Comme tous les ans à la même époque, l’agriculture française s’offre une grande campagne de communication. A Paris, au parc des expositions de la Porte de Versailles, “la plus grande ferme de France” se veut la vitrine de nos différents terroirs et de la diversité de notre agriculture mais il s’agit d’une vitrine de fête qui ne rend pas compte de la réalité et de l’âpreté du quotidien d’une majorité d’agriculteurs, ni des produits destinés à l’alimentation du plus grand nombre. C’est une ferme trompeuse ou plutôt un gigantesque parc d’attraction qui vend du rêve et met en scène une agriculture un peu bling-bling à l’image d’ Oupette, la vache limousine égérie du Salon, bichonnée et apprêtée comme un Pur-sang. Au salon de l’agriculture, “le bonheur est dans le pré” et l’on aime la paysannerie : les enfants caressent de gros animaux de compagnie et les parents font des haltes gourmandes sur les stands des producteurs pour y déguster fromages, vins AOP, charcuteries et spécialités qui exaltent les savoir-faire culinaires régionaux. Une certaine filière agro-alimentaire qui mise sur la qualité se donne en spectacle tandis que le tout-venant reste en coulisses. Les animaux élevés en batterie, eux, n’ont pas fait le déplacement, ils ne sont de toutes façons jamais visibles, réduits à des “en cours de production” entassés dans des bâtiments industriels avant d’être définitivement réduits à l’état de marchandises plus ou moins comestibles. Les visiteurs du salon sont immergés dans un univers sympathique et bon enfant très éloigné de l’agriculture qui fournit l’essentiel des calories alimentaires et nourrit la majorité de la population.
Cette agriculture intensive et pourvoyeuse de matières premières à bas prix pour l’agro-industrie et la grande distribution n’est pas à la fête, elle est en train de céder sous les coups de boutoir du capitalisme mondialisé et du libre marché. Comme tous les autres secteurs de production, elle doit se plier aux exigences d’un système orienté prioritairement vers le profit et dominé par de grands groupes qui se fournissent désormais sur un marché mondial où des ALE (Accords de libre-échange ) sont régulièrement signés entre l’UE et d'autres pays, le Mercosur faisant aujourd’hui office de repoussoir pour le syndicalisme agricole français. Nos exploitants sont ainsi mis en concurrence avec les usines à poulets ukrainiennes, les maïsiculteurs et producteurs de soja brésiliens, les éleveurs argentins, etc. Des fermes de quelques dizaines d’ha entrent en compétition avec des exploitations gigantesques de plusieurs milliers d'hectares. La pression sur les prix est évidemment très forte. Les agriculteurs qui ne pratiquent pas la vente directe sont pris au piège d’une approche purement gestionnaire dominée par la recherche permanente d’une plus grande productivité et compétitivité. C’est une course sans fin, une course à l’échalote qui élimine impitoyablement les moins bien armés dans le cadre d’une PAC qui favorise les grandes exploitations et le productivisme puisque les aides sont attribuées majoritairement en proportion des surfaces. Malgré une réglementation et des subventions censées permettre la protection de l’environnement, gérées de façon technocratique voire absurde par l’UE et véritable emplâtre sur une jambe de bois, la dérive du milieu agricole apparaît inexorable. La nature et les exploitations agricoles se meurent et cela s’amplifie d’année en année sous l’influence conjuguée de la mondialisation et de la course à la rentabilité. Tout est sacrifié en fin de compte sur l’autel de la rationalisation économique, les exploitants eux-mêmes qui arrêtent leur activité ou se suicident ( un exploitant se suicide tous les deux jours), l’environnement avec en particulier la pollution des sols et des nappes phréatiques, la biodiversité, la santé des consommateurs, le bien-être animal, etc
Même le bon sens paysan disparaît. Au lieu de réclamer un changement radical d'approche, une majorité d'exploitants choisissent de suivre les mots d’ordre stupides et dangereux de la FNSEA, des JA, et de la Coordination rurale. L’écologie est le bouc-émissaire de la crise. Ils veulent pouvoir produire toujours plus sans avoir à subir de contraintes environnementales qui freinent leur compétitivité. Ils veulent plus de liberté et notamment une plus grande liberté de polluer. Le gouvernement vient de leur donner satisfaction avec une nouvelle loi agricole qui met à mal tous les dispositifs réglementaires protégeant l’environnement et qui est véritablement écocidaire. C’est le choix de la fuite en avant technologique qui ne ne profitera qu’aux plus gros, accélérant encore la disparition des exploitations les plus fragiles et bien évidemment la détérioration de notre environnement.
Il est plus que temps de changer radicalement de modèle.
Seule une rémunération juste du travail et des services environnementaux rendus à la société par une agriculture propre permettrait de stopper la logique mortifère actuelle et de redonner espoir et dignité à une profession si essentielle à la nature et à la collectivité.