Projet d'infrastructure : le cas d'école du GCO à l'épreuve du droit environnemental
Notre législation environnementale a un talon d'Achille : les avis des organismes devant vérifier les mesures mises en oeuvre pour compenser les atteintes à la biodiversité et l'environnement, sont consultatives. Ainsi, même si un projet reçoit un avis défavorable ou avec réserves, rien n'oblige l'État qui a pourtant lui-même créé ces instances, de les suivre pour autoriser un projet de se faire.
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L'A355 de contournement Ouest de Strasbourg, le GCO ou COS, est un projet autoroutier né au début de 1970. Relancé en 1999, abandonné en 2012, il renait en 2013. Mauvaise solution à de vrais problèmes, le collectif GCO NON MERCI (né en 2003) s'oppose au projet et prône les mobilités douces. En service depuis décembre 2021, la bataille continue...
En France, nous avons des experts qui sont censés être les garants du respect des lois en vérifiant si les mesures environnementales mises en oeuvre pour compenser les atteintes à la biodiversité et à l’environnement, en tiennent compte suffisamment dans les compensations proposées par le porteur du projet. Sur le papier, les avis que donnent les agences, notamment le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et l'Autorité environnementale (Ae), sont importants. Seulement, notre législation en matière de droit environnemental a un talon d'Achille : ces avis sont consultatifs. Ainsi, même si un projet reçoit un avis défavorable ou avec réserves, rien n'oblige l'État qui a pourtant lui-même créé ces instances, de les suivre pour autoriser un projet de se faire.
Le cas d’école : le contournement ouest de Strasbourg.
Le CNPN ou l'Ae peuvent rendre un avis défavorable ou avec réserves sur tel ou tel projet, le cheval de Troie est que ces avis restent consultatifs et ne représentent pas une contrainte suspensive.
Le cas d'école en France est le projet de l'A355 de contournement ouest de Strasbourg dit GCO ou COS concédé à Vinci. Le projet d’autoroute à péage a reçu 7 avis défavorables d'organismes d'État. Jugées non compensables par les experts, les autorités auraient dû demander à Vinci de revoir sa copie pour la rendre acceptable ou de mettre un terme au projet. Ni l’un, ni l’autre ne sera décidé. Le 31 août 2018, contre toute logique, le préfet de l'époque signe l'Autorisation environnementale unique (ou permis unique) permettant au concessionnaire ARCOS, filiale de Vinci Autoroutes, de démarrer les travaux.
À l'époque, les insuffisances pointées dans le dossier des mesures compensatoires par le CNPN (2) et l’Ae ont été revues en partie pour le dossier de l’enquête publique « loi sur l’eau » qui s’était déroulée entre mai et juin de 2018 : une enquête sur le volet Vinci et une autre sur le volet Sanef qui se sont toutes les deux soldées par un avis défavorable des commissions d’enquête. Là encore, les autorités auraient pu dire stop, mais ne l’ont pas fait.
Une requête en référé suspension déposée devant le tribunal administratif (TA) de Strasbourg dans la foulé de l’Autorisation unique (8 septembre 2018), n'a pas permis de stopper le démarrage des travaux depuis l’évacuation de la ZAD de Kolbsheim (10 septembre). Les juges reconnaissent les biens fondés de la demande, mais décident de rejeter la requête d'Alsace Nature, le TA renvoyant à une date ultérieure le jugement sur le fond. Une situation qui a poussé le syndicat des avocats de France a publié un communiqué le 13 septembre. Le jugement sur le fond s’est déroulé trois plus tard, en juin 2021. Dans son verdict rendu publique le 20 juillet, le TA donne raison aux opposants sur cinq des six recours que les juges ont examiné. Malheureusement, la lenteur de la justice administrative, a laissé le temps à Vinci de quasiment terminer son autoroute au moment du jugement.
Dans l’ordonnance, les juges donnent 10 mois à l’État et à Vinci pour apporter des informations complémentaires pour justifier la signature de l’Autorisation unique délivrée par la préfecture le 31 août 2018, conditionnant l’ouverture de l’autoroute. Ainsi, Vinci a obligation de refaire un dossier sur les mesures compensatoires et l’État, d’organiser une nouvelle enquête publique « loi sur l’eau ». Seulement, début novembre, la cour administrative d’appel (CAA) de Nancy, casse la condition sur l’ouverture du GCO qui sera inauguré le 11 décembre en présence du Premier ministre et ouvert à la circulation le 17 décembre, le tout sans remettre en cause les autres points de l’ordonnance. Ils n’avaient d’ailleurs pas été contestés devant la CAA.
Le 9e avis défavorable sur le dossier du GCO, un projet incompensable alors que l'autoroute est en fonction. Une aberration dommageable de notre droit français
Agrandissement : Illustration 2
L’histoire de s’arrête pas là.
Vinci devant refaire un dossier sur les mesures à mettre en œuvre dans le cadre des compensations obligatoires, est repassé devant le CNPN en novembre 2021 et l’Autorité environnementale en janvier 2022. Dans les deux cas, une nouvelle fois, les experts ont étriqué ce qu’ils ont eu à lire. Ce sont les 8e et 9e avis défavorable. L’intérêt majeur d’utilité publique pourrait même être remis en cause.
D’ici mai, les opposants auront une nouvelle enquête publique à travailler. Que décidera ensuite le TA de Strasbourg ? Nul n’est devin pour le prédire. Ce qui est certain, c’est que la légalité de l’autoroute de Vinci est un suspend. L’État et le concessionnaire ayant réussi l’exploit de réunir les anti-GCO et les usagers de la M35 et A35 de Strasbourg avec la modification des panneaux de signalisation où Strasbourg vers l'axe gratuit à disparu poussant les automobilistes sur l'A355 et son péage pour se rendre dans la capitale alsacienne. Une Pétition en cours a déjà réuni plus de 8 300 signataires.
Que faut-il faire pour que ça n'arrive plus ?
Le cas du GCO doit être un électrochoc pour toutes les luttes, notamment celles engagées contre un projet routier. Vous avez beau avoir tous les éléments pour démontrer l'inutilité du projet, renforcé par des avis qui pointent les insuffisances en matière de compensations environnementales, rien n'empêche les autorités compétentes de passer en force. Espérer le secours de la justice administrative est une loterie. Elle a donné raison aux opposants du contournement de Beynac, en Dordogne, suivi par le Conseil d'État, suffisamment tôt pour stopper les travaux. Elle donne raison trois ans trop tard aux opposants contre le contournement de Strasbourg. Une instruction encore en cours alors que l'autoroute a été ouverte à la circulation le 17 décembre 2021.
Pour ne plus arriver dans cette situation, il faut rendre les avis du CNPN et l'Autorité environnementale, suspensifs : ou bien le promoteur du projet réussit à passer ces deux organismes ou bien l'État doit acter l'abandon du projet. Pour y parvenir, il devient nécessaire de créer une coordination des luttes routières, de manière à pouvoir collectivement faire changer notre législation. Chacun de notre côté, nous sommes invisibles. Ensemble, nous serions plus forts.
(1) En France, l'autorisation environnementale unique (ou permis unique) est un dispositif qui fusionne les différentes procédures et décisions environnementales requises pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumises au régime de l'autorisation – source Wikipedia
(2) Vinci a présenté deux fois son dossier compensatoires en 2017. A chaque fois, le CNPN a rendu un avis défavorable. La même année, sur le volet Sanef du projet, même sanction.
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