Billet de blog 14 avril 2009

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Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

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Des volontaires suisses en Espagne réhabilités: mieux vaut tard que jamais !

Il aura fallu attendre quelque 70 ans pour que les volontaires suisses engagés dans la guerre civile espagnole consécutive au putsch militaire de juillet 1936 obtiennent enfin une légitime réhabilitation.

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Il aura fallu attendre quelque 70 ans pour que les volontaires suisses engagés dans la guerre civile espagnole consécutive au putsch militaire de juillet 1936 obtiennent enfin une légitime réhabilitation. Les autorités suisses de l’époque, en effet, ne s’étaient pas contentées de reconnaître avec empressement le régime franquiste qui marquait la défaite de la démocratie en 1939, elles avaient aussi accueilli le retour de ces compatriotes par des procès vengeurs, au nom d’une soi-disant « trahison nationale », d’un « affaiblissement des forces défensives du pays », qui débouchèrent dans plusieurs centaines de cas, et avec une dureté inégalée, sur des suppressions de droits civiques et des peines d’emprisonnement.

De telles mesures judiciaires insensibles à la légitimité d’un engagement contre les fascismes se sont d’ailleurs reproduites pendant la Seconde Guerre mondiale à l’égard de ressortissants suisses engagés dans la Résistance française ou ayant fait passer « illégalement » des réfugiés à travers la frontière. Dans ce dernier cas, les personnes concernées ont déjà été réhabilitées il y a quelques années dans le contexte qui a suivi la crise des fonds en déshérence (que des victimes juives du national-socialisme avaient déposé dans des banques suisses et qui n’avaient pas pu être récupérés par la suite) et de la mise en discussion de l’attitude des autorités et des élites helvétiques face à l’Allemagne nazie. La mesure a concerné par exemple le capitaine Paul Grüninger, ce chef de la police saint-galloise qui avait sauvé de nombreuses vies en 1938 en rendant possible le passage en Suisse de réfugiés juifs ; ainsi qu’Aimée Stitelmann, cette femme qui avait milité toute sa vie très activement pour les droits humains et qui a été réhabilitée quelques mois avant son décès. Pendant la guerre, elle avait aidé des réfugiés juifs à entrer en Suisse. Mais c’est en réalité pour avoir fait passer clandestinement un résistant de Suisse en France qu’elle avait été arrêtée et condamnée par les autorités suisses. Aujourd’hui, une école secondaire genevoise porte son nom. Par contre, des Suisses ayant participé à la Résistance française restent toujours condamnés.

La notion de réhabilitation ne consiste pas à refaire l’histoire. Ce qui serait absurde. La nature abusive des décisions prises par les autorités militaires suisses ne doit pas être effacée. Elle reste une donnée historique susceptible de nous faire réfléchir sur la culture politique et la mentalité des élites helvétiques. Mais il s’agit plutôt par là d’un acte inscrit dans le contexte contemporain, d’une reconnaissance à l’égard des derniers condamnés survivants et des familles de ceux qui ne sont plus là. Il s’agit de réparer aujourd’hui une injustice et un affront à l’égard de citoyens qui se sont légitimement engagés hier contre la barbarie. Il s’agit donc d’une décision politique, significative et positive, pour le présent et pour l’avenir.

Reconnaître un abus ou une injustice est un acte de mémoire qui rend possible un nouveau développement de l’histoire. Il est donc réjouissant que cette réhabilitation soit contemporaine de la publication d’un dictionnaire biographique des volontaires suisses en Espagne [Peter Huber (en collaboration avec Ralph Hug), Die Schweizer Spanienfreiwilligen Biografisches Handbuch, Zurich, Rotpunktverlag, 2009]. Cet ouvrage est le fruit d’une longue recherche qui a permis de dresser un rapide portrait, parfois lacunaire, parfois plus complet, de ces itinéraires et de ces engagements, sauf pour une centaine d’entre eux, dont le nom est néanmoins mentionné.

L’intérêt de ce recueil de biographies consiste non seulement à nous rendre compte de l’action spécifique et parfois contrastée de la plupart de ces quelque 700 à 800 combattants, mais aussi à nous restituer l’essentiel d’une action collective contre les fascismes qui demeure riche d’enseignements pour notre présent. L’approche biographique qui prend en compte l’itinéraire individuel de tous et de chacun rend aussi potentiellement possible le développement d’une histoire de la complexité de la guerre d’Espagne, de la guerre interne au camp républicain, de la multiplicité des expériences combattantes et militantes, des conditions réelles de l’engagement ou du non-engagement des uns et des autres.

La Suisse officielle aura donc mis beaucoup de temps pour reconnaître enfin le caractère abusif et illégitime de ces condamnations. Mieux vaut tard que jamais. Cet acte de reconnaissance touche encore directement quelques-uns d’entre eux. C’est le cas par exemple, à Genève, d’Eolo Morenzoni, qui était parti du Tessin en Espagne à l’âge de 16 ans, mais en cachant son jeune âge. Il regrette lui-même que cette amnistie n’ait pas eu lieu plus tôt, craignant que l’on liquide ainsi tout un pan d’une histoire peu glorieuse de la Suisse et de ses dirigeants (voir ses déclarations dans Le Courrier, quotidien de Genève, le 14 avril 2009]. Toutefois, dès lors que tous ces combattants ont été réhabilités, et que la légitimité de leur combat a été reconnue, une histoire plus fine et plus complexe des multiples itinéraires dans la guerre civile devient enfin possible. Quant à l’histoire de la Suisse, de ses autorités et de ses élites, de leur culture politique conservatrice, de leur indulgence manifeste à l’égard des fascismes, du rôle central que leur anticommunisme y a joué parmi les mythes qui les ont orientées [voir à ce sujet un ouvrage récent : Michel Caillat & al. (ÉD.), Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse, Zurich, Chronos, 2009], etc., elle reste encore à développer et à affiner. Une posture historiographique plus conformiste, soutenue par les médias dominants, s’en tiendrait volontiers à une version lisse, sous la pression du national-populisme local qui voudrait confondre l’histoire et les mythes nationaux. Mais l’intelligence du passé nécessite une approche critique dans un pays où l'usage public de ce passé a toujours été au cœur de la culture dominante pour gommer les confrontations politiques et sociales, et pour produire du consensus.

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