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Les maximes de sagesse étaient bien ordonnées dans les « tiroirs du moi » jusqu’à ce jour de juillet où le club de Médiapart lance son épopée littéraire de l’été… Alors là, le chaos s’en vient ! Je suis désarmée, comment trouver mon double en fiction, moi qui n’apprécie déjà pas ce genre de lecture ? Il me fallait rapidement trouver l’épopée extraordinaire afin de défier mes certitudes ! Ce que je fis pour adoucir ce soudain vent de panique …
Le titre de mon billet enrubanne déjà le sujet, « Mystère, Secret » « Temps, Plumes », quatre maîtres-mots de l’œuvre choisie. Un livre très inhabituel de science-fiction, « Les oiseaux du temps », écrit à deux plumes sublimes et magistrales, celle d’Amal El-Mohtar, canadienne et celle de Max Gladstone, américain, a ainsi envahi depuis quelques jours, de l’aube au crépuscule, mon espace libre.
Les deux héroïnes sont ennemies dans une ambiance de fin du monde. L’une appartient au Jardin et défend un futur biologique, l’autre dépend de l’Agence et soutient le monde artificiel de technologie post humanisme. Ce que Bleu fait, Rouge le défait et inversement. Elles s’adonnent à une guerre absurde à intervalles de quelques minutes ou parfois à quelques siècles de différence, deux visions du monde dont les tenants et les aboutissants restent toutefois un peu flous.
« La planète attend sa fin. Les vignes sont vivantes, certes, comme les criquets, mais il n’y a plus personne pour les contempler, à part des crânes… Le monde se déchire en son centre ».
Dans le chassé-croisé de guerre temporelle, leurs chemins respectifs se chevauchent avec surprises et émois aux détours des méandres des âges. « Il est si facile de détruire une planète que l’on peut négliger la valeur d’un murmure susurré à la neige ».
L’épistolaire, l’échange épistolaire, s’annonce élément symbolique choisi puisqu’il fait l’essentiel du scénario et l’enrichit à chaque page. Du moins telle est mon intime pensée : « Je t’envoie cette lettre depuis une étoile qui tombe. L’entrée dans l’atmosphère l’entamera, la mettra à l’épreuve, mais ne la fera pas fondre entièrement. J’écris en lettres de feu dans le ciel, une chute qui égale ton ascension ».
Bleu et Rouge, deux espionnes originales, étoffent l’intrigue de subtilités et de caresses époustouflantes. « Quand Rouge gagne, il ne reste qu’elle », une phrase écrite d’emblée à l’ouverture du livre me laissant terriblement perplexe jusqu’aux dernières pages !
Bleu et Rouge, deux rivales atypiques, chavirent indéniablement l’âme et le cœur. Chacune garde une place de choix dans les dédales de l’aventure. L’une d’entre elles conclut même la fin du conte, d’une phrase : « Toi et moi, c’est ainsi que nous gagnons ».
Bleu et Rouge, deux combattantes étonnantes, construisent ensemble une œuvre d’art intime autour de leur voyage temporel et échangent des missives étranges, éphémères et interdites, cachées par stéganographie, lettres s’autodétruisant après lecture. « La correspondance est une sorte de voyage dans le temps, tu ne trouves pas ? ».
Bleu et Rouge, deux êtres, femmes passionnées, tentent de s’émouvoir l’une l’autre au fil de la magie des mots et des sentiments, avec douceur, justesse et finalement amour. « Par cette lettre, je suis donc à toi, rien qu’à toi ». De la solitude à l’amour, c’est bien là l’essentiel et l’intrigue du roman.
Ce parcours d’éloquence, secret et interdit, distille des moments hors du temps et d’une autre réalité, de quoi s’émouvoir parfois aux larmes pour les âmes très sensibles. « Des lettres pour voyager dans le temps, des lettres voyageant dans le temps. Des significations cachées ».
Un équilibre redoutable de style où se côtoient l'inconnu, l'extraordinaire jusqu’à l'incompréhensible. « Tous les soirs, je vois un ciel rouge saigner sur l’eau bleue et je pense à nous ». Leurs écrits, à travers le temps, fendent de plus en plus armure ou carapace, « Je passe en revue tes mots, étudie leur ordre, leur son, leur odeur, leur goût, prenant garde à ce qu’aucun de ces souvenirs ne s’émousse ».
Des moments de poésie pure, murmures singuliers cousus de fils d’or et de fils de vie et d’espoir. « Je veux des fleurs de Céphale et des diamants de Neptune, je veux brûler les mille terres qui nous séparent pour voir ce qui fleurira dans leurs cendres, pour que nous le découvrions ensemble, main dans la main. Je veux te rencontrer dans tous les endroits que j’ai aimés. »
Le yin yang épistolaire équilibre parfaitement les forces parfois contraires et l’harmonie des écrits. Les missives sont divines et palpitantes aussi mélodieuses que les chants, cris, vocalises, piaillements d’oiseaux. Leurs envolées lyriques pénètrent corps et âme. Elles exaltent couleurs, images, émotions, passions, souvenirs, imaginaire…
Ces lettres, messagères de l’au-delà, effleurent des thèmes riches d’humanité, d’altérité, d’amour, de poésie, de rêves. Vraiment, tout ce que je recherche, aime et préserve dans ce monde à vau-l’eau.
« Arrête maintenant, vis, aime et lâche prise, Arrête, mon amour. Arrête. »