marchés des matières premières et énergétiques mais aussi agricoles). Dans la perspective d'un autre rapport à la nature et celle d'une autre politique industrielle, il ne s'agit pas tant d'apprécier la pertinence de tel ou tel projet porteur d'économies d'énergie que de situer plus généralement le développement industriel et celui des activités productives comme n'ayant de sens pour l'activité humaine que s'ils préservent la nature.
Il s'agit de développer toutes les productions correspondant à des besoins sociaux tout en allégeant le poids des activités humaines sur la nature et en évitant des prises de risque susceptibles de produire des désastres écologiques. Si certaines catastrophes peuvent être qualifiées de «naturelles», leurs conséquences sont, en effet, largement déterminées par l'activité humaine et par des décisions qui sont prises ignorant trop souvent les conséquences toujours possibles d'un événement provoqué par la nature.
Le développement de production socialement utiles et préservant la nature impose parfois des dépenses en capital plus élevées mais, surtout, exige un travail nettement plus qualifié, la mise en œuvre de compétences nettement supérieures à celles mobilisés par une production de masse fondée sur des gains de productivité. Fournir des biens et services de qualité pour leurs utilisateurs, mais aussi le faire en évitant de dégrader la nature, suggère une configuration du travail plus complexe répondant à une variété d'objectifs allant au-delà de la production immédiate (4). Pour cela, des travailleurs plus qualifiés, plus compétents sont indispensables.
(1) Le texte qui suit est en large partie issu d'un livre de l'auteur à paraître le 24 janvier 2012 "L'urgence industrielle !" aux Éditions Le Bord de l'Eau
(2) Dominique Meda, Thomas Coutrot et David Flacher (2011) (éds), Les Chemins de la transition. Pour en finir avec ce vieux monde, Éditions Utopia.
(3) On observera que la financiarisation conduit aujourd'hui non seulement à spéculer sur les matières premières et énergétiques, mais aussi sur les productions agricoles et alimentaires ainsi que - comme nous l'avons déjà noté - sur la dégradation de la nature.
(4) Voir l'agriculture bio ou raisonnée dont les objectifs dépassent la seule production de biens agricoles.