Billet de blog 26 déc. 2011

Gabriel Colletis
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Pacte productif(2): remettre la finance au service du développement

Gabriel Colletis
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le texte qui suit est en large partie issu d'un livre de l'auteur "L'urgence industrielle!", à paraître le 24 janvier 2012 aux Éditions Le Bord de l'Eau

Lors d'une conférence de presse tenue le 28 octobre 1966, De Gaulle répond à une question sur les marchés financiers: «La Bourse, en 1962 était exagérément bonne. En 1966, elle est exagérément mauvaise, mais vous savez, la politique de la France ne se fait pas à la corbeille». De Gaulle affirme ainsi qu'un gouvernement ne change pas de politique en fonction de l'humeur des agents de change, aujourd'hui celle des agences de notation.

«Tous les jours, la première chose que je regarde, c'est la différence de "spread"[1] entre la France et l'Allemagne», François Fillon (Premier ministre), 8 juin, réunion du groupe UMP de l'Assemblée nationale (rapporté par le Monde, 10 juin 2010).

La financiarisation du fonctionnement des institutions, de la vie économique et sociale en général semble avoir atteint une intensité sans précédent dans l'histoire du capitalisme. Reprenant le qualificatif employé par un sociologue[2], nous considérons que nos sociétés sont "assiégées" par la finance. Les "valeurs" de la finance semblent, partout, avoir modifié ou altéré les relations des hommes entre eux : calcul, égoïsme, court-termisme...

Comment dans ce contexte remettre la finance au service du développement, au service des activités productives ?

La grande erreur des économistes

La grande erreur de la plupart des économistes voulant sortir de l'emprise du capitalisme financiarisé a été de penser que la tâche prioritaire était d'imaginer de nouvelles régulations financières. Celles-ci étant trouvées, le capitalisme pourrait rependre son expansion économique et assurer des progrès supplémentaires dans le domaine social. La séquence irait donc du financier à l'économique et de l'économique au social.

Notre point de vue est opposé. Pour le résumer, nous dirons que la crise est économique et sociale avant d'être financière. Elle résulte très largement de l'affaiblissement de l'outil industriel et des capacités productives nationales. Cet affaiblissement exprime à la fois les choix opérés par les grands groupes au détriment de la base industrielle nationale et ceux des États continuant de concevoir leur politique afin de soutenir ces groupes. Ce, alors que les intérêts de ces groupes et ceux des nations sont désormais très largement disjoints. À la racine de tous ces processus, le déni du travail et des compétences, le pillage des ressources naturelles.

Définanciariser l'économie

Définanciariser l'économie ne se fera pas en proposant autant de réformes qu'auront été constatées de supposées dérives du capitalisme financiarisé. La définanciarisation doit répondre d'un principe général : celui d'une réarticulation de l'économique et du social. Réarticuler l'économique et le social constitue un enjeu essentiel de sortie de crise et de mutation vers une nouvelle organisation de la société contemporaine.

Cette réarticulation est un préalable nécessaire à toute régulation financière ayant une portée opératoire significative. C'est parce que l'économique et le social ont été séparés, puis opposés, que la finance s'est émancipée et a fini par imposer ses règles.

L'actuelle financiarisation obéit à un principe général qui oppose l'économique et le social en faisant dépendre le revenu des "facteurs" de leur mobilité. Le facteur le plus mobile, le capital financier, impose sa rémunération en premier à tous les autres (capital industriel, travail qualifié et moins qualifié) grâce à sa mobilité extrême, sa "volatilité". Tirant avantage de la suppression par tous les gouvernements des obstacles à la mobilité des capitaux, le capital financier se place et se déplace en fonction des rendements immédiats qu'il obtient.

La mondialisation actuelle, basée sur la concurrence de capitaux mobiles, rémunère ceux-ci en premier. Faute d'une rémunération suffisante, ceux-ci ont, en effet, le pouvoir de se (dé)placer ailleurs. L'ordre de rémunération est ainsi le suivant : le capital financier, puis le capital productif[3] et le travail qualifié. La rémunération du travail peu ou pas qualifié apparaît ainsi comme un "résidu".

Les tensions sociales (croissance des inégalités) qui découlent du principe liant vitesse de mobilité et rang de rémunération, mais aussi l'instabilité économique qui est associée à ce principe, font que dans la configuration actuelle l'élaboration des compromis et la création des institutions nécessaires à un nouveau mode de régulation sont impossibles.

Contrairement à ce que pensent de nombreux experts et hommes politiques, voire d'économistes, le terrain privilégié des choix à opérer ne réside pas dans la finance mais dans le "réel". Ce "réel" doit replacer le travail et la création de richesses au centre de la réflexion comme à celui des politiques et des stratégies.

Le "New Deal" aujourd'hui : agir sur le temps, la vitesse de mobilité

Agir sur le temps, sur la vitesse de mobilité des "facteurs" est aujourd'hui la condition indispensable pour remettre la finance à sa place (au service du développement économique et social) et réduire les inégalités.

Agir sur le temps et la vitesse de mobilité des facteurs prendra du temps. Il s'agit d'un processus qui comportera des étapes tant pour freiner la liquidité du capital financier que pour accroître la mobilité du travail.

Le capital financier doit voir sa mobilité (volatilité) remise en cause. Remettre en cause la volatilité du capital financier, faire en sorte que celui-ci redevienne liquide et non plus "gazeux" - c'est-à-dire admette qu'il lui faut se fixer (s'investir plutôt que se placer) -, signifie introduire des retardateurs temporels. Ceux-ci peuvent être de différentes sortes : taxe sur les transactions financières (qui trouve ici son véritable sens plutôt que celui de simple recette budgétaire nouvelle), imposition différentielle des bénéfices selon que ceux-ci sont réinvestis ou distribués sous forme de dividendes, fiscalité différenciée des plus-values de court et très court terme, attribution proportionnelle de droit de vote associés aux titres calculés selon la durée de leur détention, etc. Le "cloisonnement" des activités financières - dont une des modalités est celle qui consiste à séparer les activités de banque d'affaires et celles de banques de dépôt[4] - relève de la même logique consistant à privilégier la liquidité relative au détriment de la volatilité absolue du capital financier.

Rendre le travail mobile par les compétences redéployables

La perspective d'accroissement de la mobilité du travail ne doit pas être comprise dans l'acception habituelle principale de mobilité spatiale. Il ne s'agit pas, en effet, d'attendre des travailleurs qui seraient peu qualifiés de se mouvoir à la recherche d'un emploi en proposant une force de travail indifférenciée entrant en concurrence avec celle d'autres travailleurs. Il s'agit de qualifier le travail, le rendre spécifique, développer l'expérience et les compétences. Le principe de mobilité n'est plus alors spatial au premier chef mais professionnel. La mobilité est alors celle de travailleurs qui changent d'affectation selon les tâches spécifiques à effectuer, les projets à réaliser.

L'industrie peut redevenir le lieu d'un emploi stable et bien rémunéré. Cette stabilité, loin de signifier l'exercice d'un emploi dont le contenu ne varierait jamais, devrait être synonyme d'une mobilité sécurisée par le caractère redéployable des compétences. Pour ce faire, une autre conception du travail et une autre conception de la nature de l'entreprise constituent des chantiers à engager sans tarder (principes 1 et 4 d'un pacte productif pour la France).

En résumé, sont suggérés une moindre mobilité du capital financier dont la liquidité serait mise au service du développement des activités productives ainsi qu'un accroissement de la qualification et des compétences redéployables des travailleurs dans le même objectif.

La mise en œuvre de cette double proposition aurait pour conséquence de contracter les différences de mobilité aujourd'hui extrêmes des différents facteurs. Ainsi, le mécanisme générateur des inégalités serait radicalement remis en cause et une nouvelle configuration de développement pourrait être envisagée dont l'industrie serait le lieu de synthèse et de concrétisation. Cette autre configuration est synonyme d'une réorientation de la production vers les besoins de la société tout en allégeant le poids des activités productives sur la nature (à suivre).


[1] Différence de rendement entre les obligations d'État

[2] Z. Bauman, La société assiégée, Le Rouergue/Chambon, 2005

[3] Les flux de capital productif correspondent aux investissements directs étrangers comme, par exemple, les investissements réalisés par un groupe étranger qui construit une nouvelle usine dans un pays d'accueil.

[4] La référence peut ici être faite à la fameuse loi votée en 1933 aux États-Unis, le Glass-Steagall Act, qui sépare les activités de banques de dépôt de celles de banques d'affaires.

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