L’édition du 18 mars 2008 du quotidien Le Temps, publié en Suisse romande, célébrait en grandes pompes, et sur papier glacé, les dix premières années de son existence. Parmi les nombreuses notices qui donnaient à voir les grands événements de cette décennie, un texte sur l’affaire des fonds en déshérence rappelait l’accord du 13 août 1998 entre les grandes banques suisses et le Congrès juif mondial. Certes, l’arrogance coupable des banquiers suisses était rappelée à juste titre. Mais l’article se concluait sur la figure de cette Américaine qui avait été tout un symbole : « Toute l'affaire avait commencé par le récit qui avait tant ému le Sénat américain de ses vaines recherches pour retrouver le compte ouvert jadis par son père auprès d'une banque suisse. Le compte a été identifié en 2005 : dans une banque en Israël ».
La belle affaire ! Tout cela se résume-t-il ainsi ? Voilà en tout cas comment est présentée aujourd’hui, dans la presse dominante helvétique, une crise profonde, traversée à la fin du dernier millénaire. Pourtant, à cette occasion, la Suisse n’avait pas vu seulement ses banquiers se tirer d’affaire par l’accord financier de 1998. Elle avait aussi débattu, parfois violemment, de son passé récent, de l’attitude de ses élites face au national-socialisme ; et de ces réfugiés juifs accueillis pour les uns, refoulés au péril de leur vie pour les autres sans que rien ne le justifie. Ladite crise avait rendu possible la constitution d’une commission indépendante d’experts, présidée par Jean-François Bergier, chargé d’apporter un éclairage critique sur ces problèmes, et disposant à la fois, exceptionnellement, de moyens financiers substantiels et de sources privées inédites qu’il allait falloir restituer. Mais voilà qu’en 2002, lorsqu’elle a déposé son rapport qui confirmait des constats dressés depuis longtemps par des historiens critiques en ajoutant beaucoup d’éléments nouveaux, la commission Bergier a été remerciée du bout des lèvres. Alors que tout débat politique sur ses travaux lui était refusé.
De tout cela, visiblement, on ne parle même plus aujourd'hui. Il n’est dès lors pas étonnant d’observer actuellement, non sans inquiétude, un sursaut conservateur en matière d’histoire suisse, une volonté dominante d’en finir avec toutes les remises en question quelles qu’elles soient; comme si ce pays n’avait d’autre avenir que son Guillaume Tell, ses Trois Suisses, ses nains de jardin et ses haies de tuya cachant tout ce que son propre passé avait de problématique.
Charles Heimberg