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Billet de blog 8 février 2022

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Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

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Un  parcours à l’installation en forme de chemin de croix

La transition sociale et écologique imposerait de renoncer au modèle agricole actuel  et de favoriser réellement l’installation de jeunes agriculteurs notamment hors cadre familial. Mais s’installer hors cadre familial est un parcours extraordinairement éprouvant. . .

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Les chiffres du dernier recensement agricole qui ont été rendus publics récemment sont alarmants et sans surprise : 

  • alarmants car la France a encore perdu 100.000 exploitations durant ces dix dernières années,  poursuivant ainsi le mouvement de déprise agricole qui n’a pas cessé depuis le début du XXème siècle
  • sans surprise car les pouvoirs publics, malgré une communication trompeuse en faveur de l’agroécologie, continuent de privilégier et de promouvoir une agriculture intensive et exportatrice qui impose, au nom de la compétitivité, une recherche permanente du coût minimum, celle-ci ne peut se faire qu’au détriment de l’emploi et de la protection de l’environnement. La mécanisation, la spécialisation et l’agrandissement des exploitations s’accompagnent inéluctablement d’une diminution du nombre des exploitants et salariés agricoles ainsi que d’une érosion dramatique de la biodiversité.

L’agriculture intensive nourrit peut-être les populations à bas coût mais elle tue en masse : elle élimine les exploitants en leur passant autour du cou la corde des crédits à rembourser - la mortalité par suicide chez les agriculteurs est la plus élevée de toutes les catégories sociales - et elle tue la vie sauvage, sans parler des conséquences désastreuses pour la santé de l’utilisation systématique  de pesticides.  

La transition sociale et écologique imposerait de renoncer au modèle agricole actuel  et de favoriser réellement l’installation de jeunes agriculteurs notamment hors cadre familial. En dépit du discours officiel, les petites fermes continuent à disparaître, elles  sont  absorbées par les grosses car les repreneurs éventuels sont déboutés ou découragés. L’agriculture française manque de sang neuf. S’installer hors cadre familial en achetant ou en louant des terres à des exploitants qui partent  à la retraite est un parcours extraordinairement éprouvant, semé de multiples embûches et d’innombrables démarches et procédures administratives si l’on veut toucher la DJA,  la “Dotation Jeune Agriculteur” qui est une aide à la trésorerie pour les aspirants à l’installation de moins de 40 ans.  

L’exemple de Claire et Simon, un jeune couple de néo ruraux candidats à l’installation hors du cadre familial, illustre le décalage entre les intentions affichées par les pouvoirs publics et la réalité.  

Claire et Simon ne sont pas issus du monde agricole, Simon était charpentier et Claire travaillait dans le domaine du spectacle mais ils se sont découverts tous les deux une passion pour l’élevage et ont suivi une formation pendant un an afin d’obtenir le BP REA ( Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole) qui valide la capacité  professionnelle agricole et permet d’obtenir les aides à l'installation. 

Tout a commencé avec quelques moutons mérinos que Simon élevait pour la laine et quelques mois  passés dans les alpages à garder les troupeaux des autres. 

Puis un premier projet de partenariat en GAEC ( Groupement Agricole d’Exploitation en Commun) près de Sisteron qui n’a pas abouti. Élever des bêtes sans brutalité, sans souffrance inutile, est une exigence parfois difficile à partager. . . 

Cette expérience leur a permis toutefois de mieux appréhender le métier, d’en saisir toutes les facettes et les dérives éventuelles. Et elle  a conforté le couple dans sa volonté d’exercer le métier d’éleveur dignement : Simon et Claire veulent travailler en respectant les animaux, ils ne veulent pas être exploitants, chefs d’entreprise,  mais paysans éleveurs avec une éthique de travail dominée par le respect du  vivant en gérant leur cheptel avec soin, “en bon père de famille”, selon l’expression consacrée mais bien peu appliquée du Code rural. La rentabilité n’est pas leur objectif premier. Quand on ne veut pas forcer la nature mais au contraire se soumettre au rythme naturel  des vêlages ou des agnelages, nourrir exclusivement à l’herbe, limiter les investissements, privilégier  la vente directe, cela peut parfois compliquer les choses et altérer  la crédibilité du projet dans un milieu sous l’emprise d’un syndicat productiviste comme la FNSEA. 

Peu à peu, Claire et Simon, malgré les difficultés,  se sont engagés totalement dans ce choix de vie et dans un parcours visant à reprendre une exploitation dont ils n’imaginaient pas qu’il puisse être aussi pénible, aussi démoralisant, alors qu’il n’est question, au dire des autorités, que de favoriser l’installation des jeunes agriculteurs.

C’est en 2016 que Claire et Simon ont entamé les démarches liées à leur projet de création d’activité dans le domaine de l’élevage et depuis leur première expérience d’installation en 2019, ils enchaînent les déconvenues et les désillusions avec souvent  des rétractations de la part des cédants au tout dernier moment, après de longs mois de préparations incluant parfois des investissements en cheptel.

Les causes de ces échecs successifs sont diverses, elles reflètent les handicaps, les lourdeurs, les préjugés, les craintes d’un milieu qui reste conservateur et qui privilégie la transmission à l’intérieur du cadre familial :

- un exploitant ne veut plus vendre car il avait été mal informé sur ses droits et doit différer son départ à la retraite, des terrains ne peuvent plus être loués, des bâtiments ne peuvent plus être achetés alors que le projet d’installation était quasiment abouti ;

- un autre, après avoir retenu leur candidature et expliqué qu’il souhaitait l’arrivée de nouvelles familles sur la commune cède finalement sa ferme à un autre exploitant ; c’est donc l’agrandissement d’une exploitation existante qui est préféré à l’installation ;

- un autre encore, craignant que le plan d’entreprise ne soit pas validé par  les banques ne donne subitement plus signe de vie ;

- un projet de portage  avec la start up agricole FEVE ( Ferme En Vie)  est abandonné, le cédant renonçant à la vente du foncier à la start up ;

- la dernière déconvenue est sans doute la plus surprenante et la plus douloureuse  

Simon et Claire ont été dans l’obligation d'abandonner un projet d'installation agricole en fermage  (d’ovins et bovins allaitants)  qui était prévu au 1er janvier sur une propriété en indivision en haute Corrèze alors même que les cédants les avaient incité à accélérer les démarches et à investir dans le projet jusqu’au dernier moment. D’un commun accord avec les cédants, Simon et Claire, avaient effectué toutes les démarches à l'installation en deux mois (avec l'appui des différents conseillers agricoles des institutions partenaires), les PPP ( Plans de professionnalisation personnalisés)  étant déjà validés. Ces délais restreints étaient censés arranger les cédants qui souhaitaient une reprise de leur ferme au 01 janvier 2022 pour ne pas relancer une année de cotisations MSA ( Mutualité Sociale Agricole). Claire et Simon, avec l’accord de prêt bancaire, avaient avancé en confiance sans exiger la signature d’une promesse de bail. 

Pour préparer ce projet d’installation, Claire et Simon avaient réalisé :

-une dizaine d'allers retours entre le Lot et la Corrèze 

- des formations obligatoires à la Chambre d'agriculture à Tulle

- l'achat et la réservation de cheptels économiquement nécessaires au bon démarrage du projet

- la réalisation du dossier prévisionnel sur Limoges

- le dépôt de nos dossiers DJA à la DDT de la Corrèze

- l'envoi du dossier de demande d'autorisation d'exploiter

- la mesure des bâtiments et l'organisation parcellaire sur géoportail

- l’aide au bouclage des veaux sur la ferme

Ainsi que sur un plan plus personnel : 

- l'arrêt de leurs activités

- l'arrêt du bail de leur logement 

- l'arrêt du contrat de garde de leur enfant afin d’en trouver un nouveau proche d'Ussel.

A un mois environ de la date de l’installation, les propriétaires n’ont plus donné signe de vie. Les documents signés des propriétaires, indispensables au démarrage du nouveau Gaec, n’ont jamais été retournés  Le dernier contact téléphonique date du 26 novembre 2021 ; au  cours de cette  conversation il n'avait nullement été question d’une rétractation éventuelle des cédants. . .

Claire et Simon viennent de terminer un stage de parrainage (CEFI) qui a épuisé leurs droits à l’allocation chômage auprès de Pôle Emploi. Ils se retrouvent ainsi dans une situation particulièrement précaire avec des animaux qui doivent être laissés  en pâture chez un exploitant qui a bien voulu les accueillir dans l’attente d’une éventuelle et prochaine ( ils continuent à espérer) installation.

Claire et Simon ne sont certainement pas les seuls à souffrir de ce défaut d'encadrement et de régulation des cessions d'exploitations agricoles . Comment de telles situations sont-elles  possibles, dans un contexte où les autorités rabâchent qu'il y a un porteur de projet pour dix départs à la retraite ?!

Si l’on veut enrayer le recul démographique de l’agriculture française et assurer une véritable transition agroécologique, il est urgent d’encourager véritablement l’installation hors cadre familial en sécurisant et en encadrant les relations qui se nouent lors des procédures de reprise entre les propriétaires cédants et les repreneurs.

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