Pour rafraîchir mes souvenirs j'ai visionné le premier épisode de la série. Malgré le temps qui a passé, j'ai retrouvé le même plaisir : tout me revenait et j'avais l'impression de l'avoir vu la veille. J'ai retrouvé aussi, grâce à l'INA, quelques interviews de l'acteur. J'ai appris ainsi le succès énorme de cette série à l'époque, même à l'international, ce que j'ignorais.
On entend ici, sur une émission qui lui est consacrée sur France-culture, le générique du feuilleton : « Amis, le temps n'est plus aux chansons, il faut partir, quitter la maison... ». Nous, on chantait la version détournée « Je m'appelle Thierry de Janville, j'ai une fronde en matière plastique, je l'ai achetée à Prisunic, à cent francs... ». Voir ici sur France-culture dans une émission du 3 novembre 2021:
Je revois mon frère, déguisé en Thierry La Fronde (collant, tunique en faux cuir et collier imitation métal) faisant usage de façon immodérée de sa fronde comme tous les garçons de la cité.
Le thème de la série, pour ceux qui ne connaissent pas cet ancêtre de nos séries actuelles, c'est celui d'un jeune chevalier (dépossédé de ses biens par un affidé de l'envahisseur anglais, on est au début de la guerre de cent ans) qui décide de rentrer en résistance en prenant le maquis (ici les forêts) avec quelques compagnons pour lutter contre les anglais.
Outre le charme indéniable de l'acteur qui joue le rôle (dommage que se soit perdue la mode des collants pour les hommes...) pourquoi cette série m'a marquée et a laissé une empreinte durable sur moi ?
En visionnant des interviews des différents protagonistes, et notamment de Jean-Claude Drouot, je suis touchée par l'adéquation entre le personnage du héros droit et juste et l'acteur lui-même, lequel a décidé d'arrêter la série assez tôt et malgré les pressions, parce qu'il était en train de devenir célèbre, et qu'il ne voulait pas cela. Il voulait juste être acteur, ce qu'il a été et est encore (l'an dernier il était sur scène, et il a participé à un hommage à la série cette année lors du festival Séries Mania) ayant occupé aussi, à plusieurs reprises, la fonction de directeur de compagnie. Voir ici les archives de l'INA, "Jean-Claude Drouot, l'inoubliable Thierry La Fronde"
Thierry La Fronde, c'est le héros modèle : celui qui protège la veuve et l'orphelin, qui défend son pays, qui est généreux et fidèle en amitié et en amour, doté d'un grand courage physique et moral, mais qui aime aussi s'amuser. De plus, bien qu'étant noble, il ne montre aucune réticence à embrasser la vie et les combats des plus pauvres, ce qui ne pouvait qu'enthousiasmer la petite fille des banlieues que j'étais.
Oui mais, quoi d'autre ? Pourquoi cette trace durable pour des épisodes historiques de peu de moyens, en noir et blanc, et aux combats rustiques ?
Personnellement, je pense que ce héros m'a ouvert sur la possibilité de la résistance, et peut-être sur sa nécessité. Se déposséder du confort et risquer de tout perdre pour défendre ce que l'on croit juste, oui, cela m'a formée. Loin de la mollesse de la société de consommation qui se profilait, ce héros disait que les possessions ne sont pas importantes mais qu'il fallait se battre pour être fidèle à soi-même et à ses valeurs. Cela m'a donné un tuteur interne, une ligne directrice que je suis encore aujourd'hui, malgré les reproches de ceux qui n'ont jamais apprécié mon anti-conformisme. Peut-être que ce n'est pas étranger à mon engagement (tardif) dans le militantisme et, par exemple, au fait que j'ai manifesté avec les Gilets-jaunes.
Cependant je pense que le succès de la série témoigne du fait que ce message a touché bien des spectateurs. Il y avait Ivanhoé, mais aussi Robin des Bois, il y aura Astérix, Jacquou le Croquant, et tous les récits sur la résistance... Le thème de celui qui est du côté des humbles mais qui se bat contre un pouvoir injuste est récurrent en France : le français est naturellement rebelle, et se retrouve facilement dans la rue, en grand nombre, pour dire non, pour le scander, parfois pour le hurler. Sur le plan international, je crois que nous sommes considérés comme des râleurs, ce qui est l'aspect négatif d'une position de non-acceptation de la soumission qui, elle, est positive. Cette résistance à l'oppression, non seulement fait partie de notre culture commune (et de notre Constitution: "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression""Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789) mais elle est surtout fondamentale. C'est la raison pour laquelle les atteintes grandissantes aux libertés publiques et aux acquis sociaux soulèvent de plus en plus de résistances, et c'est heureux.
Un jour, pendant le Covid, je me rendais à mon travail, et il était important que je sois à l'heure. La route bordant un parc se trouvait bloquée à une dizaine de mètres devant moi, par des camions de police, avec des agents semblant gérer un problème technique au niveau d'une maison : je décide de prendre une rue juste à ma droite, la seule à même de me conduire à temps sur mon lieu de travail. Un policier me fait par geste le signe de faire demi-tour. Je lui montre que je pars vers la droite, ce qui me fait éviter la zone qu'il défend qui est assez loin. Il vient à ma hauteur, l'air furieux. Je lui explique l'exigence professionnelle et le fait que cette rue m'éloigne de la zone bouclée : il hausse le ton, me dit qu'un ordre venant de la police, cela ne se discute pas. Je n'en reviens pas et, devant son ton, je me sens en danger. Il me menace : la prochaine fois, j'ai intérêt à faire tout de suite ce qu'on me dit sans discuter, sinon... J'imagine la garde à vue, ou pire...
Je pars en faisant demi-tour, angoissée (il a mon numéro de voiture), humiliée d'avoir été obligée d’obéir à un ordre stupide et donc d'avoir été obligée de me soumettre. Le fait que l'on m'ait parlé comme si j'étais une délinquante m'a bouleversée. L'échange m'a d'ailleurs tellement remuée que j'ai pris soin de ne pas emprunter cette route pendant des semaines.
Mais, depuis, quand je vois des policiers, j'essaie de les éviter. Mon esprit de rébellion devant ceux qui abusent de leur pouvoir est toujours vivace et pourrait éventuellement, surtout dans les circonstances actuelles, me mettre en danger.
Alors oui, un peu de Thierry La Fronde est tapi au fond de moi, et a contribué à faire de moi une insoumise.